La top, icône d’une génération d’Amazones résilientes, protégée de Rihanna, signe une ligne de baskets avec The Kooples, et nous taille comme un joyau sa vision de la maternité.
L’Hôtel de Crillon, à l’aube (10h30). Une foule d’assistants se presse devant sa suite, un groupe de journaliste mange des croissants, un maquilleur rajoute du vert.
Slick Woods patiente, nonchalante en fourrure émeraude – assortie à ses cheveux et à ses sourcils – tandis qu’on finit de la préparer. Sur la table basse trônent des sneakers montantes, fruits de sa collaboration avec la marque française rock chic. Slick déclare qu’elle « crève de faim », avise le petit buffet de viennoiserie préparé pour elle, et se jette… sur un quartier de pamplemousse. Sous son manteau ouvert, en haut, elle ne porte rien.
Simone Thompson de son état civil, vit une success story de l’Amérique moderne. Privée de sa mère à l’âge de quatre ans, elle a été élevée par sa grand-mère avant de finir à la rue avant ses treize ans. Petit passage en prison – pas longtemps – puis la vie lui sourit, elle aussi, de ses dents du bonheur. La jeune fille rencontre à un arrêt de bus un beau mannequin qui la guide vers les studios photos, Rihanna la prend sous son aile et en fait la muse de Fenty Beauty. Le mannequin ivoirien Adonis Bosso craque pour son style néo-punk (crâne quasi rasé, yeux immenses et attitude frondeuse), ils conçoivent un petit Saphir qui naît à la fin du défilé Savage x Fenty le 12 septembre dernier – arpenter un catwalk enceinte de neuf mois, c’est un peu challengeant quand même – et nous voici, dans un palace parisien, à papoter souliers et héritage philosophique.
Les baskets sont ravissantes, avec une semelle amovible et des motifs déclinés du camouflage. Slick Woods est captivante, avec sa douceur vulnérable de jeune maman à qui les larmes montent aux yeux quand elle évoque l’amour inconditionnel qu’elle partage avec son fils, et cette lave bouillonnante qu’on sent affleurer sous sa peau. On la lance sur les valeurs qu’elle partage avec The Kooples, et elle égraine, comme un mantra hypnotique : « je partage l’originalité. Je partage les influences urbaines. Je partage la qualité. » Elle est délicieuse, et s’amuse déjà de la conversation. S’enfonçant dans le canapé, elle ajoute : « j’y ai insufflé ma passion pour la musique. Elles ont un esprit rock et urbain, et je porterais mes prototypes tous les jours, si je n’avais pas peur de les salir ». Et elle rit.
Quel est l’enseignement le plus important de votre vie ?
« Damn. Je dirais, de ne jamais faire ce que je ne veux pas. Mais Jimmy Hendrix l’a dit avant moi ! Me forcer, aller contre ma nature, ça me rendrait vraiment malheureuse, et c’est la dernière chose que je souhaite au monde… Certaines personnes ont des buts dans la vie, ils annoncent : « je veux faire ceci, je veux aller là… ». Pour moi, le plus important, c’est d’être présente à ce que je fais, et d’être heureuse tout le temps. Ne jamais être contrainte à accomplir des actes que je ne sens pas, c’est ça, la grande leçon de ma vie ».
Pensez-vous que le bonheur réside toujours dans la liberté ?
« La liberté est importante, mais c’est un sujet différent. La liberté physique, c’est fondamental. Je suis une femme noire, et en cela, la question est d’autant plus prégnante. Aujourd’hui, je fais ce que je veux, quand je veux. Physiquement, j’ai 22 ans. Mais moralement, intellectuellement, métaphysiquement, j’en ai 83 ! » (Elle rit encore).
Que voudriez-vous que Saphir apprenne le plus vite possible ?
« C’est drôle, parce que j'ai eu cette conversation avec un mannequin de 28 ans, qui ne comprend pas comment on peut mettre un enfant au monde dans le contexte actuel, dans une société où Trump est président. Je lui ai répondu, « à ce moment précis de notre vie, nous construisons notre armée. C’est eux qui nous protégeront dans le futur. Ils sont notre futur ». Donner naissance à Saphir à ce moment précis de l’histoire, c’est important pour moi, parce que cette génération sera aussi notre rempart. Nous sommes au début d’un nouvelle vie, d’un nouveau commencement. C’est maintenant que nous décidons de notre avenir, que nous changeons notre destin. La première chose que j’apprendrai à mon fils, c’est de s’exprimer librement. En particulier parce qu’il sera un homme, et que c’est difficile pour eux aussi de verbaliser ce qu’ils éprouvent. Je ne lui dirai jamais que pleurer c’est pour les filles, toutes ces conneries. Mon fils pourra exprimer ses sentiments. Il pourra dire ce qu’il ressent au moment où il le ressent. Pas une heure plus tard, pas le jour suivant. Je souhaite que cette nouvelle génération puisse être authentique, et s’exprimer sincèrement et spontanément. Les hommes continuent de devoir enfermer leurs émotions dans une boîte. Saphir sera Saphir, en dehors des clichés de ce qu’on attend d’un homme, un homme noir en l’occurrence ».
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Everything that I’m not but somehow everything that I am
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Comment réagissez-vous à l’époque qui s’accélère ?
