Le spleen n’est plus à la mode. Et il n’y a pas qu’Angèle et Roméo qui le disent. Vous avez sûrement dû le remarquer, petit à petit, le bonheur à tout prix s’est érigé en philosophie de vie. L’injonction à être heureux est partout. Les livres de développement personnel se hissent systématiquement en tête des ventes d’Amazon (devant Dicker et Harry Potter). Les happiness managers envahissent les bureaux, les applis pour améliorer notre « score de bonheur » se multiplient et, depuis 2018, Yale propose même un cours dédié au sujet, « La psychologie et la belle vie ». Le programme cartonne. Rien que sur Insta, le hashtag #GoodVibesOnly a déjà été utilisé plus de 7 millions de fois. Le mot « only » est significatif, il n’y a de la place ici que pour les bonnes ondes, on vous défie d’ailleurs de poster une photo sombre. On le sait, et vous aussi, une image lumineuse où vous affichez un éclat de rire faussement spontané récoltera bien plus de likes. Forcément, dans un premier temps, on ne voit pas vraiment où est le problème. Etre heureux, ça a l’air plutôt sympa, et tout le monde approuve. Dans le même ordre d’idée, personne n’est contre la paix dans le monde, les chiots ou les parts de pizzas. Mais ce que dénoncent la sociologue Eva Illouz et le docteur en psycho Edgar Cabanas, ce sont les effets pervers d’une société où le bonheur est devenu une religion.
Dans leur livre sorti il y a quelques mois, « Happycratie », ils expliquent comment cette industrie a pris le contrôle de nos vies. « C’est un véritable business qui s’est développé avec des bouquins, des coachs de vie, des applications, etc. Les gens sont devenus obsédés par l’idée d’être heureux. Ils sont constamment en train de faire un travail sur eux-mêmes, d’analyser ce qu’ils peuvent améliorer ou ce qui leur manque… Et forcément, ça pousse à la consommation. Il y a toujours une nouvelle technique, un nouveau guide ou un nouveau produit à essayer, qui promet de meilleurs résultats. Mais cette quête ne s’arrête jamais, il n’y a pas de ‘stade final’ : on n’est jamais trop heureux », analyse Edgar Cabanas. Le chercheur explique qu’il faut toujours se demander à qui profite cette industrie du bonheur. Pascal Minotte, psychologue et responsable de projets au Centre de référence en santé mentale, confirme. « Des gens zen en toutes circonstances sont évidemment plus faciles à gérer. Si une entreprise paie un happiness manager à ses employés, ce n’est pas pour rien. Elle a intérêt à leur apprendre à maîtriser leur énervement plutôt que de les amener à questionner le système en place. »