Bonne nouvelle ! Les marques de cosmétiques créent des produits moins polluants, plus propres et plus respectueux de l’environnement et de ceux qui les fabriquent. Une véritable petite révolution.
Qu’attendons-nous d’un rouge à lèvres ? Forcément qu’il soit coloré, pratique à utiliser et agréable à porter. Mais aussi qu’il soit doux pour la peau, exempt de substances nocives et proposé à un prix raisonnable. Aujourd’hui, une nouvelle exigence s’ajoute à cette longue liste : le développement durable et tout ce qu’il implique en matière d’empreinte carbone neutre, d’emballage non polluant et de mode de production éthique et respectueux des ressources naturelles. Pour répondre à cette demande, l’industrie cosmétique s’attelle à repenser complètement ses produits.
UNE INDUSTRIE PIONNIÈRE
Certaines marques communiquent massivement sur leur politique « green ». « On ne compte plus les initiatives éthiques nées d’une prise de conscience croissante de l’impact des produits de beauté et des critiques qui en découlent », déclare Amarjit Sahota, fondateur de Ecovia Intelligence, une société de consultance axée sur le développement durable. « Prenons l’exemple révélateur des microbilles utilisées dans certains exfoliants : 5 % des particules polluantes – qui se retrouvent dans nos océans – proviennent des cosmétiques. » Sous la pression de l’opinion publique, ces composants ont déjà été bannis de plusieurs produits de beauté dans certaines parties du monde, comme au Royaume-Uni et en Californie. Ce mouvement a été amorcé il y a plusieurs décennies par des petites sociétés indépendantes comme Weleda, Dr Hauschka et Melvita. Les grosses entreprises leur ont emboîté le pas ces dix dernières années. Natura Brasil, leader des cosmétiques en Amérique latine, est « carboneutre » depuis douze ans.
Tous les acteurs de la beauté enregistrent des avancées, parfois contraints sous la pression des ONG. Sue Nabi a créé la marque new-age Orveda, qui se focalise sur des formulations et des packagings « clean » : « Le développement durable est une préoccupation majeure, parce que ceux qui n’auront pas suivi le mouvement se trouveront isolés dans dix ou vingt ans et personne ne veut être vu comme le mouton noir. »
L’industrie a un autre point fort : son pouvoir économique. « Le secteur des cosmétiques dégage des marges plus élevées que l’industrie alimentaire, par exemple. Elle éprouve dès lors moins de difficultés à mettre en œuvre ces politiques », explique Lou Green, responsable Durabilité chez Neal’s Yard Remedies. Caudalie, la société fondée par le couple Mathilde et Bertrand Thomas, est aussi un bon exemple. « Chaque année, depuis 2012, nous reversons 1 % de notre chiffre d’affaires mondial à l’organisation 1 % pour la planète. Quatre millions d’arbres ont ainsi pu être plantés dans le monde », commente Mathilde. « En tant qu’entreprise familiale, nous pouvons prendre des décisions sans devoir rendre compte à des actionnaires. » Selon Amarjit Sahota, ce ne sont là que quelques-uns des facteurs à l’origine du changement radical opéré par l’industrie : « Aujourd’hui, faire des dons à une fondation ne suffit plus aux entreprises. Elles réfléchissent à la façon de transformer complètement la création et le mode de fabrication de leurs produits. L’industrie cosmétique joue un rôle de pionnier à cet égard. »
UN CHANGEMENT FONDAMENTAL, VRAIMENT ?
Personne n’est parfait – ou du moins presque personne ! Les entreprises font des efforts, parfois coûteux, pour réduire au maximum leur impact sur la planète. Alexandra Palt, directrice Responsabilité sociétale et environnementale chez L’Oréal : « Remanier les produits est la priorité numéro 1 aujourd’hui. En 2020, chacun de nos produits aura un meilleur profil que ses prédécesseurs sur les plans social et environnemental. Nos équipes doivent mesurer en amont, dès la phase de conception, les bénéfices environnementaux des produits en s’appuyant sur un outil qui évalue leurs performances selon divers critères dont la biodégradabilité et le packaging. » Conclusion ? Innover est le maître mot ! Lancés en 2017, le masque capillaire nourrissant Banana Hair Food Fructis de Garnier et le nettoyant illuminateur pour le visage d’Yves Saint Laurent affichent un taux de biodégradabilité supérieur à 98 %.
