Terre d’estaminets, Bruxelles voit naître en son sein une nouvelle génération de bars de quartier où socialiser, picorer et picoler stylé font bon ménage. Tournée des grands-ducs en 6 actes!
Le plus dégling: Chez Ta Mère
Depuis la nuit des temps, les bars font office de deuxième maison. Aujourd’hui, pour concurrencer la standardisation « Starbucks », les nouveaux cafés de quartier jouent la carte de la personnalisation à fond les ballons. Un exemple ? Chez Ta Mère, avec son mobilier vintage chiné, sa ginger beer homemade et ses patrons rock’n’roll pour assurer l’ambiance survoltée.
À Bruxelles comme à Berlin, ça fait quelques années que les habitudes festives ont changé. Les discothèques traditionnelles ont la gueule de bois. Au lieu de payer cher pour danser, les jeunes préfèrent se retrouver sur une terrasse privée ou dans un bar de quartier. D’autres optent pour des néo-bistrots qui ouvrent à l’heure du petit déj et ferment (parfois) au petit matin, DJ set et programmation musicale léchée les grands soirs. Une tendance qui a donné des idées à Pierre, Thuan et Stefano. Trois potes qui, après avoir travaillé dans le même bar pendant des années, ont décidé d’ouvrir leur propre établissement débridé. « On propose ici une alchimie, explique Pierre (l’expert en cocktails de la bande). La conjonction entre un lieu personnel et cosy, de bons cocktails maison, des produits triés sur le volet, des brunchs toute la journée, une playlist sympa et des évènements exclusifs. »
Derrière le bar en marbre Amazonia, d’innombrables flacons de belle facture (des whiskys japonais, des bières belges de microbrasseries, des grappa artisanales italiennes) miroitent dans la lumière tamisée des rayonnages. À portée de main, une panoplie de verres, passoires, pilons, doseurs, râpes, longues cuillères et shakers côtoient fruits, herbes, épices, fioles de sirop et de macération. On pourrait se trouver dans un de ces lieux new-yorkais ou londoniens. On est place Fernand Cocq, le quartier qui monte, qui monte en matière d’endroits à la mode.
Ici, on déguste un Hubert exécuté avec doigté avec du Robert Burns Blended Whisky, du vin Fortifié italien, du sirop de sucre, du jus de citron et un blanc d’œuf ou un Moscow Mule avec de la vodka française bio et de la ginger beer macérée sur place et servie en fût. À la carte ? Les coups de cœur hétéroclites et gourmands du trio à la barre : un granola maison, un bol vegan, des œufs onsen-tamago, des calamars frits… Un lieu de vie multifacettes où il n’y a rien de plus normal que de se faire tatouer en mangeant un banh mi en plein milieu d’un vide-dressing.
Chaussée d’Ixelles 181, 1050 Ixelles. @cheztamere
Le plus intime: Tortue
Ouvert depuis peu par Yann et Mallory, deux amoureux de vin nature, Tortue est un bistrot de quartier et un haut lieu de convivialité où on aime son prochain, picore des coeurs d’artichaut et boit toujours plus qu’on ne doit.
Des endroits comme celui-ci, entendez un établissement indépendant, ouvert toute la journée, proposant de quoi bien boire et manger (sur le pouce) à prix accessibles et disposant d’un comptoir pour permettre un brassage social, c’est le renouveau d’un esprit de quartier longtemps délaissé. Au comptoir de chez Tortue, Laura est une habituée. Accoudée au zinc, cette cliente de 32 ans, bonnet rouge vissé sur la tête, boit chaque jeudi soir son petit canon « pour décompresser ». « L’endroit vient d’ouvrir juste en bas de chez moi. J’aime sa carte de vins natures, son atmosphère relax », décrit-elle fièrement.
Avec ses aperitivos qui débordent jusque sur le trottoir, ce néo-bistrot réveille ce quartier résidentiel d’Uccle plus habitué aux ouvertures de pharmacies qu’à des lieux branchés. Depuis le premier jour, les gens des environs (ou non) sont au rendez-vous. « On s’y retrouve entre amis chaque vendredi soir et quand le frigo est vide, j’y achète de quoi faire un cool plateau-télé », raconte Stéphane, un voisin. Ce lieu polyvalent réussit en effet parfaitement la synthèse entre une épicerie fine, un bistrot authentique et un bar à vin pointu.
