Manon Brulard / Sa cause? Le féminisme
Ton engagement au quotidien ? En mai 2018, j’ai lancé, avec deux autres personnes, HackYourFuture Belgium, une école de code pour les personnes réfugiées et migrantes. On met tout en œuvre pour y attirer les femmes, j’ai d’ailleurs écrit mon mémoire sur le manque de diversité dans le milieu de la tech’. J’ai aussi créé le Wiki Club en octobre dernier. Seules 17 % des biographies Wikipédia sont consacrées à des femmes, ce qui reflète évidemment très mal leurs accomplissements. Avec d’autres personnes, on crée donc des profils pour mieux les représenter. À côté de ça, je suis partie depuis février rejoindre Tokyo à vélo depuis Bruxelles pour réaliser un documentaire sur l’utilisation du vélo comme outil d’émancipation pour les femmes. Fin XIXe, la bicyclette était jugée inappropriée pour les filles par exemple parce qu’on pensait qu’elle leur donnait du plaisir sexuel…
L’origine de ton engagement ? Je me suis intéressée au féminisme assez tard, cela ne fait que quelques années. C’est grâce à un magazine qui met les femmes cyclistes en avant, « Elles font du vélo », que la petite graine a été plantée. Après ça, j’ai lu des auteures féministes et j’ai suivi des formations sur le genre et le leadership au féminin auprès de l’ONG Le Monde selon les femmes. J’ai trouvé ça passionnant. Ça m’a ouvert les yeux sur tellement d’aspects de notre société et j’ai développé un sentiment de sororité très fort. C’est à ce moment-là que j’ai eu envie de concilier mon job et mon combat pour l’égalité, j’étais convaincue que je pouvais apporter ma contribution. Mais je n’avais jamais pensé à bosser dans ce domaine auparavant, j’ai étudié les sciences commerciales…
Exercer un boulot engagé, c’est comment ? C’est boostant. C’est tellement cool de se lever tous les matins et de pouvoir parler de sujets qui nous animent, de lancer de nouvelles initiatives pour faire avancer la situation en Belgique… C’est aussi très concret. À chaque fois que je crée un profil sur Wikipédia, j’ai l’impression de changer le monde, une page à la fois. C’est une sensation géniale d’écrire la biographie d’une autre fille, tu as le pouvoir de reconnaître officiellement son travail. Je reçois d’ailleurs souvent des messages de femmes que j’admire me disant « Merci pour ce cadeau. »
Le burn-out militant, ça te parle ? Je ne me sens pas trop concernée, mais c’est vrai qu’être activiste, ça peut être épuisant au quotidien. Surtout quand tu es engagée dans ta vie privée et dans ton job. Dès que j’ai 20 minutes de pause, j’essaie de créer un profil de femme sur Wikipédia, je vais voir beaucoup de films qui parlent du genre, je dois me forcer à lire des fictions entre mes bouquins féministes pour ne pas faire que ça… Je me demande parfois comment faire pour trouver son équilibre. Avec le temps, j’ai appris par exemple que c’était inutile de se fatiguer à convaincre à tout prix certaines personnes. L’idée, c’est que la réflexion émane des gens eux-mêmes.
Un moment marquant ? Lorsqu’on a lancé HackYourFuture, on a vraiment essayé d’adapter notre communication pour attirer les filles dans le code. Mission réussie : la deuxième et la troisième classe comptaient 50 % de femmes ! Lorsque j’ai annoncé à l’une des étudiantes réfugiées qu’elle avait été sélectionnée pour faire la formation, elle m’a dit : « Je crois que tu viens de changer ma vie. » J’ai ressenti des frissons.