Cette 34ème édition du festival International de Mode, de Photographie et d’Accessoires de Mode à Hyères a révélé les aspirations de protection dans un esprit « cocon de combat », d’une sélection de designers enclins à l’hommage historique.
Présidé par Natacha Ramsay-Levi, directrice artistique de Chloé, ce Festival dévoilait des inspirations « Game Of Thrones » ou néo-romantiques emblématiques d’une création qui se cherche.
Entre collections « protection » – les imprimés tatouages de Tina Schwizgebel-Wang (Suisse) – ou les chevaliers minéraux de Yana Monk (Russie) – Christoph Rumpf (Autriche), en déclinant sa vision de chevaliers brodés, a reporté les suffrages du Jury, comme de la plupart des festivaliers.
Chaque édition du Festival porte son témoignage d’une époque, et cette année a révélé un besoin de réassurance générationnelle, matérialisée sous différentes formes, mais indéniable.
Christoph Rumpf, Grand Prix Première Vision : les armures de manga brodées
Le grand lauréat, jeune designer autrichien au profil d’un candide de Saint Exupéry, a imaginé les vêtements dont aurait besoin, dans sa fantasmagorie mode, « un enfant qui aurait grandi seul les bois, pour s’apercevoir en grandissant qu’il est en réalité un prince. »
Le créateur assume le propos protecteur de sa collection, respectueuse aussi pour l’environnement, puisqu’il l’a conçue avec des surplus de tissus et des matières vintage, vérifiant toujours l’origine de ses ornements. Ses trenchs exacerbés deviennent des manteaux-armures, le gros sac à dos drapé rappelle une cape princière devenue baluchon géant.
« Je m’attache à créer de nouvelles formes qui élèvent la silhouette ». Le Festival d’Hyères a donc vu défiler des golgoths mangas habillés de tapisseries brodées, et des soldats de la mode en toges taillées dans des robes orientales recylées. Une idée moderne de la carapace, dans sa version samouraï fleuri. Natacha Ramsay-Levi a souligné que le jeune designer a reçu ce grand prix pour son « équilibre sensuel et structuré ».
Tetsuya Doi, Yota Anazawa & Manami Toda (Japon), Mention Spéciale du Jury Mode : la protection par l’accumulation
Pour ce collectif de jeunes créateurs, c’était l’humour en filigranes de détournements et d’exagération d’un vestiaire Armani des années 80 revisité. Le trio de designers japonais, débordant d’un enthousiasme vitaminé, a présenté une collection fondée sur l’accumulation des pièces : veste qui devient une cape, pantalons superposés par-dessus-dessous (mais pas enfilés, n’allez pas simplifier), blazer cousu en plastron, ils ont joué de l’excès, fait jubiler leur excentricité.
Les silhouettes oversize, pensées pour être portée par deux ou trois personnes en même temps ( !), les doubles vestes à l’envers-à l’endroit et les baggys exacerbés jusqu’aux mollets, revisitaient nos repères de proportions. Pour le second degré, un sac Vuitton retourné, doublement utilisé en casquette.
Sarah Lévy, Prix du Public et de la Ville de Hyères en Accessoires de Mode
Etudiante du département Accessoires de La Cambre, la créatrice belge a composé une galerie d’extensions du corps, sortes d’extrapolations orthopédiques de nos assuétudes modernes. « Creatures of Habit » matérialise la gestuelle contemporaine sous forme d’accessoires, et nous met à disposition les fétiches qui nous donnent confiance. Une certaine contenance sociale, aussi. Le GSM, la cigarette électronique, et dans leurs déclinaisons vivantes, le bébé porté ou le chien trimballé.
Les gants sont hybridés, les sacs augmentent la morphologie comme des effets spéciaux de cuir, pour devenir vêtements-prothèses. Car ici, l’accessoire souligne l’aspect pathologique d’une gestuelle qui est devenue organique, les automatismes assistés d’un corps qui ne suffit plus à lui-même.
Sarah Lévy a collaboré avec des orthopédistes pour que les sacs bananes d’amazones, en réalité portefeuilles conçus comme des corsets, soient confortables à l’usage comme au porté. De même, le « sac à chien », à l’origine un exercice proposé lors de ses études à La Cambre, est renforcé et rembourré, pour le confort de l’animal comme de qui le transporte.
Sarah a travaillé avec des gantiers et les artisans les plus pointus dans leur domaine, pour que le gant ne s’arrête plus au bout des doigts, mais se prolonge au téléphone ou à la cigarette. Cette collection élève la notion de « pratique » à une fusion organique de l’accessoire, avec distanciation et désirabilité commerciale.
Selon Didier Vervaeren, qui a fondé et dirige le département Accessoires à la Cambre en 2015, “Sarah Levy développe avant tout une approche créative et contemporaine de la « Maroquinerie ». En l’occurrence, la matière – la peau – associée à la technique, devient le dénominateur commun d’une série d’objets hybrides qui dressent un champ d’accessoires singuliers bien plus large que la maroquinerie traditionnelle plus souvent occupée à définir un contenant, voire son contenu. Ces objets à porter nous parlent de postures, brouillent les pistes, se portent et s’enfilent au sens littéral pour nous raconter la société sous l’angle d’un regard subtilement satirique 2.0. Un mariage accompli entre l’héritage et la modernité”.
(Infos : sarah.levy.mailbox@gmail.com)
BOTTER, par Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh
En clôture des défilés des candidats, le label Botter, couronné lors de la précédente édition du festival, désormais à la tête de la création de la Maison Nina Ricci – leur ascension est aussi spectaculaire que leur bon esprit – a présenté sa prochaine collection éponyme. Prolongeant leur propos responsable et impliqué dans les questionnements contemporains d’une société qui n’en peut plus de se marcher sur l’ourlet, les deux jeunes trentenaires ont développé des silhouettes conçues pour le mode de vie urbain avec une identité streetwear, et des accents cosmopolites. Le slogan du premier T-shirt en ouverture de leur défilé : « Do you see us now ? ». Tellement.
Photos défilé : Etienne Tordoir/ Catwalk Pictures
Photos Sarah Lévy : Benoît Bethume