Au comptoir, on croise la clique de trentenaires arty, le retraité qui vient prendre son café comme le cadre supé- rieur qui vient travailler avec son ordinateur. Tout le monde cohabite dans une ambiance nonchalante. Aux commandes de ce bar pas bien grand, Yann et Etienne mais aussi (en backstage) Mallory et l’équipe de Chez Franz et Chez Richard dont il est le digne héritier. Leur spécialité : le vin, le vrai (à base de rai- sins fermentés uniquement !), punk ou sage, plus assumé que jamais. Les précieux flacons sont à déguster sur place comme à emporter. Côté tapas, la crème des mortadelles et des bresaola de thon. Le tout servi avec du bon pain artisanal de chez Matinal et une motte de beurre de Verneuil.
C’est le contrecoup de la tendance des bars « lounge » à la décoration design : « Les gens cherchent de plus en plus la simplicité, ils veulent un bon service et payer leurs consommations à des prix raisonnables », observe Mallory, l’un des gestionnaires. Résultat, Tortue, c’est un peu comme l’extension de notre salon avec un service au top, une atmosphère relax et une assiette simple qui met le produit en valeur. La recette du bonheur.
Rue Edith Cavell 34, 1180 Uccle. @clubtortue
Le plus friendly: La Famille
Ça pourrait être chez nous, à la maison. Il y a la connexion wifi haut débit, les canapés confortables, la pile de magazines, la terrasse où fumer sa clope, le croque-Philippe et le croque-Mathilde au goût de revenez-y… Ça pourrait être chez nous. À ceci près : des gens font leur réunion pro la table juste à côté, la nudité n’est pas autorisée et il faudra bien rentrer chez soi un jour – le vrai – parce que l’endroit ferme la nuit.
Bienvenue chez La Famille, à la fois cantine, brasserie festive, bar à cocktails et espace de travail situé dans le quartier du Bailli. À la tête du concept, Arnaud, Jim et Alexis, trois mecs au pedigree déjà long (Takumi et La Meute, c’est eux aussi!) qui poursuivent leur mission de dynamisation de Bruxelles avec des concepts inspirés par ce qui se fait de mieux à New York comme à Paris. Un endroit cocon qui répond aux besoins d’une vie urbaine stressante et à un nombre de travailleurs indépendants croissant.
« On ne dirait pas que les endroits hybrides comme le nôtre sont des phénomènes de mode, on dirait plutôt que c’est une adaptation à notre époque. Il ne faut pas oublier que le bar est un lieu de mixité sociale et culturelle, un lieu qui unit les gens. Dans notre société de plus en plus individualiste, le bar a encore plus de sens aujourd’hui qu’hier », nous explique le trio qui rêve d’ouvrir un hôtel, du style de l’hôtel Amour à Paris.
Des patrons de bar qui ne se contente plus de mettre à disposition des tireuses à bière. Ils créent de nouveaux genres d’établissements hybrides. Un concept global où le client peut boire, manger, travailler, socialiser, se cultiver comme faire la fête, le tout sans bouger d’endroit.
Rue du Bailli 84, 1050 Ixelles. @la.famille.brussels
Le plus couche tard: Café des Minimes
C’est dans le quartier du Sablon que trois jeunes amis, Léo, Jean et Charles, ont ouvert un élégant bar à vin et à grignoter (des mets de qualité !).
Une fois la porte d’entrée passée, on longe un magnifique bar en zelliges bleu Klein. Sur un des tabourets, un cocktail à la main, on se laisse vite emporter par l’ambiance joyeuse et festive de ce bar avec petite salle de concert annexée. Côté assiette, une carte de midi à prix doux (plus ou moins 15 € pour des plats bien exécutés par l’ex-chef du Tero), des tapas à partager à l’heure de l’apéro, le tout avec des produits locaux, du terroir et de saison…
Même philosophie au rayon des breuvages avec le spritz des Minimes revisité avec du red vermouth de Biercée. Le mercredi soir, on y va pour le concert de jazz, le vendredi, pour un DJ set bien balancé et le dimanche, pour un live rock. Une fois par mois, place au comedy club le mardi et à un dîner à quatre mains le lundi. Un super lieu tenu par une clique pas encore trentenaire obsédée autant par la qualité des produits proposée, la modestie tarifaire que par la créativité tous azimuts.
