Fermé pendant dix ans aux touristes, l’Adrar vient de rouvrir ses dunes et ses canyons aux marcheurs. Entre révélations personnelles, rencontres humaines et paysages à couper le souffle, en route pour le voyage d’une vie.
Début novembre, je reçois une proposition inattendue. « Ça te dirait de traverser le désert mauritanien début janvier avec des dromadaires ? C’est magnifique ! Il faut juste aimer marcher... » Autour de moi, certains m’envient, d’autres sont dubitatifs. Je n’ai, pour ma part, nulle inquiétude. Je vais voyager avec Terres d’Aventure, et son PDG, Lionel Habasque, bivouaquera avec nous. La philosophie maison ? Développer un tourisme vertueux, qui profite en premier lieu aux populations locales. Ça me parle ! Et je rêve de désert en plein hiver...
Samedi 13 janvier 2018
Au T3 de Roissy, je découvre le groupe avec lequel je vais passer la semaine. Le vol direct pour Atar dure cinq heures. À peine le temps de faire connaissance... Rapidement, le désert apparaît à travers le hublot, alors que nous survolons le Maroc. Le sol déploie sa palette d’ocres, le sable scintille, il n’y a nulle vie, et rien ne vient entacher le ciel bleu Majorelle. Choc ! À l’arrivée, la police et les douaniers sont calmes et souriants. Vingt minutes plus tard, nous sommes dans les 4 x 4, après avoir versé 55 euros pour « un visa de courtoisie » et répondu à la question : « Rien à déclarer, pas d’alcool ? » C’est la seule chose interdite. Un jeune homme me demande : « Madame, vous ne voulez pas un chèche ? » Je décline, j’en ai un dans mes bagages. « Madame, ça fait dix ans qu’on vous attend. S’il te plaît, achète-moi un chèche... » Je lui en prends deux pour 3 euros. La Mauritanie vient de rouvrir ses portes après plus de dix ans de purgatoire. C’est le 24 décembre 2017 que le premier avion pour Atar s’est envolé, après la décision du ministère des Affaires étrangères de passer une partie de la région de l’Adrar du rouge à l’orange. La variation peut sembler infime, elle est pourtant majeure. On peut désormais envisager sereinement de voyager en Mauritanie, cela ne nous expose pas plus que d’aller boire un verre en terrasse à Paris. Loin du tourisme de masse, le voyage saharien a des répercussions économiques considérables pour le pays. Un exemple ? Un séjour d’une personne durant une semaine fait vivre une famille mauritanienne durant un an. Pour mémoire, la Mauritanie est une république islamique modérée, basée sur la tolérance et la bienveillance. Chez les nomades, tout particulièrement, l’hôte est sacré. Reste que, en décembre 2007, quatre touristes français ont été assassinés dans le sud du pays. Et toute la Mauritanie a viré au rouge, ce qui a eu pour effet de priver du jour au lendemain l’Adrar de toute ressource économique. Les nomades se sont repliés sur les villes, dont Atar et la capitale, Nouakchott. Le pays s’est endormi. Il aura fallu, entre autres, toute l’énergie de Maurice Freund, charismatique patron de la coopérative de voyageurs Point-Afrique, homme têtu et intègre, pour convaincre les autorités françaises d’envoyer un signal positif. Soutenu par d’autres voyagistes, comme Terres d’Aventure, et par le gouvernement mauritanien, il a obtenu la réouverture de l’aéroport d’Atar, entièrement reconstruit, qui propose une liaison directe avec Paris. Un véritable espoir pour cette région quasi désertique qui ne vit que du tourisme – et de la récolte des dattes, l’été, mais la population en consomme tant que le pays doit en importer !
Jour 1
Nous sommes accueillis sous une immense tente, patchwork de tissus chamarrés. Tout le monde enlève ses chaussures et s’assoit par terre. On nous présente un homme, qui semble régler un ballet depuis le matelas sur lequel il est allongé. « Lionel, Maurice, on est au complet ? Alors on va s’installer. » Mohammed, le grand boss, introduit Kadi, guide et régisseur général depuis plus de vingt ans, qui a servi d’intermédiaire entre les voyagistes et le gouvernement mauritanien. Kadi nous présente son équipe : trois chauffeurs, quatre cuisiniers, trois guides, six chameliers... et vingt chameaux blancs. Cette semaine, on va marcher six heures par jour pour traverser le désert de l’Adrar. Chaque soir, l’équipe de Kadi nous aura précédés pour monter la grande tente du dîner, sous laquelle certains dormiront. Il y aura aussi une dizaine de petites tentes individuelles pour ceux qui voudront, quand d’autres préféreront la belle étoile. Pendant la présentation du parcours, on nous sert le traditionnel plat mauritanien, sorte de couscous au poisson, à la semoule exquise. Paris est déjà tellement loin...
