À l’occasion de la sortie de ses mémoires très attendues et intitulées Becoming (Devenir, en français), l’ancienne First Lady s’est entretenue sans ambages avec Oprah Winfrey sur ses combats avec Barack, les menaces à l’égard de ses enfants et son souhait d’être une force au service du bien.
Oprah Winfrey : Tout d’abord, permettez-moi de vous dire que rien ne me fait plus plaisir que de me poser avec un bon bouquin. Votre livre est à la fois brut et tendre, irrésistible et puissant. Il contient tant de révélations. Cela ne vous a pas fait peur d’écrire sur votre vie privée ?
Michelle Obama : En fait, non, parce que j’ai compris une chose. On me demande toujours pourquoi je suis si authentique, pourquoi les gens sont en phase avec moi. Je pense que c’est surtout dû au fait que je m’apprécie. J’aime mon histoire et ses coups durs. Ils font de moi une personne unique. C’est la raison pour laquelle je me suis toujours montrée ouverte avec mon personnel, mes amis et les jeunes. Par ailleurs, je sais que Barack et moi sommes des modèles de référence, que cela nous plaise ou non.
OW : C’est un fait.
MO : Je déteste voir des personnalités qui sont sous les projecteurs – et qui cherchent à l’être – nier être des exemples et refuser d’endosser cette responsabilité. Mais c’est trop tard. Vous êtes des exemples. Les jeunes vous regardent. Et je ne veux pas que ces jeunes s’imaginent que je n’ai ni défis à relever ni peurs à surmonter.
OW : Personne ne le pensera après avoir lu votre livre. Des millions de personnes se demandent comment vous allez et comment vous vivez la transition. Je pense que la meilleure réponse que l’on puisse leur donner est l’histoire du toast. Pouvez-vous la raconter ?
MO : Dans la préface, j’évoque l’une des premières semaines dans notre nouvelle maison à Washington.
Pour la première fois en à peu près huit ans, nous vivons dans une maison normale avec une porte et une sonnette. Une nuit, je m’y suis retrouvée seule. Les enfants étaient absents, Malia avait pris une année sabbatique et je pense que Barack était en voyage. Quand on est première dame, on n’est jamais seule. Il y a toujours des gardiens et une équipe spéciale du SWAT (Special Weapons and Tactics, NDLT). On ne peut pas ouvrir une fenêtre sans faire du raffut.
OW : À ce point-là ?
MO : Oui. Sasha et Malia ont essayé un jour. Mais nous avons aussitôt reçu un coup de téléphone pour nous demander de refermer la fenêtre.
OW : [Rires]
MO : J’étais donc seule dans notre nouvelle maison avec nos chiens Bo et Sunny et j’ai fait une chose toute simple. Je suis descendue à la cuisine, j’ai ouvert le placard – ce que je ne faisais pas à la Maison-Blanche parce qu’il y avait toujours quelqu’un pour m’aider ou me demander de quoi j’avais envie – et je me suis préparé un toast au fromage. Ensuite, je suis allée manger mon toast dans la véranda. Des chiens aboyaient au loin et je me suis rendu compte que Bo et Sunny n’avaient jamais vraiment entendu les chiens des voisins. Ils se demandaient ce qu’il se passait. Bienvenue dans le monde réel, les amis. Ce moment de sérénité illustre mon installation dans notre nouvelle vie. J’ai alors pu commencer à prendre le temps de réfléchir à ce qui s’était passé au cours des huit dernières années. J’ai réalisé que nous n’avions pas le temps de réfléchir à la Maison-Blanche. Nous avons voyagé à un rythme effréné entre le moment où nous avons franchi les portes de la Maison-Blanche jusqu’au moment où nous l’avons quittée. Barack et moi avions l’impression de devoir accomplir un tas de choses. Nous étions occupés du matin au soir. Le mardi, j’avais oublié ce que nous avions fait le lundi. Je ne me souviens plus des pays où nous nous sommes rendus. D’aucun d’entre eux, en fait. Je me rappelle cette discussion avec Melissa, la responsable de mon personnel. Je lui ai dit que j’adorerais visiter Prague et elle m’a répondu que j’y étais déjà allée. Mais je soutenais mordicus que je n’y avais jamais mis les pieds. Elle a dû me montrer une photo de moi à Prague pour me rafraîchir la mémoire. L’histoire du toast fait donc référence à ce moment où j’ai enfin pu commencer à songer à ces huit années et à mon cheminement vers la suite.
