Jusqu'au 15 septembre, La Haye et le Mauritshuis célèbrent les 350 ans de la mort de Rembrandt. Vous apprendrez que les réseaux sociaux, à côté de l'affichage des portraits de famille de l'époque, c'est rien.
A deux heures de Bruxelles (moins depuis Anvers, logiquement), les Pays-Bas exposent, à La Haye et au Rijksmuseum d'Amsterdam, l'âge d'or de la peinture hollandaise et flamande.
Vous n'imaginez même pas la modernité du concept, vous qui en êtes encore à chercher le bon filtre pour vos selfies.
Ces maîtres-là, l'art de tout dire en un regard, de faire passer le message "ma vie est parfaite" juste en soignant le fond, et de camoufler les outrages du temps ou du sucre sur les dents, ils en ont fait un mouvement d'art majeur.
Comme en maquillage, on va commencer par la base :
L’âge d’or du mouvement baroque, de ses balbutiements post-gothiques aux fresques pré-hollywoodiennes, est né aux XVIème et XVIIème siècles, quand les pays d’Europe ont réellement commencé à s'enrichir. Les Hollandais étant protestants, ils ont contribué à la culture du baroque, mais les dorures ne sont pas passées par eux.
Leur "Golden Age" est riche, mais simple. On retrouve tout de même des ornements dorés dans les musées des Pays-Bas, lorsque l’inspiration venait des décorateurs italiens, qui ont apporté leur baroque florentin vers le début du XVIIIe siècle.
Pourquoi le Mauritshuis ?
Ancienne résidence du gouverneur du Brésil, ce musée recèle les plus belles « petites collections » du monde.
On y apprend que les peintres de l'époque redoublaient de créativité pour séduire leur clientèle qui faisait office de mécène : la monarchie, l’aristocratie et l’Eglise. Quatre siècles avant Instagram, les marchands prospères leur commandaient des tableaux, beaucoup de portraits notamment, que l’on peut voir comme les prémices du selfie.
Au début, sans illustrations en backgrounds, car les peintres du XVIe siècle ne maîtrisaient pas encore les notions de perspectives. Ensuite, à la Renaissance, ils ont développé leur art, pour donner du relief et de la profondeur aux personnalités représentées. Des petites touches de dorées sont apparues, dans les bijoux, ou les bagues des oiseaux de proie. Discrètement, pour ne pas étaler son faste, mais avec la subtilité de l'affirmer.
Avec le temps, des portraits « plats », on est passé aux représentations enrichies de détails, et nuancées de volumes. Cette évolution concernait d’abord les portraits commandés par la royauté, l’église préférait les tableaux avec plus de fonds et de perspectives. Au XVIIe siècle, les Italiens ont introduit la lumière et la profondeur, qui ont inspiré l’école Rembrandt.
Les natures mortes permettaient d’être « modestement show off », tout en diffusant un message : des horloges rappelaient que le temps passe, des verres et des calices coûteux, des coupes à moitié vides, des pains presque mangés démontraient qu’on avait les moyens de bien se nourrir, et même d’en laisser. "Regardez notre table, mais ne cherchez pas de diamants cousus au rideau". Les bouquets de fleurs, avec des petits insectes et des lézards qui les convoitent exprimaient le même présage : rien ne dure. Chaque peinture était une leçon de vie.
Il faut comprendre ces tableaux comme la forme post médiévale du story telling, qui racontait les hivers rudes, qui montrait que perché sur des patins à glace, chacun était égal à son voisin. Mais dans les tableaux, on perçoit aussi les « nouveaux riches » et dans certaines peintures, comme chez Hendrick Avercamp, on glisse (littéralement, sur la glace) des récits acerbes d’un Brueghel aux témoignages sociaux des maîtres hollandais. Dans ces tableaux, on comprend toujours l’idée, ironique, qu’il faut être préparé à toutes les éventualités. Glisser sur le verglas, et se retrouver cul nu, ou soulager un besoin naturel en se cachant derrière une coque de bateau planté là à la verticale, mais au regard de tous, et de toute manière de qui admire l’œuvre picturale.
Dans le tableau du paradis de Noé, peint à quatre mains par Rubens (peintre emblématique du baroque, et Brueghel, on constate, en fonction de qui tenait le pinceau, leur capacité différente à développer la profondeur dans les tableaux. Mais même dans les scènes intimes, le background est sombre. Selon les animaux représentés, avec leur symbolique (le savoir du perroquet, l'innocence du lapin, le serpent tentateur, il est question de savoir, de transmission, du temps qui passe.
Comment distinguer un portrait d'une représentation peinte "de mémoire" ?
C'est hélas assez trivial : dans les portraits peints "en directs", les personnages ont la bouche fermée : à l’époque, les gens avaient les dents noires (au mieux), ou tombées. Dans les portraits peints de mémoire, les visages sont souriants, les lèvres ouvertes.
Des représentations symptomatiques d’une sociologie
Dans les autres pays d’Europe, les gens fortunés suspendaient de riches tableaux de châteaux, des portraits de familles nombreuses et joliment vêtues. Les Hollandais ? Des vaches. Immenses. Sur un mur entier.
Dans ce tableau de Paulus Potter, The Bull, 1647, on reconnaît à nouveau que la vie peut être contrariante, et les mouchettes tellement réalistes, que lorsque le tableau fut accroché, on raconte que des visiteuses américaines frappèrent le tableau de leur parapluie, pour chasser les insectes.