Jour 2
Je me réveille en pleine forme dans ma petite tente. C’est merveilleux de s’endormir emmitouflée dans son duvet, polaire sur le dos et chaussettes de ski aux pieds, une lampe frontale sur le bonnet pour lire. Je me lave les dents avec la bouteille d’eau que j’ai conservée. Après une toilette de chat au savon et au gant, j’enfile ma tenue de baroudeuse : pantalon en toile, chemise en coton, coupe-vent, chaussettes de marche et chaussures Tenere. Il est 7 h, le jour se lève. Kadi imite le chant du coq pour réveiller la troupe, et le petit déjeuner est servi sous la grande tente berbère : galettes, pain cuit dans le sable, crêpes mœlleuses, gelée de bissap, marmelade du soleil, thé ou café... Après avoir rempli nos gourdes d’eau, on part chèche sur la tête, sac au dos, enduits de crème solaire, pour notre premier contact avec le désert. On découvre alors la vingtaine de dromadaires blancs, d’une amabilité toute relative, conduits d’une main de maître par une équipe de chameliers aux visages enturbannés, regards perçants, savates aux pieds, qui semblent résister à tout et surtout au soleil. La marche commence et l’expérience est intense. La beauté du paysage, indescriptible. Les dunes de sable, scintillantes, se succèdent, puis vient la roche noire comme l’ébène, les grands canyons, le cirque de Bakar. On admire les lumières orangées de l’oued Timinit et la passe d’Amogjar, où a été tourné le film « Fort Saganne », en 1983. Les nomades se souviennent d’ailleurs encore du groupe électrogène offert par le réalisateur Alain Corneau ! On est au milieu de nulle part, dans le plus beau décor au monde.
Jour 3
J’ai perdu toute notion du temps. Après le dîner, voici la cérémonie du thé, indissociable de la vie nomade, servi par Tegedi et Adrami, deux trentenaires. En Mauritanie, on boit trois thés, l’un après l’autre : le premier est amer comme la vie, le deuxième doux comme l’amour, le troisième suave comme la mort. Puis, dès 22 h, le spectacle est dans le ciel. Avec deux ou trois étoiles filantes toutes les dix minutes, la Voie lactée n’a jamais semblé aussi proche ! On nous conseille de boire de l’urine de chamelle fécondée – excellente pour lutter contre le cancer, paraît-il. Cela nous emballe moins. Plus tôt dans la journée, nous avons découvert Chinguetti, ville au glorieux passé, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, nœud caravanier, et dotée de quatre bibliothèques abritant des manuscrits anciens, dont certains ont plus de neuf cents ans. La splendeur passée n’est plus qu’un lointain souvenir. Il n’a pas plu depuis dix ans, les maisons s’effondrent, les rares commerces sont fermés, mais l’humour est là. « Moins cher que gratuit », peut-on lire au-dessus d’une ancienne coopérative féminine de vêtements ! Le bibliothécaire, Ahmed Malmoud, nous raconte l’histoire de son pays et de sa ville, présentant des enluminures du XIIIe siècle et des ouvrages aux couvertures pailletées d’or. Il déclame des poésies arabes, insiste sur l’islam bienveillant pratiqué ici. « Avant, les Arabes étaient réveillés, ils se sont endormis, dit-il. Mes amis, nous avons tous le même dieu. Un dieu qui veut que la Terre s’épanouisse. Aujourd’hui, le monde est divisé en deux. Ceux qui veulent le célébrer. Et ceux qui veulent l’anéantir. »
Jour 4
Nous passons par Maaden, village modèle où Maurice Freund et son ami Pierre Rabhi tentent une expérience d’agro-écologie. Ici, les carottes poussent au milieu du désert. Je suis accueillie par une joyeuse bande de quatre garçons, qui me tournent autour et m’accompagnent au dispensaire. En première année de collège, Mohammed et ses copains ont 12 ans, parlent l’anglais, le hassa nya et le français, qu’ils maîtrisent parfaitement. « T’as des enfants, Madame ? Tu fais quoi, Madame, comme travail ? Tu habites où, Madame ? » On se lance dans une grande conversation autour du Real Madrid, du Barça et de Messi, leur idole. Ce qu’ils veulent faire plus tard ? Docteur ou footballeur. Leurs rêves ? Que les légumes continuent de pousser, et avoir un maillot de Di Maria ou de Cavani. Je leur propose des Tic Tac, que je distribue à tout le monde. Ils sont ravis, me rebaptisent « Madame Mint ». Au moment de les quitter, je veux leur donner un billet de 100 ouguiyas afin qu’ils s’achètent des sucettes dans l’un des quatre petits magasins du village. « Non merci, Madame. T’as pas un stylo ? »
Jours 5
Dans le désert, c’est merveilleux, le shopping vient à vous. Le temps de se retourner et des femmes portant des voiles colorés ont installé leur natte, y disposant chapelets en bois, colliers de perles, bracelets en bois et argent, khôl dans un petit pot... Elles sont silencieuses, ne réclament rien. Elles proposent. On dispose. Très vite, on a envie de tout, surtout quand on apprend qu’elles n’ont vu personne depuis dix ans et que le bracelet va nous coûter moins de 4 euros ! En pleine traversée de l’oued N’Tezzent, non loin de la dernière oasis, un homme apparaît, au milieu de nulle part. « Connaissez-vous la définition du télomère et ce qu’il faut faire pour l’agrandir ? Le télomère, c’est le fil de la vie [et l’extrémité d’un chromosome, NDLR]. Pour qu’il soit le plus long possible, il y a quatre règles à respecter : bien manger, bien marcher, bien dormir et bien faire l’amour. Au revoir, Madame. » Et l’homme au chèche beige et au vêtement bleu de reprendre sa route. Le soir, au camp, Tegedi m’informe que l’un des chameliers s’est enfoncé une épine d’acacia dans le pied et qu’un autre a de la fièvre depuis trois jours. Je mets tout le monde sous amoxicilline, en insistant sur la posologie, avant de leur donner mon flacon d’antiseptique. La veille, dans un village de nomades, Kadi nous avait demandé une aspirine pour un vieil homme malade. J’ai laissé mes deux boîtes de Doliprane.