Malgré les meilleures intentions de l’industrie, les consommateurs peuvent rencontrer des difficultés à distinguer communication marketing et changement effectif. Tout simplement parce que les enjeux sont multiples, complexes et souvent très techniques. Séverine Roullet-Furnemont, directrice Développement durable et Environnement du groupe Pierre Fabre, explique le problème : « Différentes normes et restrictions s’appliquent en matière de développement durable. Plusieurs méthodes permettent ainsi de calculer l’empreinte carbone, ce qui change totalement l’impact des chiffres annoncés. Les entreprises ont de bonnes intentions mais leur communication n’est pas toujours claire, surtout en ce qui concerne l’étendue de leurs activités. C’est particulièrement vrai quand elles sont obligées de faire des compromis. Par exemple, un packaging plus léger peut s’avérer fragile. »
De plus, les consommateurs ont parfois l’impression qu’une campagne ne montre qu’une partie de l’iceberg ou ne représente qu’une goutte dans l’océan. Vu l’absence de label universel, ils doivent effectuer eux-mêmes des recherches pour avoir la certitude qu’un produit respecte l’environnement. On cherche toujours la meilleure façon de faire passer le message au public. « Nos études démontrent que la grande majorité des consommateurs, quel que soit le pays, ont des attentes élevées dans ce domaine, mais il existe un décalage entre l’importance qu’ils accordent aux questions de développement durable et leur état d’esprit au moment de l’achat », confirme Alexandra Palt. « Réconcilier leurs convictions avec leur comportement d’achat reste l’un de nos principaux challenges, tout comme développer une communication produit efficace sans masquer le message sous des explications trop techniques. »
CONTRÔLER LA “SUPPLY CHAIN” : UNE DES CLÉS DU SUCCÈS
Les réseaux d’approvisionnement revêtent une grande importance, surtout pour les marques qui importent leurs ingrédients du monde entier. « Il en va de la protection d’intérêts communs », explique Sandrine Sommer, directrice Développement durable chez Guerlain. « Nous nouons des partenariats à long terme avec des agriculteurs, par exemple avec des cultivateurs d’orchidées en Chine. Nous avons demandé à une agence de consultance d’étudier l’impact du réchauffement climatique sur la culture du vétiver afin de mettre en œuvre des solutions avec les cultivateurs. »
Il est également important de s’assurer du caractère éthique de la production des ingrédients. Selon Alexandra Palt, L’Oréal procède chaque année à une centaine d’audits chez ses fournisseurs. « Pour certains ingrédients bruts, comme l’huile de palme, un audit supplémentaire est indispensable en raison de la complexité de la chaîne. Nous mettons aussi en place des initiatives spécifiques. Notre projet de reforestation dans le désert marocain en est un exemple. Nous nous engageons à avancer dans ce domaine et nous travaillons main dans la main avec nos fournisseurs pour mettre en œuvre des plans d’amélioration. Sur certains sujets comme le travail des enfants ou le danger pour la sécurité humaine, nous appliquons des politiques tolérance zéro. Pour d’autres, nous nous efforçons de soutenir les sociétés sur le terrain en collaboration avec les ONG locales. »
PACKAGING : PLUS QU’UN GADGET
C’est le packaging qui constitue le défi majeur. « En règle générale, les ingrédients bruts représentent 25 % de l’empreinte carbone d’un produit cosmétique, le packaging 35 % et le transport 10 %. Les processus de fabrication interviennent pour environ 10 % », détaille Sandrine Sommer.
La part du packaging dans les déchets est de l’ordre de 40 % et les progrès dans ce domaine sont lents. Amarjit Sahota pointe le pourquoi : « Malheureusement, on n’a pas encore inventé une alternative durable au plastique. L’écoplastique convient pour les conditionnements souples mais pas pour les flacons rigides. » Certaines entreprises innovent : Procter & Gamble confectionne des flacons de shampoing hybrides et Pierre Fabre s’investit depuis huit ans dans le développement d’un plastique recyclé.
D’autres vont plus loin. Lush, l’une des marques les plus engagées du secteur, a lancé l’initiative Go Naked en 2007 et vend environ 35 % de ses produits – comme les barres de shampoing solide et les bombes de bain – sans emballage. De plus, la plupart de ses emballages, y compris pour les produits de maquillage, sont recyclables. Certains peuvent être rapportés en magasin contre une réduction de prix. Lush n’est pas le seul détaillant à offrir ce système de retour – Sephora et L’Occitane le font aussi – mais l’ère du « sans emballage » n’est pas encore d’actualité.