OW : En lisant le livre, je comprends à quel point chaque chose que vous avez accomplie dans votre vie vous a préparée aux moments qui ont suivi. Pour moi, c’est incontestable.
MO : En effet. Si on se considère comme une personne sérieuse dans ce monde, chaque décision que l’on prend participe réellement à la personne que l’on devient.
OW : Oui. Et je pense que c’est le cas pour vous depuis votre première année à l’école primaire. Vous étiez une gagnante avec une attitude A+++++.
MO : Ma mère disait que j’en faisais un peu trop.
OW : Obtenir ces petites gommettes dorées signifiait quelque chose pour vous.
MO : Oui. En y repensant, il y avait quelque chose en moi qui comprenait ce qui se passait. Mes parents nous ont donné très tôt la liberté de penser et d’avoir des idées.
OW : Ils vous ont laissé, Craig et vous, comprendre tout ça par vous-même ?
MO : En effet. J’ai compris que la réussite comptait et que les enfants étaient très vite mis sous pression. Que si on ne montrait pas de quoi on était capable – en particulier en tant qu’enfant noir de la classe ouvrière dans le South Side de Chicago – on était vite rangé dans une case de sous-performance. Je ne voulais pas qu’on pense que je n’étais pas une bûcheuse. Je ne voulais pas qu’on pense que j’étais « une de ceux-là ». Une sale gosse. En réalité, il n’y a pas de sales gosses, il n’y a que de mauvaises circonstances.
OW : Vous reprenez une citation que j’adore, je pense qu’elle mériterait d’être inscrite quelque part, sur un t-shirt par exemple. « L’échec est un sentiment avant de devenir un résultat réel. C’est la vulnérabilité qui engendre le doute et qui se renforce, souvent délibérément, par la peur. » Quand avez-vous su que l’échec était un sentiment avant de devenir un résultat réel ?
MO : Oh, en première année à l’école primaire. J’ai remarqué que mon quartier changeait. Nous avions emménagé dans les années 70. Nous vivions avec ma grand-tante dans un très petit appartement au-dessus d’une maison qui lui appartenait. Elle était enseignante et mon grand-oncle était porteur chez Pullman, ce qui leur a permis d’acheter une maison dans un quartier à majorité blanche à l’époque. Notre appartement était si étroit que ce qui aurait dû être le séjour était divisé en trois « chambres ». Mon frère et moi en occupions chacun une avec des lits jumeaux. Une simple cloison en bois nous séparait. Il n’y avait pas de vrai mur, nous pouvions nous parler. Craig ? Oui ? Je suis réveillée. Et toi ? Nous nous amusions à lancer des chaussettes au-dessus de la cloison.
OW : Le tableau que vous peignez merveilleusement représente votre famille – vous, Craig et vos parents – dans chaque coin d’un carré. Votre famille ressemblait à un carré.
MO : Oui, exactement. Mener une existence modeste ne nous a pas empêché d’avoir une vie bien remplie. Nous n’avions pas besoin de grand-chose.
Tout ce que nous réussissions, c’était parce que nous l’avions décidé. En guise de récompense, nous allions manger une pizza ou une crème glacée.
Le quartier était majoritairement blanc lorsque nous avons emménagé, mais quand je suis entrée à l’école secondaire, il était devenu afro-américain. Cela a eu un impact dans la communauté et à l’école. Une notion dont les enfants ne sont pas conscients quand on n’investit pas en eux. C’est ce que j’ai ressenti en première année.
OW : Vos parents ont investi en vous. Ils ne possédaient pas leur propre maison. Ils n’allaient pas en vacances.
MO : Ils ont tout misé sur nous. Ma mère n’allait pas chez le coiffeur. Elle ne s’achetait pas de nouveaux vêtements. Mon père faisait les pauses. J’ai vu mes parents se sacrifier pour nous.