Derrière, un vaste ciel nuageux, et un petit village en perspective (puisqu'on avait appris, il fallait l'amortir), et toujours un peu de décalage ironique: si on y regarde bien, le fermier fait pipi.
Beaucoup de trompe-l’œil, mais pas de tape-à-l’œil
C'est très Flamand, même en mode.
Dans les belles maisons de l’époque, en Hollande, on pénétrait toujours dans les maisons par de petites pièces, pour faire humble. Les salles plus vastes, la vie privée, le faste, c’était derrière. Et si de nombreuses peintures représentaient des scènes de cuisine, aux murs humblement nus, un perroquet exotique évoquaient la fortune et les voyage, sans trop en raconter, quand même.
Pour la critique sociale, avant Facebook, il y avait Jan Steen. Dans le tableau "As the Old sing, so Pipe the Young", 1668 (l'année, pas le nombre de likes), dans cette scène familiale, on voit des citrons, et des huîtres : des aphrodisiaques. Un petit chauffage sous la jupe de la mère, ça chauffait. Mais aussi du raisin, qui symbolise la rédemption du Christ. Les perroquets donc, symbole de ce qu’on apprend, puisqu’ils parlent, alors que le langage humain n’est pas leur vocation première.
Les grands rideaux, comme une scène, car la vie est une pièce de théâtre. Les enfants font des bulles, mais les bulles, ça éclate. Lorsque vous visiterez cette exposition cet été ou lors de l'un des week-ends à rallonges jusqu'à la rentrée, investissez si vous le pouvez dans une visite guidée : si un expert ne vous décrypte pas ces détails qui n'en sont pas, vous ne pourrez vraisemblablement pas tout deviner.
L'un des must see : La leçon d’anatomie (1632)
Vous avez sans doute déjà aperçu ce tableau, ou l'une de des parodies. Ce sur quoi vous ne vous étiez peut-être pas attardé(e), ce sont les points de lumière sur les visages. Une forme de « toucher éclat » Renaissance, du bout d’un autre pinceau. Ici, la lumière vient d’en haut, car le tableau est peint depuis les étages d’en bas. Le fond est très peu visible, on perçoit surtout des ombres, dans cet hôpital. Chacun regarde dans une direction différente, essaie de capter l’attention sur soi. Une observation sociale toujours très actuelle. On observe le triangle de la vie : apprendre, faire, partir.
Les premiers selfies
Rembrandt était un précurseur en la matière : cela lui permettait d’exercer son pinceau à l'exercice du portrait, sans dépenser tout ce qu'il gagnait pour payer des modèles.
Son art consistait notamment en changer le focus. Sur ses toiles, les cols blancs étaient un peu éteints, par souci de réalisme. Evidemment, on ne changeait pas de linge tous les jours (ni toutes les semaines, mais c'est une autre histoire).
Il intégrait encore de l'or sur les vêtements de ses sujets, mais les recouvrait de peinture noire, et un peu grattée pour donner du relief. En revanche dans le décor-même, rien.
Rembrandt, superstar du Golden Age, référence parmi les Maîtres hollandais, a fini sa vie en superstar fauchée, ruiné en accessoires qu'il s'offrait comme sujets de peintures. Grand précurseur, à la fin de sa vie, il frôlait Gauguin : son art a évolué jusqu’à flirter avec l’impressionnisme.
L'exposition Rembrandt au Mauritshuis, qui révèle des dizaines de toiles inédites au public (elles était stockées dans les réserves du château), coure jusqu'au 15 septembre. Bon à savoir : la plupart de ces tableaux resteront exposés à La Haye, encore après le cycle Rembrandt cet automne.
Pour les inconditionnels (on en sera), du 17 octobre 2019 au 19 janvier 2020, le Mauristhuis exposera "Nicolaes Maes: Rembrandt’s Versatile Pupil". Car à la façon des Florentins - et des autres génies à l'origine des grandes Ecoles de peinture", les Maîtres ne peignaient pas tout eux-même.
Pendant ce temps, la jeune Fille réserve de belles perles à vous raconter.
En pratique :
Pour aller à La Haye (depuis Bruxelles) : un peu moins de 2h en voiture, à peu près la même chose en Thalys.
Pour loger : quelques tips dans notre article "Un Week-end à La Haye"
Pour bruncher : le Coffeelicious (à littéralement 2 pas du Palais Escher). Une grande et belle carte d'assiettes sucrées et salées, avec options végétariennes et vegan, toutes les déclinaisons trendy des bowls divers et des boissons chaudes variées au miel et curcuma, ou matcha, ou ce qu'on veut. La vitrine des gâteaux maison (à l'américaine, mais version healthy) est sincèrement réjouissante.
Pour dîner : le Tapisco, primé au Michelin, à deux minutes du Mauritshuis, est un restaurant à tapas de luxe, même pas particulièrement cher. Dans un décor en carreaux peints portugais typique et branché, on déguste des assiettes dressées minutes, de plats originaux composés de produits ultra frais, au goût qui imprime la mémoire.
Merci à Remco Dörr, guide et historien à son propre âge d'or, sans qui nous serions passé à côté des petites histoires qui font la grande.
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