Le premier Master officiel de création d’Accessoires, reconnu et diplômant au niveau européen, initié à La Cambre sous l’égide de Didier Vervaeren – styliste et consultant en mode – vient de livrer sa promotion 2019 de nouveaux designers, à la croisée des disciplines artistiques.

A l’heure où souvent dans l’industrie de la mode, ce sont les accessoires qui permettent aux maisons de perdurer, l’intention de ce Master créé en 2015 se distingue du « tout conso » : cette formation de haut niveau se veut pertinente, et pas forcément commerciale.

Didier Vervaeren explique, et son éclairage n’est pas exactement accessoire : « depuis le lancement de cette section, la baseline était « l’objet porté, ou non porté ». Ce postulat permet de comprendre et d’appréhender l’accessoire pour sa juste place dans la mode, mais aussi de cultiver la volonté d’expérimenter des notions à la frontière de la mode et du design, en perspective d’une recherche conceptuelle. Dans la mesure où les étudiants n’ont pas tous un background de mode, ils sont relativement affranchis du rapport autocentré au stylisme. Quand ils pensent « accessoires », ce n’est pas forcément dans le rapport à la fonctionnalité, et puisqu’ils sont à un stade d’expérimentation, le concept peut prendre le pas sur l’usage concret. Dans leurs travaux, ils s’intéressent à la posture, au rapport au corps, ils poussent une forme de réflexion mutante. C’est l’un des axes de la démarche singulière de ce Master : l’idée n’est pas de réinventer le sac ou les chaussures – qui sont souvent une solution pratique pour identifier une marque ou un look – mais de porter une nouvelle réflexion à propos de l’accessoire comme expression d’art plastique ».

 

 

Les étudiants de Master, première et deuxième année, ont ainsi mis en perspective l’attitude du corps, l’esthétisme de la contrainte parfois, ou l’émerveillement généré par une vision du naturalisme : basiquement, tout ce qui nous constitue ou nous entoure.

« On assiste aussi à une réflexion sur les clichés et l’identité. Les élèves n’en ont peut-être pas encore tout à fait conscience, mais ils réagissent à une époque qui les interroge. Ils proposent des solutions à une question qu’ils n’ont pas forcément encore formulée ». Collection de bijoux toute en végétaux séchés puis figés dans la résine, accessoires BDSM ou vestiaire aguichant à dessein pour dénoncer les clichés identitaires – en l’occurrence les archétypes sexués des « Filles de l’Est » – les jeunes diplômés ont poussé la création pour surprendre, et porter une démarche artistique, artisanale et sociologique.

 

 

Jusque dans la composition du jury, on perçoit une démarche globale dans différents domaines de la créativité

Une chanteuse (Axelle Red), le rédacteur en chef d’un magazine d’art, une réalisatrice, une créatrice de bijoux, des artistes, journalistes, esthètes et collectionneurs, ont évalué la pertinence de ces accessoires comme moyen d’expression essentiel. Les collections réalisées en deux années de cycle concernaient certes le domaine de la mode, mais aussi celui du design, des jeux et de la scénographie.

Ces étudiants en accessoires ont déjà mené un cursus artistique, ils viennent d’écoles de beaux-arts, du design d’objets, ils sont parfois déjà architectes. Ils ont en moyenne entre 22 et 25 ans, ont déjà effectué un stage en maison de création, et ils ont pris à corps un exercice d’hybridation de sacs, un autre d’interprétations matérielles de la notion de « bruxellitude », et un projet d’up-cycling, visant globalement à reconnecter toute une génération avec « l’artisanat de la curiosité ».

 

 

Un enseignement élaboré empiriquement, premier de sa catégorie, sans méthode préexistante.

Depuis 1986 et la création de l’atelier « stylisme », La Cambre n’avait plus développé de nouvelle discipline. Début 2011, alors que Didier Vervaeren concluait sa mission de six ans comme directeur artistique de Delvaux, Caroline Mierop, alors directrice de l’école, lui a proposé de créer un cours d’accessoires parce que la demande était réelle de la part des étudiants d’une part, et des professionnels de l’autre. Grâce à l’attention de professeurs expérimentés en mode et design, à l’intervention de conférenciers chevronnés à l’instar d’Elvis Pompilio, grâce aussi à un partenariat avec la section Maroquinerie de l’Institut Jeanne Toussaint (Campus des Arts et Métiers), la recherche conceptuelle peut pousser jusqu’à l’hybridation ou l’anthropomorphisme : dans les collections, s’il est souvent question d’esthétique, le sens pratique n’est pas toujours privilégié. C’est une forme de libération intellectuelle, à laquelle la fonctionnalité s’appliquera plus tard.

Car la pédagogie a été réfléchie pour repousser les limites : si la notion de « Master » répond en général aux demandes du milieu du travail, celui instauré par La Cambre est plus axé sur le développement de la créativité et l’innovation. Didier Vervaeren s’en réjouit : « la mode et le design sont demandeurs de gens qui sortent des sentiers battus, plutôt que de profils formatés. Nous formons des créatifs capables de concevoir de la maroquinerie, des chapeaux, des sacs et des bijoux, mais pas des « produits au kilomètre », oubliés à peine achetés. Autrement dit, des designers de niche. Nous ambitionnons aussi de préparer au monde du travail des touche-à-tout, capables de faire du bijou, de l’objet, de l’art ou des étalages, avec un point de vue. »

 

 

« Le futur de l’accessoire – parce qu’il va falloir continuer à l’appeler comme ça – c’est la réflexion d’une nouvelle génération de créatifs et de designers qui s’affranchissent notablement de la mode ».

Pour Didier Vervaeren, « jusqu’ici, il y avait des artistes ou des designers industriels, qui concevaient des objets de leur côté, et en face, la mode qui créait ses accessoires. Dans le futur, ils vont se rencontrer, et on aspirera de plus en plus au message et au postulat, à la prise de position. Déjà, l’accessoire quitte doucement « la consommation », pour s’orienter vers « la radicalité ». Une nouvelle famille de créatifs est en train de se constituer, qui je le pense, commencera à travailler le vêtement comme un objet. Martin Margiela a d’une certaine manière déjà initié ce processus, mais réciproquement, une nouvelle vague de designers pourrait bien transformer l’accessoire en vêtement à part entière ».