Et si notre société monogame et son schéma classique était has been? Aujourd’hui, de plus en plus de couples – ou trios pour être précis – choisissent de partager leur vie avec plusieurs partenaires différents. Alors, c’est comment?

Le polyamour est un art de vivre dans lequel des partenaires se montrent ouverts à plus d’une relation amoureuse en prônant la transparence, l’honnêteté et le respect de tous les intervenants.

Le moment est donc venu de parler amour libre, relation équilibrée et vie à trois enrichissante.

Barbie : une monogame en série

Dès son plus jeune âge, Ruben a fait du polyamour son mode de vie. « J’avais une copine à la maison et une autre à l’école. Pendant mes études, j’ai mené de front une double vie, en tant qu’hétéro et homo. Je jonglais avec les relations et j’étais passé maître dans l’art de dissocier deux histoires d’amour. » Les deux parties n’étaient pas toujours au courant de l’existence de l’autre. Il arrivait aussi à Ruben de trouver un garçon à son goût tout en ayant une copine et de vivre alors une expérience à trois.

Ruben suivait son penchant naturel sans jamais compartimenter son statut. « J’étudiais, je changeais fréquemment de partenaire sexuel et j’évoluais au cœur de la scène gay. J’étais jeune, j’avais du charme et je me sentais comme Alice au pays des merveilles. »

L’auteure flamande Lara Taveirne traite des relations polyamoureuses dans ses livres. Elle s’inspire de ses propres expériences. « Pendant mes études, j’habitais avec mon amoureux et mon meilleur ami. Quand le premier partait au cours, je me glissais dans le lit du second. » 

« Le cœur d’une femme est assez grand pour accueillir plus d’un homme », peut-on lire dans « Kerkhofblommenstraat ». Questions récurrentes dans les livres de Lara : combien d’amour une personne peut-elle donner ? Et quelles sont les différentes formes que l’amour peut prendre ? L’écrivaine prend aussi plaisir à décrire le plus fastidieux : comment deux ou trois personnes aux aspirations différentes parviennent-elles à se rapprocher ?

« Mes poupées Barbie ne s’engageaient pas dans une relation pour la vie, elles étaient en quelque sorte des monogames en série », se souvient Bo Standaert, fondatrice de Polyamory Belgium. Bo se définit comme « gender fluid » (comprenez : non binaire, c’est-à-dire ni homme ni femme, les deux ou entre les deux).

Elle a pratiqué quelque temps la monogamie mais ça ne lui a pas réussi. Ce n’est qu’à partir du moment où elle est passée à une relation polyamoureuse qu’elle s’est sentie bien. Aujourd’hui, Bo s’investit en faveur du polyamour en rassemblant les polyamoureux de Belgique.

Un trio infernal ?

C’est par l’intermédiaire de son propre mari qu’Elias a rencontré son compagnon. « Nous étions jeunes mariés mais la lassitude s’était installée dans nos rapports sexuels. Nous avons décidé d’y remédier en toute transparence. »

Le couple s’est inscrit sur un site de rencontre et est allé manger un bout avec l’un des candidats. Ce qui a débuté comme une relation sexuelle s’est transformé en une relation amoureuse. Leur nouvel ami venait de perdre son grand amour après une histoire de vingt ans. La relation qu’il entretient aujourd’hui avec Elias et son mari, tout en habitant de son côté, lui apporte une certaine liberté après ce traumatisme. 

Lara laisse tantôt place à un homme, tantôt place à une femme. « Mon compagnon et moi formons le noyau. Il est très ouvert d’esprit et nous nous autorisons pas mal de choses. » Une fois qu’elle est devenue maman, Lara s’est sentie très seule et a vu son corps entièrement voué aux enfants. Son compagnon a alors introduit son meilleur ami dans leur relation afin qu’elle reçoive plus d’amour. Elle était ainsi doublement soutenue.

Ça marche aussi dans l’autre sens : ils partent en vacances avec l’ex de son mari. Lara se promène avec elle main dans la main et son mari les suit avec les enfants. « Le lien qui nous lie à elle est très fort. Elle connaît mon mari par cœur et ils partagent les mêmes valeurs. » La jalousie n’est pas de mise. Au contraire : Lara s’émerveille de voir leur histoire d’amour terminée se doter d’une nouvelle dimension. Ce serait dommage de perdre toute l’énergie qu’elle ou son mari ont investie dans ces personnes.

Ruben a fait la connaissance de son compagnon sur un site de rencontre fétichiste. La première année, ils se suffisaient à eux-mêmes. « Chacun de nous était centré sur l’autre. » Après quelque temps, une envie de plus s’est fait sentir.

Ils ont rencontré leur ami sur internet. Son compagnon chattait avec lui depuis longtemps et à un moment donné, Ruben en a eu assez : « Je leur ai dit : “Mes chéris, vous ne pensez pas qu’on devrait se rencontrer ?” » Leur ami habitait à l’époque en Lettonie. Ils ont pris l’avion pour le rejoindre et ça a « matché » dès leur rencontre à l’aéroport, raconte Ruben. « L’attraction était telle que nous avons eu du mal à attendre d’être arrivés à l’appartement. » Par la suite, l’ami en question a déménagé en Belgique et s’est installé chez eux.

Pour l’instant, Bo a une seule partenaire, une femme donc. Plusieurs personnes pour qui elles ressentent plus que de l’amitié évoluent aussi dans leur vie. « Mais je n’aime pas coller des étiquettes », précise-t-elle.

