Engagées au boulot comme dans leur vie privée, elles se battent pour un monde plus juste, moins pollué ou moins sexiste. Focus sur trois guerrières inspirantes qui font bouger les lignes. De vraies héroïnes anonymes.
Catherine Renard / Sa cause? L’environnement
Ton engagement au quotidien ? Depuis deux ans, je suis Fundraising Expert chez WWF, je m’occupe de la récolte de fonds pour l’ONG de conservation de la nature. À côté de ça, je fais ce que je peux au quotidien : je suis végétarienne, je participe aux marches pour le climat, je me rends au boulot en train, j’essaie d’adopter le plus possible la philosophie zéro déchet et de ne plus aller au super- marché... Mais je ne suis pas non plus une acharnée. Ça m’énerve, mais je suis obligée de prendre la voiture pour emmener mon fils à la crèche par exemple, il n’y a pas d’autres moyens de transport. On ne peut pas être parfait, l’important c’est de faire des efforts, chacun à son niveau.
Le déclencheur ? Je me souviendrai toujours d’un cours de morale en troisième primaire. Le prof nous a montré une vidéo en noir et blanc sur les animaux du cirque et j’ai été ultra-choquée. Surtout que quelques mois auparavant, mes parents m’avaient emmenée voir un spectacle et j’avais fait une photo avec un tigre... En voyant ces images, je me suis dit que je voulais agir.
Combiner boulot et engagement, une évidence ? Non, j’ai toujours eu la préservation de l’environnement et des animaux dans un coin de ma tête, mais je n’avais pas l’impression que je pourrais en faire un métier. Le monde des ONG me paraissait très fermé et je n’arrivais pas à trouver d’études « classiques » à Bruxelles qui me permettraient d’en vivre. J’ai finalement opté pour un cursus en journalisme et j’ai trouvé un emploi dans le tourisme. Il m’a fallu deux jours pour me rendre compte que ça ne me correspondait pas... Malgré ça, j’y suis restée trois ans parce que le job était confortable et que mes collègues étaient devenus des potes. Je m’amusais au jour le jour, mais j’avais besoin d’un métier qui ait un sens pour moi.
Et après ? Comme défi personnel, j’ai décidé de reprendre des études et de faire un master en environnement à l’ULB. Mais c’est vraiment mon congé de maternité qui a été le déclic. Ça m’a permis de faire une pause et de réfléchir. Je me suis dit qu’il fallait que je bouge, que si je n’envoyais pas de CV maintenant, je ne le ferais jamais. Et j’ai vite décroché un job. J’ai quand même réfléchi : je quittais un boulot où j’étais mieux payée, avec beaucoup d’avantages. Mais je ne l’ai jamais regretté. Avoir un quotidien professionnel plus épanouissant, ça a tout changé.
Exercer un boulot engagé, c’est comment ? C’est tellement stimulant. Je me souviens de mon deuxième jour au WWF, j’avais rendez-vous... pour parler du tigre. Sur le moment, ça m’a paru absurde et en même temps tellement passionnant de pouvoir aborder ce genre de sujet au boulot. Pendant une heure, on m’a expliqué nos projets mis en place pour sauver cet animal et son écosystème. Quand je lis qu’un tiers des gens estiment leur boulot inutile, je trouve ça dingue. Ici, ma motivation est énorme. Avant, je voulais juste que mes boss soient contents de moi, aujourd’hui j’ai tout le temps envie de m’améliorer parce que je sais pourquoi je travaille. C’est très concret : si on arrive à récolter plus de fonds, on pourra agir davantage.
La relation avec tes collègues ? Beaucoup d’entre eux sont plus que des collègues. Même si on est tous très différents, on partage un style de vie et des valeurs liées à l’environnement, ça crée des liens très forts. C’est génial aussi de voir que tout le monde ici se sent concerné et motivé. Si tu veux juste un job alimentaire, sans t’investir dans ton boulot, tu ne restes pas dans une ONG.
