Avant, dans le vieux monde, il y avait une journée dédiée aux droits des femmes. Une journée sur l’année. Retour vers le passé. Une (mauvaise) humeur de Juliette Debruxelles.

Comme on en a gros et qu’on est de mauvaise foi, on a le droit d’imaginer que la création de la Journée internationale des droits des femmes aux Nations unies, en 1977, a dû se passer comme ça : « Les femmes, ça ne va pas du tout. Ça fait quand même une dizaine d’années qu’elles se sont réveillées pour manifester leur hystérie en public et ça ne s’arrête pas. Alors ce qu’on va faire, c’est qu’on va leur filer un jour entier pour geindre et réclamer. Tout le monde est OK ? Elles pourront dire que l’égalité ceci, que le sexisme cela et puis elles seront contentes. Et quand elles sont contentes, elles passent mieux l’aspirateur. On met ça quand ? Le 4 mars ? C’est l’anniversaire de ma mère, ça va lui plaire. Ah non, Jean-Jacques me dit que le 4 mars, c’est déjà la Journée internationale du tennis*. Le 12 mars alors ? Ah non, c’est la Journée internationale de la courtoisie au volant*… Bon ben, on va faire ça le 8 alors. Le 8, ça va pour tout le monde ? Jean-Jacques, tu valides ? » 

Et c’était plié. C’était super, une journée entière pour participer à la grève mondiale des femmes et manifester entre gonzesses sans trop se faire emmerder. Une journée entière pour dire que gnagnagna, que c’est pas juste et tout ça… Trop bien ! Des meufs par pelletées rassemblées. Le terrain de chasse rêvé pour tout harceleur dégénéré. Une explosion de bonnes intentions. Dans certains magasins, on offrait une rose aux humains genrés. Une rose. C’est bien pensé. C’est une fleur, mais c’est aussi la couleur préférée des femmes. Bien joué ! Pour celles qui n’avaient pas le temps, les nerfs ou simplement la liberté de se retrouver devant les institutions pour secouer des calicots, il restait les petits plaisirs du jour. Comme -10 % de réduction sur les soutifs dans les boutiques de lingerie ou sur l’épilation du frifri (on aimait bien lui donner des petits noms, on pensait que « vulve », c’était un gros mot). Ou ce collègue si attentionné (au salaire 20 % supérieur au nôtre à fonction égale) qui y pensait et nous gratifiait d’un « bonne fête » dès l’entrée.

Tant de considération, tant d’attentions. On en aurait chialé (on a la larme facile, surtout quand on a accouché). Puis quelque chose a basculé. Du massif. Du décisif. Pas mal d’entre nous ont commencé à grogner pour de vrai. À parler, à témoigner jusqu’à être écoutées. Dans les livres d’histoire, on parlera du 5 octobre 2017 (jour de la publication dans le « New York Times » d’un article dénonçant Harvey Weinstein, producteur hollywoodien surpuissant) comme date de genèse de la libération de la parole des femmes. C’est peut-être faire peu de cas des longs combats qui ont précédé, menés par des femmes courageuses, combatives et parfois moquées. Mais en tout cas, ça s’est passé. Et non, on n’acceptera pas que cette date soit une nouvelle occasion de nous « célébrer ». Toute la « bullshiterie » autour du 8 mars s’est ringardisée. Et plein de gens ont enfin compris que cette date désignée avait été créée comme une carotte pour nous conduire à la fermer tout le reste de l’année. La carotte, aujourd’hui, tout le monde sait où on l’a calée. Celles qui sont traitées comme des êtres inférieurs, qui sont humiliées, déconsidérées, frappées, harcelées, elles vivent ça toute l’année. Et c’est toute l’année qu’on va s’offusquer, agir et gueuler. Le 8 mars, ça n’a plus à exister. 

*C’est vrai. Ça existe, et même si ça a été créé bien après 1977, ça en dit long sur la valeur de ces « journées »…