On l’a compris, les courbettes au chef et l’organigramme vertical, pour une entreprise qui veut survivre, c’est fini. Et si on s’inspirait de ce qui fait bouger le monde du travail ? Et si on adoptait les meilleures et les plus simples idées pour faire un pas vers le succès ?
Le prérequis indispensable avant de proposer un changement dans les habitudes de travail de sa team (qu’elle soit composée de 2 ou de 20.000 personnes) : savoir – ou tout le moins ressentir – qu’il est indispensable de faire bouger les choses.
Le monde est rempli de boîtes qui périclitent parce qu’elles ont cultivé l’idée selon laquelle « on a toujours fait comme ça » est un gage de réussite. C’est faux. Les entreprises qui n’ont pas su prendre le tournant – pas seulement technologique, mais aussi social et humain – se vautrent comme des châteaux de cartes.
Pour entamer un changement, il faut pouvoir mettre au jour les dysfonctionnements et les frustrations ressenties par chacun dans le cadre de son job. Et là, c’est balaise. Comment trier le grain de l’ivraie, séparer les ambitions personnelles des efforts collectifs, les résistances légitimes des effets de paresse ? « C’est un travail long et fastidieux que de faire bouger un bateau-entreprise sans que des forces contraires viennent contrarier le bon déroulement de la manœuvre. » Françoise, qui occupe de hautes fonctions au sein du département communication d’une banque belge tournée vers l’innovation, utilise des métaphores maritimes dès qu’elle parle de mobiliser les troupes vers le changement. « C’est la meilleure image qui me vient : il y a ceux qui rament pour atteindre un objectif, ceux qui freinent par volonté de ne pas atteindre la rive et ceux qui ne font rien et constituent une charge dans l’embarcation. Ces derniers sont statistiquement plus nombreux que celles et ceux qui foncent avec conviction. Je dirais – et je reprends de tête les chiffres qui circulent dans plusieurs études – que 20 % des gens avec qui je travaille sont des moteurs dans l’évolution des mentalités et des manières de travailler, que 50 % suivent les décisions sans enthousiasme ni résistance et que 30 % sont des saboteurs. Soit parce qu’ils sont persuadés que le monde d’avant était meilleur pour eux, soit parce qu’ils ont un intérêt personnel à ne pas se laisser distancer par des gens plus motivés qu’eux. Quand il s’agit d’exécutants, on peut tenter de les convaincre, de leur expliquer, de les former. Mais quand il s’agit des personnes à la tête des départements, c’est beaucoup, beaucoup plus compliqué... »
Une des solutions du management actuel : laisser les employés proposer eux-mêmes des solutions et des changements. « C’est vrai, quand la proposition vient de l’intérieur et pas du siège ou de consultants externes, les choses sont beaucoup mieux accueillies. »
Ça, c’est la clé : ça veut dire que tout le monde peut soumettre à son management et à ses collègues des idées. Quel que soit son niveau de fonction, quel que soit son secteur d’activité, ça ne coûte rien d’essayer. Et si on commençait par proposer à ses collègues quelques mesures clés inspirées de ce qui se fait de mieux ici et à l’étranger ? Des choses pas forcément réalisables tout de suite, mais éclairantes pour la suite. Des graines à semer...
Retrouver son humanité
À l’heure où l’ombre de l’intelligence artificielle et de la technologie plane sur bien des métiers, remettre l’humain au centre est une priorité. C’est ce qu’assurent bien des théoriciens des ressources humaines et ce qu’appliquent au quotidien bien des managers. Au lieu d’ostraciser les employés jugés à côté de la plaque, l’heure est venue de comprendre pourquoi, à compétences et cadre de travail égaux, ils ne parviennent pas à performer. Chez Fiat, au Brésil, les salariés qui le souhaitent sont invités à évaluer quotidiennement leur niveau de bien-être en appuyant sur un bouton vert, orange ou rouge (ce même système affreux que l’on trouve dans les aéroports pour juger la propreté des toilettes). S’ils appuient sur le rouge, il leur est proposé de rencontrer une personne des ressources humaines pour trouver une solution. Mieux que de déverser ses frustrations à la machine à café auprès d’un collègue qu’on réussira juste à plomber. Pareil pour le droit à l’erreur, haute valeur humaine s’il en est. Se tromper ne doit pas poser de problèmes. En tout cas pas au points de craindre pour son job et donc de la dissimuler. Comme chez Air France, intégrer au management une « charte de non-punition de l’erreur » permet de réparer un « fail » annoncé rapidement plutôt que de le laisser se développer sous le tapis. Presque aussi bien que chez Inuit, en Californie, ou des « fêtes de l’échec » sont organisées en équipe lorsqu’un projet se plante, afin de « tourner la page ensemble ».