Des moments plus difficiles ? C’était plus compliqué pendant mon master. On étudiait tout ce qui allait mal, les raisons du désastre écologique et je rentrais souvent en larmes à la maison. Heureusement, WWF nous encourage à être positifs et évite les discours alarmistes. Notre but, c’est de protéger l’environnement. Si on n’y croyait plus, on n’aurait plus de raisons d’exister. D’ailleurs, à chaque fois que quelqu’un revient d’une mission sur le terrain ça nous redonne de l’espoir.
Manon Brulard / Sa cause? Le féminisme
Ton engagement au quotidien ? En mai 2018, j’ai lancé, avec deux autres personnes, HackYourFuture Belgium, une école de code pour les personnes réfugiées et migrantes. On met tout en œuvre pour y attirer les femmes, j’ai d’ailleurs écrit mon mémoire sur le manque de diversité dans le milieu de la tech’. J’ai aussi créé le Wiki Club en octobre dernier. Seules 17 % des biographies Wikipédia sont consacrées à des femmes, ce qui reflète évidemment très mal leurs accomplissements. Avec d’autres personnes, on crée donc des profils pour mieux les représenter. À côté de ça, je suis partie depuis février rejoindre Tokyo à vélo depuis Bruxelles pour réaliser un documentaire sur l’utilisation du vélo comme outil d’émancipation pour les femmes. Fin XIXe, la bicyclette était jugée inappropriée pour les filles par exemple parce qu’on pensait qu’elle leur donnait du plaisir sexuel...
L’origine de ton engagement ? Je me suis intéressée au féminisme assez tard, cela ne fait que quelques années. C’est grâce à un magazine qui met les femmes cyclistes en avant, « Elles font du vélo », que la petite graine a été plantée. Après ça, j’ai lu des auteures féministes et j’ai suivi des formations sur le genre et le leadership au féminin auprès de l’ONG Le Monde selon les femmes. J’ai trouvé ça passionnant. Ça m’a ouvert les yeux sur tellement d’aspects de notre société et j’ai développé un sentiment de sororité très fort. C’est à ce moment-là que j’ai eu envie de concilier mon job et mon combat pour l’égalité, j’étais convaincue que je pouvais apporter ma contribution. Mais je n’avais jamais pensé à bosser dans ce domaine auparavant, j’ai étudié les sciences commerciales...
Exercer un boulot engagé, c’est comment ? C’est boostant. C’est tellement cool de se lever tous les matins et de pouvoir parler de sujets qui nous animent, de lancer de nouvelles initiatives pour faire avancer la situation en Belgique... C’est aussi très concret. À chaque fois que je crée un profil sur Wikipédia, j’ai l’impression de changer le monde, une page à la fois. C’est une sensation géniale d’écrire la biographie d’une autre fille, tu as le pouvoir de reconnaître officiellement son travail. Je reçois d’ailleurs souvent des messages de femmes que j’admire me disant « Merci pour ce cadeau. »
Le burn-out militant, ça te parle ? Je ne me sens pas trop concernée, mais c’est vrai qu’être activiste, ça peut être épuisant au quotidien. Surtout quand tu es engagée dans ta vie privée et dans ton job. Dès que j’ai 20 minutes de pause, j’essaie de créer un profil de femme sur Wikipédia, je vais voir beaucoup de films qui parlent du genre, je dois me forcer à lire des fictions entre mes bouquins féministes pour ne pas faire que ça... Je me demande parfois comment faire pour trouver son équilibre. Avec le temps, j’ai appris par exemple que c’était inutile de se fatiguer à convaincre à tout prix certaines personnes. L’idée, c’est que la réflexion émane des gens eux-mêmes.
Un moment marquant ? Lorsqu’on a lancé HackYourFuture, on a vraiment essayé d’adapter notre communication pour attirer les filles dans le code. Mission réussie : la deuxième et la troisième classe comptaient 50 % de femmes ! Lorsque j’ai annoncé à l’une des étudiantes réfugiées qu’elle avait été sélectionnée pour faire la formation, elle m’a dit : « Je crois que tu viens de changer ma vie. » J’ai ressenti des frissons.
