Sororité, combats et coups d’éclat. Notre journaliste, Juliette Debruxelles revient sur le destin de femmes qui ont changé la face du monde... Qui était Marianne Faithfull ?
Ne jamais se plaindre, ne jamais s’expliquer. Question caractère buté, l’icône des sixties s’y connaît. Elle a tout traversé, et pas à moitié.
La mort, elle est passée à côté un paquet de fois et de toutes ces épreuves, elle a gardé un mantra : « On ne meurt pas. »
Des pensées de la philosophe Lucrèce, elle a retenu une vision poétique de l’absence de disparition. Quand on passe à trépas, les atomes dont nous sommes composés s’éparpillent dans le cosmos et ne se perdent jamais. L’immortalité façon déesse. Une certaine idée de la sagesse.
Pourtant, Marianne n’est pas au-dessus des êtres humains qui la vénèrent. Même si Hedi Slimane l’a consacrée en Saint Laurent. Même si elle a chanté et tourné avec et pour les plus grands (Bowie, Godard, Delon, Daho, Gainsbourg, Blur, Beck…). Elle refuse le statut de sur-femme. Ça n’a pas empêché les créateurs de la mythique série britannique « Absolutely Fabulous » de lui faire jouer le rôle de Dieu dans un épisode (avec Anita Pallenberg dans celui du diable pour un duo juste parfait).
Pendant longtemps, elle devait se contrôler quand on la qualifiait de « muse » plutôt que de simplement célébrer la grande musicienne qu’elle est. Marianne, aujourd’hui, faut pas l’énerver.
Au journal « Le Monde », d’ailleurs, elle confiait : « J’essayais de ne pas m’énerver quand je lisais de telles conneries. Muse est le pire job du monde ! Je savais bien, moi, que je faisais bien plus qu’inspirer. Mais je n’ai jamais rien dit. Me rebeller contre ce sexisme n’aurait servi à rien. Les femmes ont toujours plus de mal à être prises au sérieux. Tout est plus dur pour elles. Les livres de Germaine Greer me l’ont confirmé. Peut-être m’aurait-on regardé différemment si j’avais joué d’un instrument ? Mais je travaillais dur sur mes chansons, et il a fallu des années pour qu’on me reconnaisse en tant qu’artiste majeure. »
Honnête jusqu’à la brutalité, complexe jusqu’à la vulnérabilité, Marianne n’avait à priori rien d’une icône prédestinée. Pension chez les religieuses dans la très traditionnelle Angleterre d’après-guerre, parents séparés un peu dépassés et une jolie voix qui la fait hésiter entre s’inscrire à l’université ou intégrer une école de musique. Elle ne devra pas vraiment choisir.
Un jour, alors qu’elle chantonne des chansons tradi dans un bar du coin, Andrew Oldham, le manager des Rolling Stones, la repère et l’embarque pour faire un disque. Mick Jagger et Keith Richards lui filent une de leurs chansons jugée un peu trop nunuche pour eux : « As Tear Go By ». Gros carton. À 17 ans, elle devient une des plus grandes chanteuses de sa génération.
Dans la foulée, elle rencontre l’artiste John Dunbar et tombe amoureuse de cet étudiant aux beaux-arts de Cambridge. À 19 ans, elle devient maman. Mais question fibre maternelle, c’est pas complètement ça. Elle aime son fils plus que tout (et dit d’ailleurs aujourd’hui qu’il est sa plus belle réussite et la plus belle chose qui lui soit arrivée), mais elle a une sacrée vie à mener… et un Mick Jagger à gérer. Il la veut, il l’aura. Et ça sera plein de fracas.
Elle quitte son mec et part s’installer chez Anita Pallenberg et Brian Jones – ami de Mick et fondateur des Rolling Stones – avec son fils sous le bras. Anita, qui deviendra sa plus grande amie, lui roule des gros splifs et ensemble, elles deviennent « les poules de ces gars » (c’est elle qui le dira). Une fête qui se terminera, des années plus tard, par un coma après une overdose d’héroïne.
Quand elle décide de revenir sur ce gros bad trip en chantant « Sister Morphine », elle est censurée. La chanson sera attribuée aux Stones qui en feront un succès. La drogue, c’est mal, mais un peu moins quand ce sont des mecs qui en parlent on dirait…
Bilan de la période : une rupture avec Mick, la perte de la garde de son fils, deux ans à zoner dans la rue à Soho, une désintox ratée, un album repoussé…
Les années 60 et 70 sont carrément embrumées. À l’époque, tout le monde s’en met plein les veines et le nez avec plus ou moins de force pour en réchapper. On pourrait compter les cadavres sur le bas-côté, mais on va éviter…
Au milieu des années 80, alors qu’elle a quitté l’Angleterre pour l’Amérique, elle suit une cure à la clinique Hazelden et réussit à se sortir de ses addictions. Sobre, droite, requinquée. Sa mère – qui s’en mettait de bonnes, elle aussi – la trouve du coup moins drôle, moins enjouée. Son père, lui, l’encourage et lui témoigne sa fierté.
Elle écrit, chante, compose, joue et prend la pose. Se libère du regard des autres, envoie se faire foutre celles et ceux qui s’opposent à sa métamorphose.
Elle vit encore le pire, entre trahison, séparation, cancer du sein, opérations… Mais elle est là, elle tient. Elle se dit fauchée, sans filet de sécurité, physiquement cassée, mais ce n’est pas tout à fait vrai.
Ses os brisés portent toujours au sommet cet esprit brillant, éclairé, inspiré. Depuis Paris, où elle vit, elle regarde son fils et ses petits-enfants fredonner, grandir et adorer.
Marianne Faithfull a tout bien fait.
À écouter: « Broken English »,
considéré comme son meilleur album (oui, c’est discutable).
À voir: « Irina Palm », de Sam Garbarski, dans lequel elle devient travailleuse du sexe pour trouver l’argent nécessaire au traitement médical de son petit-fils (non, ce n’est pas si glauque que ça, c’est beau et fort à la fois).
À regarder en boucle: « Desintox Donkey », l’épisode 4 de la saison 4 de « Absolutely Fabulous ».
À dire: « I don’t give a flying fuck » (« Je n’en ai rien à foutre »),
sa grossièreté préférée.