Jusqu’au 13 janvier 2020, à l’occasion des 10 ans de la Cité de la dentelle de Calais, Olivier Theyskens dévoile ses contes de cuir et de soie, sous forme de dialogue créatif avec collections historiques, textiles et industrielles du Musée de la dentelle de Calais. « In praesentia », d’un fantasme esthétique incarné.
« Je m’attendais à plonger dans les archives contemporaines du musée, mais la surprise est venue des objets liés à la production industrielle de la dentelle. J’ai découvert l’outillage particulier nécessaire à sa fabrication, et j’ai été touché par le brutalisme des machines de production, qui contrastent avec la préciosité de la matière. »
Dans chacun des tableaux scénographiant les vingt ans de carrière de ce créateur attaché à une interprétation victorienne – quoique intemporelle – de l’avant-garde, on sent la présence des artisans qui ont utilisé les outils qui forment le décor, qui ont posé le pied sur la pédale des machines.
Dans cet agencement baudelairien éclairé de poursuites théâtrales (qui seraient installées côté coulisses), pas de chronologie, mais des séquences thématiques où la mode interagit librement avec des éléments industriels et artistiques. La dentelle est présente en filigrane des collections, rappelant souvent le caractère ancien de dentelle de Chantilly, parfois un tissage moderne.
Sur un même tableau, on observe, mises en perspective, des crinolines de 1865 issues des archives du musée, en regard de robe en taffetas signées Olivier Theyskens automne hiver 2000 – 2001, ou le mariage de dentelle fine historique et d’une veste de biker. Le créateur a notamment exploré l’usage de la dentelle en tant que pochoirs : dans chaque pièce, il en a utilisé toutes les qualités, les textures et la subtilité des reliefs et des couleurs. Le noir surtout, avec des touches de surréalisme. Comme un fil conducteur qui lie la narration de ses pièces, les agrafes, signature stylistique, soulignent l’impeccable recherche de coupe.
Empiècements de vêtements inspirés à la fois des jarretelles et des gibecières de cuir, robes corsetées à crochets, bottines pointues : le romantisme d’Olivier Theyskens est exacerbé, servi par des silhouettes dramatiques. On s’instruit des robes à tournures, la mise en scène révèle les dos spectaculaires. « Pour moi, il y a une dentelle victorienne, et celle des années 20-30, plus fluide, interprétée sous forme de déshabillés plus contemporains. » Il cultive le rapport à la matière, avec ses satins se confrontent au cuir de soie. « La matière, pour moi, tient autant de l’émotion que du symbolisme. »
En 2017, le MoMu d’Anvers avait accueilli une rétrospective sur sa carrière, et si à Calais, la forme est différente, les collections tissées d’histoires offrent plusieurs lectures : « quand les choses sont rassemblées, on prend conscience de l’intention sous-jacente. Non pas dans la retranscription historique et chronologique, mais par un thème plus libre, pour montrer des pièces inédites ou qui ont défilé sous des manteaux, presque cachées. »
L’exposition porte une réflexion sur l’artisanat, au-delà du résultat. C’est la recomposition du passé et du présent, dont le propos n’est pas d’être exhaustif, mais de mettre en ombres et en lumières les obsessions créatives d’Olivier Theyskens. Qui deviennent, dans les vitrines nuancées de rencontres historiques, les nôtres.
(Merci à Lydia Kamitsis, curatrice de l’exposition, pour ses inestimables décryptages).