C’est à cela que veille Laura, CHO dans une agence créa : « Je repère à 100 mètres les gens qui ont fait une connerie. Je refuse de les infantiliser, donc ma première réaction, quand on vient m’informer d’une erreur, est de dire : “Tu es un être humain, tout va bien.” Résultat : sans que l’on vienne me confier ses histoires personnelles (je ne suis pas là pour ça et la frontière est très claire), on s’adresse très souvent à moi pour soulever une tension ou un souci avant qu’il ne devienne un vrai problème... »
Ne rien cacher
Les décisions stratégiques qui se prennent derrière la porte fermée du directeur de la boîte dans laquelle on laisse des heures de vie, c’est fini. Aujourd’hui, le top management est has been et l’horizontalité dans les rapports hiérarchiques s’installe. Au point, dans certaines boîtes, d’offrir aux employés, quelles que soient leurs qualifications, de participer aux « réunions de direction ». Pourquoi ? Pour augmenter la qualité de la communication au sein de l’entreprise et offrir une transparence aux premiers concernés : les travailleurs. Si l’entreprise va bien, autant le savoir. Si elle va mal, autant comprendre pourquoi et agir à tous les niveaux. En supprimant la frontière entre « dirigeants » et « dirigés », tout le monde se sent égalitairement impliqué. C’est ce que fait Ricardo Semler, dirigeant de Semco, fabricant brésilien de matériel industriel et créateur d’une véritable entreprise
démocratique dans laquelle deux sièges sont offerts à n’importe quel salarié lors du comité de direction. En plus, les salariés fixent leur salaire, leurs horaires, leurs leaders naturels en fonction des projets, sont évalués uniquement sur les résultats et décident de la répartition des bénéfices... Succès total : chiffre d’affaires exponentiel et turn-over (changement de personnel) de seulement 1 %.
Continuer à (se) former et à créer
Consacrer une heure par jour, une journée par semaine à la formation et à la créativité, c’est s’assurer le bonheur au travail. En identifiant et en « patchant » les domaines de nos jobs dans lesquels on se sent moins performant, on augmente non seulement sa productivité, mais aussi sa confiance en soit, sa crédibilité, la solidité de son équipe. Dans les boîtes créatives, en particulier, la formation est très encouragée. Il suffit qu’elle soit motivée et correctement justifiée pour être acceptée. Dans plein de boîtes qui cartonnent, on applique le 80/20 (c’est chez 3M, l’inventeur des Post-it, qu’on a commencé à trouver ça malin dès les années 80). Le principe : les gens peuvent utiliser jusqu’à 20 % de leur temps de travail pour développer de nouveaux projets pas encore validés, creuser des idées, remplir leur cerveau de nouveau et de beau. Votre boss ne comprend pas à quoi pourrait vous servir une formation en assertivité alors que vous bossez aux ressources humaines et vous soupçonne de vouloir glander sur les bancs une journée durant ? Il ne sait pas pourquoi vous avez besoin de trois heures à rêvasser le nez en l’air en regardant un reportage pour trouver l’idée du siècle qui va le rendre richissime ? Quittez-le.
Adopter de nouvelles habitudes de rythme de journée
Le télétravail un à deux jours par semaine – comme dans la plupart des grandes entreprises belges – a bien entendu fait ses preuves sur la productivité, la baisse du taux d’absentéisme, l’augmentation du temps de travail; et c’est une hérésie d’encore en douter. Reste à passer à l’étape supérieure avec des journées qui ressemblent à quelque chose en matière d’heures. En Suède (encore eux !), de nombreuses entreprises ont opté pour les « six heures ». Blague ? Non. Mais durant ces six heures, ça bosse pour de vrai. Et aussi le rythme de Sarah, employée administrative d’une boîte de marketing digital : « Je suis employée à temps plein, mais je travaille quatre jours par semaine, de 9 h à 15 h 30. Mes boss savent qu’il est impossible de rester focus sur des questions administratives huit heures d’affilée et il préfèrent me savoir concentrée. Le reste de mes heures, je les preste à la maison, selon les besoins et nécessités. Je remplis des timesheets, ce qui rend la chose très saine et transparente. Nous sommes seulement quatre seniors dans la boîte, et nous seuls bénéficions de ce régime, car nos collègues juniors ont davantage besoin d’encadrement et ne sont pas encore prêt pour ça... » La condition pour y arriver : « Ne pas traîner sur les réseaux (les accès n’ont même pas besoin d’être limités, c’est un deal entre employeur et employé), pas de coups de fil personnels. J’ai même été encouragée et accompagnée de manière informelle dans mon arrêt du tabac. Du coup, je ne prends plus de pauses à rallonge... Et chez nous, les réunions sont tellement bien cadrées qu’elles ne durent pas plus que le temps nécessaire à communiquer des infos essentielles. » C’est un peu froid comme climat ? « Même pas. Rien n’interdit l’échange, la collaboration, les discussions, mais pour autant qu’ils soient tournés vers le projet. » Pour se raconter le dernier pipi au lit du petit, il reste dix-huit heures libres après le taf...