Quand l’amour se conjugue à trois

Sur le plan pratique, être trois au lit/au bain/dans un canapé suppose parfois quelques ajustements. « Nous avons fait installer trois Boxspring côte à côte. En été, il peut faire très chaud et on tire alors au sort celui qui devra dormir au milieu », confie Ruben en rigolant. Pas de jalousie entre eux, sauf quand l’un des trois s’intéresse à une quatrième personne. « Sur le plan sexuel, nous nous complétons : son mari et son ami sont plus doux entre eux, alors que Ruben est comme le coq dans la basse-cour. »

Elias fait lit à part : « Nous faisons rarement l’amour à trois. Il y en a toujours un qui se sent de trop. » Lorsque son mari et son ami font l’amour, il reste en retrait. Toutefois, celui qui ne participe pas est toujours le bienvenu. 

Bo : « Quand vous ressentez de la jalousie, accueillez-la comme une vieille amie et prenez le taureau par les cornes : qu’est-ce qui ne tourne pas rond dans la relation ? Est-ce dû à moi et à mes incertitudes ? » Dans pareil cas, la monogamie offre un filet de sécurité, mais dans une relation polyamoureuse, il est indispensable de communiquer clairement.

Lara partageait son lit avec deux autres personnes sans qu’il soit question d’un ménage à trois qui briserait le noyau qu’elle forme avec son mari. La vie est néanmoins plus facile avec trois personnes à la maison. Il y en a toujours une pour s’occuper du bébé. Et pour faire la cuisine. Celui qui rentre le premier commence à préparer le repas. « Avec trois styles de cuisine différents, les repas sont très variés », se réjouit Ruben. « La vaisselle est expédiée en un temps record », ajoute Elias.

Et Bo d’ajouter que le polyamour fait disparaître la pression : « Dans une relation monogame, vous devez jouer tous les rôles pour votre partenaire : ami, partenaire sexuel, bon cuisinier, conseiller. » L’arrivée d’une troisième personne fait retomber cette pression.

En revanche, aller à l’hôtel requiert une certaine organisation. Souvent, un des trois finit sur le lit d’appoint qui grince quand ce n’est pas le King Size qui est trop étroit. Airbnb offre aujourd’hui des solutions. Quant au tête-à-tête au restaurant, il se termine en jeu de chaises musicales quand on est à trois. Elias : « Les adresses que nous fréquentons régulièrement sont dans la confidence. Quand j’appelle, on me demande toujours si nous serons deux ou trois. »

Dispute puissance trois

Se disputer quand on est trois, c’est beaucoup plus compliqué. Arriver à un compromis pour l’achat d’un frigo ou d’une voiture n’a rien d’évident. « Il y a trois parties. Manipuler l’avis de deux partenaires n’est pas simple. À deux, il vous arrive de céder, mais à trois ? Vous êtes obligé d’argumenter », explique Ruben pour qui ça sent le vécu.

Selon Elias, le troisième doit rester neutre : « Autrement, il a vite fait de prendre parti. » « C’est justement ça qui est intéressant, car il peut jouer les arbitres et faciliter la concertation », ajoute Ruben. 

Bo : « Dans une relation à trois, vous avez davantage conscience que votre partenaire peut vous quitter, précisément parce qu’il ou elle a d’autres partenaires. On reste à vos côtés pour la personne que vous êtes, pas par confort ou facilité. Cela peut générer certaines incertitudes. »

Et à Noël ?

Tout le monde n’a pas la possibilité de se retrouver à Noël autour de la dinde de Mamie. Elias cache la situation à sa famille pour éviter tout conflit. Il en parle rarement, mais ses amis sont au courant puisqu’ils se rendent à trois aux fêtes. Aujourd’hui, ils sont invités tous les trois aux mariages ou aux vernissages. Les réactions sont néanmoins mitigées. « Certaines personnes ont besoin de Dieu et du curé dans leur vie, d’autres créent leurs propres règles. »

La relation polyamoureuse de Ruben avec son mari et son ami a récemment pris fin. Chacun a décidé de suivre sa propre voie. Mais si l’occasion se représentait, il n’hésiterait pas à la saisir une seconde fois. Le polyamour est une valeur ajoutée et un must, à condition de s’appuyer sur une confiance mutuelle solide.

Il faut foncer sans se laisser dissuader par la société et les attentes des autres. Quoi de plus beau que d’avoir plusieurs personnes pour remplir votre vie et votre cœur d’amour? « Vieillir dans la solitude est ma plus grande angoisse. »

Lara a peur elle aussi de veillir seule. Elle a longtemps confondu amour et intensité. Mais cela implique douleur, malheur et fatigue. Auparavant, elle aspirait surtout à cette intensité et pouvait difficilement se résigner à une relation en tête-à-tête. Son manque de confiance en soi augmente son besoin d’attention. « Un seul homme ne me suffit pas. »

La société fait preuve d’un peu plus de tolérance envers le polyamour parce que celui-ci fait de plus en plus souvent la une des médias, d’après Bo. « Mais je ne lis pas les commentaires des internautes sous les articles, je ne suis pas fou. » 

Le dico du polyamour

Triangle : trois partenaires entretenant entre eux une relation mutuelle.

Métamour : autre compagne ou compagnon de votre partenaire.

Monopoly : terme qui désigne une relation entre une monogame et un(e) polyamoureux/se.

Solopoly : personne qui a des relations polyamoureuses, mais revendique son indépendance en vivant seule.

V : une relation dans laquelle une personne vit une relation amoureuse avec deux partenaires, qui n’entretiennent entre eux aucune relation.

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Traduction : Virginie Dupont.