Solveig Vinamont / Sa cause? La réinsertion des victimes de guerre
Ton engagement au quotidien ? En 2013, j’ai créé avec une amie et ancienne collègue WAPA (War-Affected People’s Association). Notre mission, c’est de réinsérer les ex-enfants soldats, et les victimes de conflits armés dans la société mais aussi de sensibiliser le grand public à cette problématique. À l’époque, certaines personnes disaient qu’on était folles de partir sur le terrain, deux filles en sac à dos dans un pays post-conflit en Afrique... Mais ça ne nous a pas empêchées de nous lancer. Je suis aussi engagée dans ma vie privée : j’implique tout le monde dans mes projets et je pense que certains potes en ont marre d’entendre parler de l’association (rire).
Le déclic ? J’ai fait des études de traduction. Pour mon mémoire, j’avais traduit une partie d’un livre sur les enfants soldats, « Children at War ». Quelques années plus tard, j’ai lu « Le chemin parcouru » d’Ishmael Beah sur le même sujet. Et en refermant le bouquin, je me suis dit « ça suffit ». C’était plus fort que moi, je ne pouvais pas rester les bras croisés et j’ai donc créé WAPA. Dire « c’est dramatique », ce n’était pas assez. J’ai toujours été une indignée : depuis toute petite, je ne sais pas rester inactive face à l’injustice, quelle qu’elle soit. En montant des collectifs, j’ai participé à faire changer une loi pour allonger le congé d’adoption par exemple, ou modifié la circulation près de l’école de mes enfants après le décès d’une maman.
Exercer un boulot engagé, c’est comment ? Je n’ai jamais de mal à me lever le matin. Je fais ce boulot avec tout mon cœur et toute mon énergie, c’est un privilège énorme. La vie est trop courte et demain n’est jamais garanti. Je ne comprends pas comment on peut exercer un job qui ne nous passionne pas au quotidien, rentrer s’occuper des enfants et regarder un film niais le soir avant de tout recommencer le lendemain. Après, ce n’était pas un choix facile. Avant de pouvoir en vivre, on a travaillé bénévolement et enchaîné les boulots purement alimentaires pendant deux ans. Mais je suis convaincue que je suis une meilleure personne parce que je fais ce que j’aime. C’est génial aussi de créer de l’emploi, et pas uniquement le sien. Via les programmes de WAPA, il y a toute une série de personnes qui ont du travail dans le monde.
La séparation vie privée/vie pro ? C’est compliqué vu que les deux sont liées. J’essaie de couper mes journées en deux, d’avoir la casquette « WAPA girl » uniquement pendant mes heures de travail, mais c’est difficile. Je bosse parfois le soir, les week-ends, j’ai toujours cette responsabilité en tête. Lorsque des enfants soldats ou des veuves de guerre me racontent leurs histoires, je suis forcément très impliquée et j’ai du mal à prendre de la distance. Parfois, c’est éprouvant de porter tout ça et je dois évacuer d’une manière ou d’une autre. Le temps fait toujours son œuvre et je me suis aussi mise au yoga. Ça me fait énormément de bien, c’est presque devenu essentiel pour me reconnecter à moi-même.
La relation avec tes collègues ? Elle est très forte. On se bat pour la même cause, on partage les mêmes valeurs et cette envie de changer le monde. Lorsque je lis un texte difficile qui traite des enfants soldats par exemple, j’ai envie de le partager et c’est vers mes collègues que je vais. On se comprend directement.
Un moment marquant ? À chaque fois que l’on part en mission. C’est violent et boostant en même temps. La dernière fois, c’était en Colombie et je ne m’attendais pas à ça. Je ne pensais pas que j’allais autant être bousculée par ce que j’y ai vu. Quand je rencontre des ex-enfants soldats et qu’ils finissent par me serrer dans les bras en me remerciant de me préoccuper d’eux, je n’ai plus de mots. Forcément, ça nous motive, on sait pourquoi on fait ce job au quotidien et on voit les résultats concrets.