OW : Vous êtes ensuite allée à l’Université de Princeton et à la faculté de droit de Harvard pour finalement rejoindre un prestigieux cabinet d’avocats à Chicago. Mais j’ai lu – et entouré trois fois – que vous détestiez être avocate.
MO : Oh mon dieu, oui. Toutes mes excuses aux avocats.
OW : Vous écrivez que vous vouliez avoir une vie et vous sentir entière. J’aimerais le crier sur tous les toits parce que je sais que beaucoup de gens qui détestent leur job et se sentent obligés de continuer à l’exercer vont vous lire. Comment en êtes-vous arrivée là ?
MO : Ça m’a pris pas mal de temps pour me l’avouer à voix haute. Dans le livre, je vous raconte l’histoire d’une collectionneuse de gommettes qui est devenue par la force des choses, comme beaucoup d’enfants zélés, une cocheuse de cases. Avoir de bonnes notes : check. Tenter sa chance auprès des meilleures universités et fréquenter Princeton : check. Une fois là-bas, qu’est-ce qu’on fait ? On obtient à nouveaux de bonnes notes pour être admis dans une fac de droit, je suppose ? Check. Harvard : check. Je ne déviais pas de la voie que je m’étais tracée. Je n’étais pas de ceux qui prenaient des risques. Je me suis contenue pour être celle que je pensais devoir être. Les pertes que j’ai subies dans ma vie m’ont fait réfléchir : t’est-il déjà arrivé de ne pas penser à celle que tu veux être ? Non. Je passais mes journées à examiner des dossiers et à rédiger des mémos au 47e étage d’un immeuble de bureaux.
OW : Ce que j’adore, c’est que votre histoire fait comprendre aux lecteurs qu’ils ont le droit de changer d’avis. Vous avez eu peur ?
MO : J’étais paniquée. Ma mère ne commentait pas les choix que nous faisions. Elle vivait et nous laissait vivre. Un jour, alors que je rentrais de Washington, D.C. et qu’elle était venue me chercher à l’aéroport, j’ai compris que je ne pouvais plus continuer sur cette lancée. Je ne pouvais pas passer le reste de ma vie assise dans une pièce à consulter des documents. Je mourais d’ennui. Alors je lui ai confié dans la voiture que je n’étais pas heureuse. Que je n’étais pas passionnée par ce que je faisais. Et ma mère – cette mère non impliquée qui vivait et nous laissait vivre – m’a conseillé de gagner de l’argent et de reporter mon bonheur à plus tard. J’ai eu une boule dans la gorge. Je suppose qu’elle s’est demandé ce qui me passait par la tête. J’avais le luxe et je voulais une passion. Le luxe de pouvoir décider alors qu’elle n’avait pas retrouvé du travail et n’avait commencé à découvrir qui elle était qu’après le début de nos études secondaires. Ça a donc été difficile. Et puis j’ai rencontré cet homme, Barack Obama. L’opposé d’un cocheur de cases. Il sortait sans cesse du chemin tout tracé.
OW : À propos de votre rencontre, vous écrivez que vous aviez fait preuve de prudence en construisant votre existence. Que Barack était comme un vent qui menaçait de tout perturber. Vous n’aimiez pas être perturbée.
MO : Oh mon dieu, non.
OW : Un passage me fait craquer. Vous vous êtes réveillée une nuit et l’avez trouvé en train de fixer le plafond. Son profil était éclairé par la lueur des réverbères extérieurs. Il avait l’air troublé, comme s’il réfléchissait à quelque chose de très personnel. À votre relation ? À la perte de son père ? Vous lui avez demandé à quoi il pensait. Vous chuchotiez. Il s’est alors tourné vers vous un peu embarrassé et il vous a répondu en souriant qu’il était simplement en train de réfléchir aux inégalités de revenus.
MO : C’est tellement adorable.
OW : [Rires]
MO : C’est lui tout craché. J’étais au début de ma carrière à l’époque. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à m’épanouir. J’avais un emploi qui me permettait de gagner plus que ce que mes parents n’avaient jamais gagné de toute leur existence et l’étape suivante était de me marier, d’avoir une belle maison, etc. Le monde était confronté à des défis majeurs. Mais faire carrière primait sur le reste. J’ai présenté Barack à quelques amis. Le contact n’est pas passé.