Jour 6
C’est notre dernier soir ensemble. Nous avons marché cent kilomètres en cinq jours, dormi deux nuits à la belle étoile. Nous nous sommes lavés avec cinquante centilitres d’eau derrière une dune, avons joué à « action ou vérité » avec Tegedi et Adrami tous les soirs, et c’était fabuleux. Nous sommes tous dans un drôle d’état, transportés par notre aventure, celle d’une vie, conscients de l’enjeu économique que représente le tourisme dans ce pays et du message que nous allons porter. Nous avons découvert un peuple proche, respectueux des femmes, qui là-bas portent la culotte et font les mêmes études que les hommes. Belles et libres, elles semblent heureuses.
Jour 7
De retour à Atar, nous passons par le marché, grand bazar magnifique. Boîtes en onyx, bracelets en bois et argent, dattes, chapelets, bagues, dagues... On aimerait tout acheter. On salue les guides Daa et Mohamed, le chef cuisinier Ahmed et ses trois mitrons, et les six chameliers. On serre Kadi une dernière fois dans nos bras. Nous ne sommes pas émus, simplement heureux, sûrs de revenir. Dans l’avion, je lis la préface de l’ouvrage de Michel Pierre, ancien diplomate et spécialiste du Sahara, qui a bivouaqué avec nous toute la semaine. « Ici, dit-il dans “Sahara, le grand récit” (éd. Belin), tout est affaire d’espace, de distance, de sécheresse, d’univers minéral, d’îlot de verdure, d’amplitude thermique, de vent, d’incandescence solaire et de temps lunaire. » Rien n’est plus vrai.
Lundi 22 janvier
De retour à Paris, où il a plu toute la semaine, je retrouve mes marques, ma famille, mes amis, la vie normale. Le monde occidental a le moral à zéro, la mine pas très fraîche et s’agite beaucoup pour peu de choses. J’atterris en douceur, pleine de soleil, de vent, de sable, d’horizons, d’échanges et de vitalité. J’ai la sensation d’avoir été réinitialisée ! À la cantine, j’écoute les gens me raconter leur semaine. Soudain, mon smartphone vibre. Surprise, je vois s’afficher « Adrami ». Je viens de recevoir un WhatsApp du seul Mauritanien à qui j’ai laissé mes coordonnées car il avait un portable. « Vous me manquai. Je vous embrasse traie four. » Moi aussi. Très fort.
Mes tips désert
- Partir avec des petits cahiers et des stylos pour faire des heureux.
- Emporter une bouteille d’Antésite, dont on versera trois gouttes dansla gourde d’eau. Délicieux.
- Marcher avec des sandales Keen, plutôt qu’avec des bottines en toile type Aigle Tenere. Ce n’est pas esthétique, mais pratique car le sable s’évacue au fur et à mesure.
- S’équiper d’une batterie solaire pour recharger le portable le soir et pouvoir prendre des photos. Il n’y a aucun réseau.
- Partir entre amis plutôt qu’en couple. Comme en colonie de vacances, l’intimité est relative, mais on se lie à vie.
- Prévoir deux lampes frontales, accessoire indispensable. La nuit tombe à 18 h 30.
- Préférer le savon (avec un gant) aux lingettes. Moins polluant et plus parfumé.
Y aller
Les oasis de L’Adrar
Circuit de 8 jours accompagné, proposé par Terres d’Aventure. À partir de 1. 100 €, avec les vols aller-retour, l’hébergement sous tentes,
les repas en pension complète (hors boissons), l’encadrement par les guides, les transferts en 4 x 4... Renseignements sur terdav.com