La fille pèse plusieurs milliards d’euros et est classée parmi les « superentrepreneuses », soit les femmes les plus riches de Chine (parmi les 50 femmes les plus riches du monde, on compte une trentaine de Chinoises). C’est lourd. Surtout qu’à la naissance, disons qu’elle n’était pas programmée pour la fortune. « Je devais constamment penser à la manière dont j’allais trouver mon prochain repas », déclarait-elle récemment à CNBC. Pas de conte de fées : elle n’a pas été sauvée de la pauvreté par un oncle richissime qui lui aurait légué sa fortune (comme l’immense majorité des femmes milliardaires qui sont la plupart du temps des héritières).
Zhou Qunfei s’est faite toute seule, en travaillant, en croyant en elle, en ne comptant pas ses heures de sommeil. Lens Technology, la boîte qu’elle a créée, fournit presque la moitié des écrans des smartphones produits sur terre (40 % aux dernières nouvelles).
C’est énorme et, depuis 2003, ça fait d’elle un exemple pour ses 90.000 employés et ouvriers. Les conditions de travail des gens qu’elle emploie ? Disons pas pires que celles des autres secteurs de l’hyperconsumérisme. Des conditions qu’elle connaît bien, puisqu’avant, l’ouvrière à la chaîne, c’était elle. Dans sa précédente vie de misère, elle fabriquait des vitres de montre pour un dollar de l’heure. Une situation qu’elle n’avale alors pas et qui la pousse à présenter sa démission à son patron. Bluffé par la démarche (quand on survit à ce point-là, en général, on ne démissionne pas) et par la qualité de sa lettre, son boss refuse qu’elle se tire et lui propose une promotion. Elle finira par l’épouser. C’est le début de la fin du cauchemar pour celle qui avait perdu sa mère à 5 ans et imaginé plusieurs fois le pire pour son avenir.
Un père ancien soldat et presque aveugle qui fabriquait des paniers en bambou et réparait des vélos, des cochons et des canards dans le jardin pour assurer un revenu supplémentaire à la famille, des frères et sœurs qui n’étaient pas scolarisés après les primaires… Ça, c’était le décor. À 16 ans, elle quitte la maison et déménage vers la « zone économique spéciale » de Shenzhen (une zone test imaginée par Deng Xiaoping pour fabriquer localement des produits vendus aux marchés étrangers. Le début du « Made in China », quoi). Elle commence à bosser à l’usine, tout en suivant des cours de compta et d’informatique plic-ploc à l’université de Shenzhen. À 20 ans, elle est embauchée chez BielCrystal et s’épuise de 8 h à minuit à polir des cadrans. Jusqu’à ce qu’elle décide que ça suffit et qu’elle crée sa propre story.
En 1993, elle a 22 ans, 3.000 dollars d’économies en poche et fonde sa première boîte. Dans un appart trois chambres, elle bosse avec des membres de sa famille et fournit des vitres de montre qu’elle prétend de bonne qualité. Elle se plante plusieurs fois. Onze échecs. Onze boîtes lancées et autant de banqueroutes. Des moments de désespoir intenses, comme ce jour où , debout sur le bord d’un quai de gare de Hong Kong, elle songe à se jeter sous le train pour tout arrêter. « Je pensais qu’en partant, tous les ennuis s’envoleraient aussi. » Un appel téléphonique de sa fille la sort de cet état de désespoir : « J’ai réalisé que pour ma famille et pour mes employés, je ne pouvais pas abandonner. Je devais continuer. »
Alors, elle prospecte, tient les cadences et devient une fournisseuse reconnue de l’industrie horlogère. En 2003, Motorola, géant américain, lui fait parvenir ce message : « Sauriez-vous faire un écran en verre pour un téléphone mobile ? Répondez simplement par oui ou par non. Si c’est oui, nous vous aiderons à vous organiser techniquement. » Carton absolu. Le Motorola Razr V3, premier téléphone à clapet de l’histoire, se vend comme des petits pains. Et ce succès résonne évidemment sur Zhou Qunfei. Elle baptise sa boîte Lens Technology et s’offre, quelques années plus tard, le titre de fournisseur d’écrans des premiers iPhone d’Apple. Sans compter Nokia, Samsung, Huawei…
On imagine qu’elle fait une énorme teuf, sauve sa famille de la misère, se regarde dans le miroir en se chuchotant qu’elle est une winneuse... Mais en vrai, on n’en sait rien. Zhou Qunfei n’est pas du genre diva décadente qui profiterait de son statut pour se payer des W.-C. en or massif. Sur les quelques photos où elle apparaît, on voit un petit bout de femme sans make-up ni fringues de couturiers. Pas d’extravagances.
Même pas un twerk en famille lorsque la boîte est introduite en Bourse en mars 2015 ? Même pas. Pourtant, en un claquement de langue de trader, sa fortune perso augmente de 450 %. Un divorce et un nouveau mari (rencontré lui aussi à l’usine, vu que c’est pas le genre à aller chasser du gars dans une boîte à Ibiza), des maisons et apparts estimés à 27 millions de dollars, une passion pour l’escalade et le tennis de table. Une certaine vision de l’ennui, vu d’ici. Son secret : « Le désir d’apprendre. » Là encore, pas de quoi se taper des barres. La fille aurait répondu « Le désir de me faire un maximum de cash pour adresser un gros doigt levé au destin » qu’on aurait trouvé ça plus drôle et sain. Elle aurait reversé sa fortune à une association de lutte contre l’eczéma ou dénoncé publiquement les conditions de travail précaires des ouvriers dans les usines de son pays qu’on aurait applaudi. Mais Zhou Qunfei ne peut pas être partout. Quand, a 49 ans, on fait tourner plus de 30 usines, on a moyen-moyen le temps de se poser.
Proposition : créer nous-mêmes un empire et donner à Zhou Qunfei des leçons de flambe...
Ses 3 conseils pour réussir
- Être bien préparée, prévoir des plans B.
- Continuer à apprendre, à suivre les progrès et évolutions.
- Ne jamais abandonner, toujours persévérer. Y croire, surtout dans les moments difficiles.
À lire
« Factory Girl » de Leslie T. Chang. Un ouvrage de référence à propos, notamment, des travailleuses qui quittent leur village pour rejoindre
la réserve de main-d’œuvre des grandes usines chinoises, créant une véritable transformation de la société.