OW : [Rires]
MO : Parce qu’il est du genre à se soucier des inégalités de revenus et que mes amis sont…
OW : Vous invitez le lecteur dans votre univers, dans votre relation jusqu’à la demande en mariage.
Vous pointez aussi des différences importantes entre vos deux personnalités au cours des premières années de votre relation. Vous écrivez que vous saviez qu’il était plein de bonnes intentions quand il disait qu’il était en route ou sur le point de rentrer. Que vous l’avez cru pendant un moment. Que vous donniez le bain aux filles et que vous retardiez l’heure du coucher pour qu’elles puissent embrasser leur père. Et vous racontez que vous l’attendiez puisqu’il « arrivait ». Et qu’il n’arrivait pas. Vous avez alors éteint les lumières. En vous lisant, j’ai entendu le clic de l’interrupteur. Vous êtes allée vous coucher. Vous étiez en colère.
MO : Oui, j’étais en colère. Se marier et avoir des enfants, ça chamboule une fois de plus les plans d’une vie. Surtout si on épouse quelqu’un qui a une carrière qui dévore tout, ce qui est le cas avec la politique.
Barack Obama m’a appris à faire des écarts. Mais il avait cette façon de s’écarter du chemin comme s’il se laissait porter par le vent, si vous voyez ce que je veux dire. J’ai deux enfants et j’essayais de tout faire tenir ensemble pendant qu’il faisait la navette entre Washington et Springfield. Il avait cet optimisme merveilleux à propos du temps. [Rires] Il pensait en avoir plus qu’il n’en avait en réalité. Et il le remplissait constamment. C’est un homme qui joue aux assiettes tournantes et n’y trouve de l’intérêt que si l’une est sur le point de tomber. Nous sommes donc allés voir quelqu’un pour travailler là-dessus en tant que couple.
OW : Parlez-nous de cette thérapie.
MO : Vous savez comment ça se passe. Vous y allez parce que vous pensez que le thérapeute va vous aider à exposer à l’autre votre point de vue.
OW : [Rires]
MO : Mais surprise, la thérapie n’a pas du tout ressemblé à ça. Elle m’a permis d’explorer mon sens du bonheur. Ce qui a fait tilt chez moi, c’est que j’avais besoin de soutien, de son soutien. Mais je devais aussi trouver la façon de construire ma vie d’une manière qui me convienne.
OW : La chose la plus importante que vous ayez dite selon moi, c’est que nous calquons notre vie sur les exemples que nous connaissons. Le père de Barack avait disparu et sa mère allait et venait. Quant à vous, vous avez grandi dans ce carré familial aux liens étroits.
MO : Sa mère vivait en Indonésie, il a été élevé par ses grands-parents et il n’a pas vraiment connu son père. Mais ce contexte ne l’a pas empêché d’être un homme solide. Il existe tant de manières de bâtir sa vie.
OW : Vous écrivez également que vous vous sentiez vulnérable quand il n’était pas là. J’ai trouvé incroyable qu’une femme moderne – une première dame – reconnaisse sa vulnérabilité.
MO : Je me sens tout le temps vulnérable. Et j’ai dû apprendre à faire part de cette vulnérabilité à mon mari, à puiser dans les parties de moi qui lui manquaient – et dans la tristesse qui en découlait – pour lui permettre de comprendre. Il ne percevait pas la distance de la même manière. Il a passé la majeure partie de sa vie loin de sa mère tout en sachant qu’elle l’aimait profondément. De mon côté, j’ai toujours pensé que l’amour était une histoire de proximité. L’amour, c’est la table du dîner. C’est la cohérence, la présence. Je n’ai pas eu d’autre choix que de lui faire part de ma vulnérabilité et d’apprendre à aimer autrement. C’est là une part importante de mon cheminement vers celle que je suis aujourd’hui. J’ai appris à former un « nous ».