« Je pense que nous avons une perception superficielle du temps, alimenté notamment par les réseaux sociaux. Ce sont des leurres. La vie, c’est la vie. Les réseaux sociaux, ce sont les réseaux sociaux. De nos jours, on confond tout ça, à tort. Mon exemple préféré, c’est le feu d’artifice du 4 juillet : les gens le regardent à travers leurs Smartphones. Tout ce qu’on vit maintenant, c’est à travers un téléphone. Comme si on ne pouvait plus rien expérimenter de réel. C’est comme pendant les concerts : on regarde la scène à travers l’écran, on enregistre pour pouvoir réécouter mais sans vraiment être présent, et surtout, on veut que les autres sachent qu’on était là. Moi, c’est à peine si je regarde la télé, et je touche le moins possible à mon téléphone. Je veux que mon fils vive des choses réelles, qu’il ait une enfance normale. De nos jours, l’enfance n’existe même plus. Je ferai en sorte que Saphir joue avec des cubes, et qu’il lise des livres. Je voudrais lui transmettre le même type de jeux que ce que j’avais quand j’étais moi-même enfant ».
Que souhaitez-vous pour lui dont vous n’avez pas pu bénéficier dans votre enfance ?
« Dès l’âge de quatre ans, j’ai dû m’élever moi-même. Je veux que lui ressente ce que ça signifie d’être chéri, et d’avoir quelqu’un qui veille sur soi. J’apprends chaque jour être mère, et j’aime qu’il me découvre en tant que telle. Qu’il puisse être près de moi, et près de son père. Je veux qu’il expérimente beaucoup de choses, qu’il puisse faire ses choix en connaissance de cause. Qu’il décide un jour qui il sera, et ce en quoi il croira. J’ai longtemps vécu dans la rue. Ça m’a forgé le caractère. Je le vis comme une expérience positive, comme une bénédiction. J’ai beaucoup appris, et notamment à comprendre les gens. Dans la rue, ils n’ont ni le même vécu, ni les mêmes connaissances. Mon fils aussi a beaucoup à m’apprendre. Je l’ai portée pendant neuf mois, mais il veillera sur moi tout le reste de ma vie. Avec lui, j’ai appris ce qu’était l’amour. L’amour inconditionnel.
Mon fils m’aime quoiqu’il arrive (les larmes remontent à ses beaux yeux de chat) je lui ai donné la vie, et vous savez, les zones sombres qu’on a tous, elles se sont éclairées quand il a vu le jour. Mon fils, c’est tout pour moi. Je sais que c’est un peu idiot à dire, mais tant qu’on est enceinte, on ne réalise pas qu’une personne va littéralement sortir de nous. Je suis folle de lui. C’est la meilleure dépendance au monde (et le rire estompe la gravité de l’émotion). Être mère m’a aussi rendu sensible au sort de tous les autres enfants. Au moment précis où on pose votre bébé sur la poitrine, c’est le monde entier qui bascule. Je me suis demandé : « qu’est-ce que j’ai bien pu faire avant ça ? » Avant Saphir, c’était du temps perdu (rires). Un jour, il aura lui-même ses propres enfants et sa propre famille, et je serai un maillon de la chaîne. Je vois déjà les fêtes de Noël, les Thanksgiving tous ensemble. C’est dingue de me dire qu’un jour je serai grand-mère, et arrière-grand-mère ».
Quelle est la prochaine ambition que vous souhaitez accomplir ?
« Je vais être honnête avec vous : à ce moment précis, je veux juste être la meilleure mère au monde. Le reste, c’est de la théorie, même si mes chaussures sont supers cool ! (rires). Je parlais récemment avec Kanye de l’importance de pouvoir se présenter tel qu’on se ressent face au monde. Et pour beaucoup de gens, ça passe par les chaussures. Être cool, proche du monde réel. Surtout à Paris, on fait tellement attention à son allure dans la rue. Je voulais créer un modèle qui soit proche de mon vécu, de mes racines. Peut-être que grâce à ça, je peux aider d’autres gens à être cool. C’est aussi ma façon de laisser mon empreinte sur le monde. »
Vous percevez-vous comme un modèle pour la nouvelle génération ?
« Il y a beaucoup de jeunes filles qui veulent me ressembler, qui s’inspirent de mon crâne rasé et qui assument leur diastème. Je suis heureuse si je peux servir de modèle, parce que ça m’a pris du temps, en tant que femme, d’être en paix avec ce que je suis. Et notamment dans ma carrière de mannequin, je suis aussi fière d’avoir ouvert de nouveaux critères, pour les suivantes. C’est comme un héritage, c’est peut-être aussi pour ça que je suis là. Le monde a besoin de plus de filles fun. D’honnêteté, de transparence, et de liberté de s’exprimer. Avoir le crâne rasé si je veux, assumer mon physique, pleurer moi aussi si j’ai envie de pleurer, crier si j’ai envie de crier. Ressentir, me battre si je le dois. Il y a parfois du racisme et la discrimination, mais je continue de faire et de dire ce que je veux. Exprimer exactement ce qu’on ressent, ça peut parfois s’attirer quelques ennuis, mais ça vaut toujours la peine d’être authentique. C’est ma spiritualité à moi, et c’est pour ça que je peux dormir la nuit. » Du moins, quand Saphir est d’accord.