Après un premier album certifié disque de platine en 2017 et les Brit Awards du meilleur artiste masculin et du meilleur album en 2018, l’artiste brille plus que jamais au firmament des rappeurs londoniens.
Mais son nom est surtout connu pour les propos virulents qu’il a tenus à l’encontre de Theresa May lors de la cérémonie des Brit Awards en février de l’année dernière. Ses mots – et son torse nu – ont marqué les esprits. Durant sa performance, il s’est lancé contre toute attente en plein milieu de son hit « Blinded By Your Grace Pt 2 » dans un discours sur la tragédie de la tour Grenfell en 2017 (cet incendie survenu dans un immeuble à appartements à Londres qui a coûté la vie à une septantaine de personne, NDLR). « Yo, Theresa May, où est l’argent pour Grenfell ? Quoi ? ! Vous pensiez qu’on avait oublié Grenfell ? ! »
Stormzy avait pris soin de ne pas révéler son plan, même à sa petite amie, la présentatrice télé et radio Maya Jama. « Je voulais que chaque mot soit entendu », a-t-il confié récemment à ELLE UK. « Je n’avais droit qu’à cinq minutes avec le public britannique. Je voulais utiliser mon temps de manière utile en faisant entendre ma voix dans une déclaration percutante. » Mission accomplie ! La tempête de réactions qui a suivi a poussé le gouvernement à reconnaître que l’aide aux victimes avait été mise en place trop tard. Mais pas question pour lui de se laisser manipuler comme un pion politique. Tout ce qu’il veut, c’est dire la vérité. « À une époque, la musique se pliait aux lois de l’industrie », explique Stormzy dans une interview à « Vogue ». « Les musiciens se préoccupaient avant tout de savoir si leurs morceaux allaient passer à la radio. Aujourd’hui, ils osent beaucoup plus exprimer leur point de vue et afficher ce qu’ils représentent. »
Des débuts difficiles
Il y a dix ans, Stormzy (25 ans), le rappeur grime qui cartonne, n’était encore que Michael Omari. Sa jeunesse n’a pas été rose tous les jours. Il a grandi à Croydon, une ville de la banlieue sud de Londres, entouré d’un jeune frère, de deux sœurs et d’une mère ghanéenne. Dans son morceau « Lay Me Bay », le chanteur exprime la rage et le mépris que lui inspire son père, ce grand absent. La famille ne roulait pas sur l’or et l’adolescent passait le plus clair de son temps chez des amis qui vivaient dans des maisons aussi belles que confortables. Il essayait de gagner de l’argent par tous les moyens, avait de mauvaises fréquentations, testait différentes drogues... Bref, le parcours classique. Dans les interviews, il n’aime pas trop s’étendre sur ce sujet et emploie le terme « fuckeries » pour évoquer son comportement d’ado.
La musique faisait déjà partie de sa vie. Très tôt, il écoute du grime, un courant britannique dérivé du rap et du jungle qui a émergé au début des années 2000 sur la scène hip-hop londonienne. Dizzee Rascal, interprète de « Bonkers », est considéré comme l’un de ses fondateurs. Pour celles qui – comme nous – ne sont pas expertes en genres dérivés du rap : le « grime », qui signifie « crasse », est une sorte de rap rapide et agressif qui évoque, dans la langue de la rue londonienne, la criminalité et la misère des quartiers défavorisés.
À l’âge de 11 ans, il commence à faire du rap dans la rue et les bars avec des amis et, deux ans plus tard, il prend le surnom de Stormzy. « Je me suis posé la question de savoir ce qui était cool et j’ai trouvé la réponse : une tempête ! » À 20 ans en 2013, il poste pour la première fois une vidéo freestyle qui récolte en un rien de temps des milliers – et depuis lors des millions – de vues. Regardez par exemple sur YouTube « Shut Up » ou « WickedSkengMan 4 », ce clip dans lequel il improvise une battle avec un garçon de 9 ans. Ce titre l’a propulsé en 2015 dans le top 20 britannique. Ou le tout premier morceau freestyle à avoir cet honneur. L’année précédente, il participait à l’émission « Later... With Jools Holland », mais il a fallu attendre février 2017 pour son premier album. « Gang Signs & Prayer » a d’emblée décroché le prix du meilleur album au MOBO Awards, la grand-messe annuelle de la musique noire britannique où il a également raflé les Awards du meilleur artiste masculin et de la meilleure performance grime. Quelques mois plus tard, il réalisait un doublé aux Brit Awards.
Un vrai bosseur
Quand on lui demande en interview son secret d’un tel succès en si peu de temps, il montre le ciel de manière éloquente. Mais il sait pertinemment que sa réussite n’est pas due à la seule intervention bienveillante du Tout-Puissant. « Je me suis toujours efforcé de travailler très dur et d’être le plus dévoué et concentré possible », confie-t-il sur Channel 4. Et aussi dans « The Guardian » : « Je trouve étrange et gênant de viser moins que le meilleur. Pour moi, cela n’a aucun sens. (...) Pourquoi essayer d’être le meilleur rappeur de Londres ou du Royaume-Uni ? Être le meilleur rappeur ne me suffit pas. Je veux être le meilleur artiste du Royaume-Uni, ce qui porte le nombre de concurrents à 100 plutôt qu’à 20. Parmi eux, on trouve aussi des groupes indépendants, des chanteuses, des chanteurs soul, des icônes du rock, etc. Alors je me dis : “Pourquoi ne pas rivaliser avec eux ? Pourquoi le Stormzy du sud de Londres ne serait-il pas à la hauteur ?” »
Qu’il le veuille ou non, son succès a pris une telle ampleur – certainement à Londres – qu’ils ne peuvent plus, avec Maya, mettre un pied dehors sans être assaillis par une horde de fans. Difficile aussi de rater cet artiste avec sa taille de géant, sa peau d’un noir profond et sa dent en or. « Dans ma tête, je suis invisible, mais il est vrai qu’un homme tout de noir vêtu qui frôle les deux mètres ne passe pas inaperçu dans la rue », déclare-t-il avec ironie dans une interview à « Vogue ».
Sa popularité, il la doit surtout – mais pas uniquement – à son talent pour la musique. Il kiffe aussi ouvertement Jeremy Corbyn, leader du Labour très populaire auprès des jeunes, et s’engage en faveur de la communauté noire au Royaume-Uni. Il a ainsi créé en 2018 une bourse qui financera chaque année les études à Cambridge de deux étudiants britanniques noirs. Et l’automne dernier, il a lancé #Merky Books, un spin-off de la maison d’édition Penguin Books qui soutient les auteurs BAME (Black, Asian and Minority Ethics). La première publication ? Sa propre histoire : « Rise Up : The #Merky Story So Far ».
Son succès divise et ses détracteurs se demandent s’il a les épaules assez larges pour être la tête d’affiche du prochain Glastonbury Festival. Mais il en faut plus pour l’empêcher de dormir. Il peut même comprendre leur méfiance étant donné qu’il n’a qu’un seul album à son actif. Il n’en sera pas moins bientôt sur la scène principale d’un des plus gros festivals au monde. Pour reprendre ses mots, ça va être « le jour le plus énorme » de sa vie.
Traduction : Virginie Dupont