OW : Un élément qui vaut de l’or pour moi – et à mon avis pour tous ceux qui liront votre livre – c’est que rien n’a vraiment changé. Vous avez juste modifié votre perception de ce qui se passait. Et c’est cela qui vous a rendue plus heureuse.
MO : Oui. J’ai voulu partager cette expérience car je sais que les gens idéalisent notre relation. Et que beaucoup de couples sont idéalistes. Mais il faut garder les pieds sur terre, le mariage n’a rien de simple.
OW : Vous dites même que vous vous disputez différemment.
MO : Oh mon dieu, oui. Je suis comme une allumette qui se consume. Et lui, il veut tout rationaliser. Il a donc dû apprendre à patienter quelques minutes – voire une heure – avant de m’approcher quand nous nous disputons. Il a dû comprendre qu’il ne pouvait pas me convaincre de mettre ma colère de côté. Qu’il ne pouvait pas me faire passer d’un sentiment à l’autre.
OW : Qu’est-ce qui vous a convaincue d’accepter sa candidature à la présidence ? En effet, vous racontez dans le livre que chaque fois qu’on lui posait la question, il répondait que c’était une décision à prendre en famille. Autrement dit, si Michelle accepte, je le ferai.
MO : Vous imaginez la responsabilité. Je ne savais pas du tout si ça allait marcher. Il a voulu se présenter au Sénat de notre État. Ensuite au Congrès et au Sénat des États-Unis. Je savais que Barack était un homme honnête et extrêmement intelligent. Mais la politique est moche et méchante. Je n’imaginais pas que le tempérament de mon mari s’en accommoderait. Et je n’avais pas envie de le voir évoluer dans cet environnement. Mais d’un autre côté, le monde fait face à de nombreux défis. Plus vous vivez et lisez le journal, plus l’importance et la complexité des problèmes sont flagrantes. Je me suis alors demandé si je connaissais quelqu’un d’aussi doué que lui. Il fait preuve de décence tout d’abord, d’empathie ensuite et de capacités intellectuelles hors norme enfin. Un homme qui se souvient de tout ce qu’il a lu et s’exprime extrêmement bien. Il avait travaillé en contact direct avec la population et il avait l’intime conviction qu’il en allait de sa responsabilité. Comment refuser ? J’ai donc dû troquer ma casquette d’épouse contre celle de citoyenne.
OW : En tant que première famille noire à la Maison-Blanche, vous avez ressenti une certaine pression ?
MO : Heu… [Rires]
OW : Parce qu’on nous a martelé pendant toute notre enfance que nous devions travailler deux fois plus dur pour aller deux fois moins loin. Avant la sortie de votre livre, je pensais que vous faisiez attention au moindre détail, que vous ne commettiez jamais d’impair.
MO : Vous pensez que c’est le hasard qui a fait les choses ?
OW : Je sais que ce n’était pas un accident. Mais avez-vous ressenti cette pression ?
MO : Nous avons senti la pression dès la première minute. Tout d’abord, nous devions persuader notre camp qu’un homme noir pouvait gagner. Il s’agissait non seulement de convaincre l’Iowa, mais aussi toute la communauté noire. Parce que les noirs comme mes grands-parents n’ont jamais cru que cela pouvait arriver. Ils nous le souhaitaient, mais leur vie leur avait enseigné que cela ne risquait pas de se produire. Ils voyaient en Hillary une valeur plus sûre, en raison de sa notoriété. Il était impensable pour eux d’ouvrir leur cœur à l’espoir que l’Amérique mette son racisme de côté pour soutenir un homme noir. Ce n’est que lorsque Barack a gagné l’Iowa que les gens se sont dit : O.K., peut-être.
OW : Alors quand le poids du monde était sur ses épaules et que lui s’appuyait sur les vôtres, comment avez-vous réussi à le porter ? Et comment le portez-vous encore aujourd’hui ?
