Dans son livre « Girls Rock », Sophie Rosemont sort les rockaholics de leur rôle de groupies. Elles ont changé la musique, à l’envers de clichés de ravissantes fanatiques face aux messies de la scène, tout puissants leur guitare à la main.
Femmes d’affaires avisées et fans affairées, elles ont ouvert la voie dans un milieu trusté par les hommes, à une expression artistique où elles étaient reléguées à la musique de chambre. Littéralement. Mais Janis Joplin, Catherine Ringer ou Patti Smith, incarnent une féminité radicale, un message déterminant, une empreinte sociologique quasi historique. Métro, boulot, sono, quelle est votre musique à vous ?
Vous êtes une Boss, si…
Comme Mick Jagger (« She’s the Boss »), vous pensez que derrière chaque grand rocker, il y a une femme qui tient la baraque debout même s’il met toute son énergie à enflammer la scène. Un tantinet dominante, vous prenez bien la lumière, c’est pourquoi vous pouvez vous permettre un maquillage énigmatique et charbonneux. Personne n’est capable de vous donner un âge, mais de jeunes gens que vous croqueriez bien pour une nuit, vous vouvoient avec déférence. Votre vision d’une carrière professionnelle accomplie, c’est une femme qui tient le micro à pleine mains pendant que des garçons se grattent la guitare.
Votre musique à vous :
Les femmes, on le sait, excellent dans l’art de composer avec une équipe, et d’écrire leur propre partition. Etre leader d’un groupe de rock requière du charisme, de l’organisation, de la diplomatie et de l’autorité. Un pantalon en cuir, c’est bien aussi. Nul besoin d’être très expérimentée : à l’âge de 27 ans, Chrissie Hynde a sacralisé les Pretenders, et plus jeune encore, Siouxsies avec la complicité de ses Bangies a rendu le punk sexy, après avoir piqué à Robert Smith son smokey eye baveux, pour devenir une pharaonne du rock. Vous, au bureau, ça donne une leadeuse décomplexée, qui n’a pas besoin de jouer les surveillantes de pensionnat pour tenir les gamins en costard en rang serré : douceur et voix rauque valent mieux que tous les coups de règle du monde (sauf pour ceux qui en redemandent).
Vous êtes une indépendante si…
Comme Björk, vous n’êtes pas seulement rock’déjantée dans votre attitude (pas forcément dans votre look), mais aussi une mercenaire en affaires. Vous n’avez pas peur de tracer votre route, comme Catherine Ringer qui a perdu son Fred Chichin, soit parce que personne n’arrive à suivre votre style, soit parce que vous avez été lâchée par ceux sur qui vous comptiez. Au lieu de plier, vous vous êtes déployée toute seule. Vos mères spirituelles ? Annie Lennox aussi prolixe sans Dave Stewart, ou Tina Turner (dont Mick Jagger a avoué avoir copié les scénographies enfiévrées et sensuelles), qui se revendique fièrement et en musique « A Woman in a Man’s World ».
Votre musique à vous :
Comme le « Besoin de personne » de Véronique Samson, c’est la liberté qui vous aide à trouver votre voix, en conscience des indispensables interactions avec les autres. Indépendante, ça ne veut pas dire « ermite », même si on chante chaque matin « L’Amour en solitaire » comme Juliette Armanet. A l’instar des chanteuses qui peuvent désormais composer et enregistrer des épopées orchestrales depuis leur Mac, assises en tailleur sur leur lit grâce aux nouvelles technologies, vous n’aimez rien tant que les réunions par vidéoconférence avec l’autre bout du monde, en chemisier à col bien repassé au-dessus, et pyjama en bas, hors champ de la caméra. Vous êtes la PJ Harvey de l’entreprenariat libéré.
Vous êtes une salariée épanouie, si…
A la façon des girls bands de la Motown (The Supremes) ou des stars des nineties (Spice Girls), vous avez compris que vos collègues féminines sont vos meilleurs atouts. Courtney Love exprime depuis les années 90 ses tempêtes émotionnelles grâce aux compositions de son groupe Hole. Entre filles / collègues – on est plus fortes. La camaraderie, c’est ce qui nous tient debout quand ça tangue. Courtney Love, en colère depuis à peu près toujours, s’apaise en s’accordant le droit de ne pas hurler avec la meute, mais de diffuser son énergie en groupe. A votre échelle de croqueuse de photocopieuse, ça se traduit par un engagement vis-à-vis de vos collaboratrices, qui vous renforcent dans la nécessaire sécurité que vous avez cherchée plus ou moins consciemment en signant pour intégrer une équipe de filles.
Votre musique à vous :
Les couettes à la Nina Hagen vous vont plutôt bien. De même que les postures de gamine rebelle, les nuisettes portées en robe, les codes de l’adolescence qui veut bien grandir mais pas vieillir. Plus solidaire que solitaire, vous avez besoin de vous serrer les coudes sur les dossiers tendus, et de vous détendre au coude à coude dans un bar plus tard. Votre titre phare des Spice Girls ? « Who Do You Think You Are ». Tu te prends pour qui ? Pas vraiment syndicaliste mais facilement radicaliste, il ne faut pas vous chercher. Ni vous, ni vos copines, et surtout pas le vendredi à 16h.
Vous êtes faite pour vous éclater dans une ONG, une asbl, un syndicat, si…
Les inégalités sociales, la guerre, le féminisme sans cesse remis en question, le réchauffement climatique et le refroidissement politique, ça vous échauffe, précisément. Longtemps pour une femme, être artiste, rockeuse de surcroît, c’était un poing levé en soi. Joan Baez, Tracy Chapman ou Patti Smith ont refusé d’être des passionarias de l’amour, mais ont préféré changer le monde. C'est plus durable. Vous aussi, vous vous concentrez sur les investissements à long terme. La protest song, apanage de Yoko Ono, dont le message se diffuse depuis des bed-in, conférences en chambre, c’est votre révolution quotidienne. La paix oui, mais dans un lit – ou un bureau rose - fait au carré.
Votre musique à vous :
C’est un rythme qui oscille entre le rock et le folk. Comme Joan Baez, vous y allez mollo sur le maquillage, tranquille sur le brushing, et vous courez répondre au téléphone pieds nus. Vous voulez bien « Talkin’ Bout a Revolution » (Tracy Chapman), mais sans vous encombrer des attributs d’une féminité caractérisée. Comme Patti Smith, vous combattez le machisme en vous appropriant les codes des garçons, chemise blanche masculine et veste de costard oversize, merci Ann Demeleumeester, sa grande amie. Et si l’envie vous en prend, pour une opération de communication importante, vous adoptez le dépouillement éloquent, façon Sinead O’Connor, consciente qu’il faut parfois murmurer pour mieux faire entendre des vérités à crier. « People Have the Power » chantait Patti. Vous aussi, et ça commence ici.
Illustrations : Marie Morelle