Diminuer le poids du packaging est une autre solution pour réduire l’impact environnemental, mais comme l’explique Alexandra Palt : « Les consommateurs ont l’impression d’en avoir moins pour leur argent. » D’autres marques fournissent un contenant à la fois esthétique et solide à remplir en magasin ou avec une recharge à emporter. Ce type d’initiatives doit être expliqué aux consommateurs, spécialement dans le secteur du luxe. Guerlain et le relooking complet du packaging de sa ligne Orchidée Impériale font figure de success-story en la matière. Plus légère et plus compacte, la nouvelle génération divise par deux son empreinte carbone pour un prix inchangé. « Nous avons expliqué notre initiative à nos clients et ils l’ont comprise. La gamme a enregistré de meilleures ventes en 2017 », commente Sandrine Sommer.
Les produits les plus à la pointe sont labellisés Cradle to Cradle CertifiedTM. La marque de soins capillaires Aveda a ouvert le bal avec sept produits certifiés, mais d’autres labels comme Matrix en proposent également. Ces produits suivent le principe de l’économie circulaire : rien ne se jette, tout se réutilise, des nutriments au packaging. L’un des principaux promoteurs de ce modèle est la Fondation Ellen MacArthur (créée par la navigatrice aujourd’hui retraitée Ellen MacArthur).
NOUVELLES COMPOSITIONS : PLUS PROPRES ET PLUS EFFICACES
Depuis plusieurs saisons, les marques mettent au point des compositions qui offrent un taux élevé de biodégradabilité, spécialement pour les produits à rincer et les crèmes solaires. « Ce sont là deux catégories importantes, car les filtres U.V. sont conçus pour rester à la surface de la peau, ce qui augmente leur impact quand ils se retrouvent dans l’eau de mer », affirme Sue Nabi. « D’autres cosmétiques sont destinés à être absorbés par la peau et généralement filtrés au cours du traitement des eaux usées. » Pour obtenir des compositions plus propres et plus efficaces, certaines sociétés prennent aussi des mesures pour préserver les ressources naturelles. En d’autres mots, elles s’efforcent d’« optimiser » l’utilisation des plantes. Séverine Roullet-Furnemont cite quelques exemples : « Notre magnolia provient de déchets de culture fournis par des herboristes. Nous utilisons aussi du moringa cultivé à Madagascar. Plutôt que de jeter les feuilles, nous collaborons avec une ONG du coin pour les utiliser dans l’alimentation et aider la population locale à lutter contre la malnutrition. »
Pour Amarjit Sahota, la révolution viendra des technologies de pointe comme la biofermentation et les bactéries productrices d’actifs cosmétiques tels que l’acide hyaluronique. « D’ici 2030, notre planète abritera huit milliards d’êtres humains. Même si les cultures agroalimentaires resteront la priorité absolue, des avancées comme les biotechnologies et l’algoculture représentent des alternatives réalisables et efficaces en matière d’espace et d’usage des eaux. » Des solutions indispensables aussi car les ingrédients botaniques plébiscités ces trois dernières années ne sont pas inépuisables. « À l’heure actuelle, une seule feuille permet de produire un kilo de matières premières cosmétiques », poursuit-il. « Nous pouvons reproduire les plantes à l’identique. Rien à voir avec une modification génétique puisque les cellules ne sont pas modifiées : nous pouvons même conserver les certifications biologiques. Cette technologie reste plus chère que la culture traditionnelle, mais il y a de fortes chances de voir son prix baisser dans le futur. »
Ces innovations jouent aussi un rôle clé dans la préservation des ressources d’eau, qui viennent à manquer dans certaines parties du monde comme l’Afrique du Sud. « En période de sécheresse, nous devrions être à même de réutiliser les eaux de notre usine en circuit fermé, voire de les rendre potables », déclare Séverine Roullet-Furnemont. Son groupe vient par ailleurs de breveter une nouvelle technologie d’extraction végétale : l’eau présente dans la sève est libérée et utilisée comme solvant. L’industrie cosmétique a plus que jamais les yeux (et le cœur) rivés sur le développement durable.
Aucun défi n’est plus important pour la beauté de la Terre et des terriens.