MO : En essayant de rester sereine lorsqu’il lui arrive de louvoyer. En étant un tronc stable auquel il peut s’accrocher quand un vent violent fait voler les feuilles. En insistant sur les dîners en famille. C’est l’un des rituels que j’ai instaurés à la Maison-Blanche et auquel il ne pouvait pas se soustraire. Oui, tu es président, mais tu ne dois pas passer ta vie au Bureau Ovale. Viens t’asseoir avec nous et parle avec tes enfants. Parce que les enfants sont une source de réconfort, qu’ils aident à mettre de côté les problèmes de la journée pour se concentrer sur la protection des tigres. C’était l’une des principales préoccupations de Malia. Elle a plaidé tout au long de la présidence de Barack en faveur de la protection des tigres. Je voulais qu’il s’intéresse à leur journée à l’école. Qu’il se plonge dans la réalité et la beauté de ses enfants et de sa famille. De plus, notre devise dans l’Aile Est était de tout faire avec excellence. Dans la mesure du possible bien entendu, parce que la première dame n’a pas besoin de faire quoi ce soit, c’est bien connu !
OW : [Rires]
MO : Il était clair pour nous que ce que nous allions faire allait avoir un impact positif. L’Aile Ouest abrite les bureaux, nous voulions donc que l’Aile Est incarne le côté heureux de la Maison. Et nous y sommes parvenus.
OW : Vous écrivez que Donald Trump a alimenté la fausse idée que votre mari n’est pas né dans ce pays. Vous ajoutez que les allusions bruyantes et désinvoltes de Donald Trump ont mis la sécurité de votre famille en danger. Et que vous ne le lui pardonnerez jamais. Pourquoi était-il important pour vous de le dire maintenant ?
MO : Parce que je pense qu’il ne savait pas ce qu’il faisait. C’était un jeu pour lui. Mais les menaces auxquelles on fait face en tant que commandant en chef sont bien réelles. Et elles mettent les enfants en danger. Je me suis donc exprimée pour que mes enfants mènent une vie normale. Même s’ils étaient en sécurité, ils étaient plus exposés que nous. La seule idée que des fous puissent penser que mon mari était une menace pour la sécurité du pays tout en sachant que mes enfants allaient à l’école, jouaient au football, faisaient la fête et voyageaient tous les jours. Donald Trump n’a pas tenu compte du fait que ce n’était pas un jeu et je voulais que le pays le sache. D’une certaine façon, je ne l’ai pas dit à voix haute, mais je l’écris aujourd’hui. Ses propos étaient irresponsables et mensongers. Et il savait pertinemment qu’il mentait.
OW : Oui.
MO : Une balle a pénétré dans le Salon Ovale Jaune pendant notre mandat à la Maison-Blanche. Un dingue a tiré depuis l’Avenue de la Constitution. La balle a touché le coin supérieur gauche d’une fenêtre. Cette image reste gravée à jamais dans ma mémoire : il s’agissait de la fenêtre du balcon Truman, où ma famille avait l’habitude de se tenir. C’était le seul endroit où nous pouvions profiter de l’extérieur. Par bonheur, aucun de nous n’y était. Et le tireur a été arrêté. Mais je considère l’impact de cette balle comme un rappel de ce que nous vivions tous les jours.
OW : Vous terminez le livre en évoquant ce qui va persister. Vous dites que vous restez connectée à une force plus importante et plus puissante qu’une élection, qu’un dirigeant ou qu’une actualité. Que cette force s’appelle l’optimisme. Pour vous, c’est une forme de foi, un antidote à la peur. Ressentez-vous cet optimisme pour ce que nous sommes en train de devenir en tant que nation ?
MO : Oui. Nous devons ressentir cet optimisme. Nous dressons la table pour les enfants et nous ne pouvons pas leur servir n’importe quoi. Nous devons leur donner espoir. On ne peut pas progresser sous l’effet de la peur. C’est ce que nous sommes en train de vivre en ce moment même. La peur est la manière de diriger des lâches. Mais les enfants viennent au monde avec un sentiment d’espoir et d’optimisme. Peu importe leur bagage. Ils pensent qu’ils peuvent tout faire parce qu’on le leur dit. Nous portons donc la responsabilité de nous montrer optimistes. Et d’agir de cette manière dans le monde.
OW : Vous êtes optimiste pour notre pays ?
MO : [Avec les larmes aux yeux] Nous devons l’être.
PHOTO Miller Mobley
STYLISME Meredith Koop
TRADUCTION Virginie Dupont