Rue des Minimes 60, 1000 Bruxelles. @cafedesminimes
Le plus racé: Robinet
Réimaginé par Frédéric Nicolay, ce nouveau QG a ouvert dans le quartier de la Porte de Hal, en lieu et place de l’Angelina, juste à côté de l’Institut Bordet.
On y déguste les meilleurs capuccinos de la capitale, des boissons fermentées dans d’immenses jarres, des salades fraîches, houmous et toasts concoctés par le chef Yannick Van Aeken (ex-Noma et ex-Oficina) dans une ambiance aussi brute que chaleureuse. Le genre d’endroit cosmopolite, convivial, ouvert, multiculturel, où le bois côtoie le métal, le végétal et les matériaux de récupération et qu’on peut trouver à Londres, New York ou Amsterdam.
« Je voulais créer un endroit réconfortant pour les gens des environs comme pour les patients des hopitaux d’à côté. Je n’ai pas de recette toute faite. Chaque endroit nécessite énormément de temps et de recherches. Pour Robinet, j’ai beaucoup cherché pour trouver la bonne formule. D’autant plus qu’Angelina, juste avant, n’avait pas marché. Un lieu de vie, c’est une histoire d’alchimie. Parfois ça marche, parfois pas. Il faut penser à tout. »
Quand on lui demande pourquoi limiter ses projets à Bruxelles, il répond qu’il a quatre enfants et qu’il veut être un papa présent. Sa cantine du moment ? My Tannour, un snack syrien généreux, populaire, sans manière. «Tout ce que j’aime.»
Boulevard de Waterloo 136, 1000 Bruxelles. @robinetbrussels
Le plus léché: Café Tulipant
Dernier bébé du trio à la tête du Café Luxembourg, Bar du Matin à Forest et du Bar du Marché à Flagey, Café Tulipant propose un service de qualité et une carte restreinte avec au menu des cocktails et de la petite restauration raffinée.
Au menu de cet endroit où boire des coups avec goût : ambiance décontractée, cocktails inventifs et féminisation du comptoir… Car ce bar trendy ne démocratise pas seulement la culture cocktail, ils promeut aussi des filles aux commandes des shakers. « L’horeca reste malgré tout un univers machiste », nous disent les patrons de ce nouveau bar bruxellois. « Quelques femmes se sont lancées à Bruxelles (Tarzan, Le Prélude, Jane’s), mais ce sont des exceptions. Pourtant, les choses commencent à changer car la demande change, elle aussi. Il est fini le temps du bistrotier en marcel accoudé au bar et ses blagues potaches ! »
La recette de leur succès ? Des patrons ultra-présents, une équipe soudées, une identité bien définie, une belle terrasse, des lieux qui cultivent l’héritage belge et redynamisent l’esprit de quartier… En revanche, au rayon difficultés, ouvrir un bar n’est pas une mince affaire surtout en matière de personnel : « Il y a énormément de rotation dans le secteur. Faire quinze kilomètres sur une terrasse au soleil avec un plateau et avec le sourire n’est pas donné à tout le monde. Surtout qu’en Belgique, contrairement à la France, l’horeca n’est pas un secteur très valorisé », explique Axel Van Tuijn, l’un des gérants. « J’ai commencé dans le métier comme ramasseur de verres. Je devais ramasser les mégots de cigarettes à la main sur le trottoir, donc je sais d’où je viens. C’est un peu la clé pour être un bon manager.»
Ouvert 7 jours sur 7, de 11h à 2h certains soirs, Café Tulipant est le prototype de l’endroit où on aime se poser seule à n’importe quelle heure du jour ou de la soirée pour travailler comme boire des coups. Un lieu pile dans l’air du temps.
Place Fernand Cocq 25, 1050 Ixelles. @cafe_tulipant