Be fierce ! Be fabulous ! Work it ! Ces termes familiers pour tous ceux qui scrollent sur Instagram résonnent aussi dans la série Pose de Netflix. Ils sont l’écho d’une sous-culture secrète qui influence notre culture pop depuis des années: le voguing. On vous plonge dans le monde fascinant de la "scène ballroom" ou culture du bal.
Même s’il vous arrive de croiser des influences de la culture du bal, il y a peu de chances que vous fassiez automatiquement le lien avec la communauté LGBT et transgenre afro-américaine et latino. Durant des décennies, l’univers du bal a échappé au grand public. Il a fallu attendre les années 80 pour qu’elle marque de son empreinte la culture pop. On la retrouve dans le voguing - ce style de danse dont Madonna s’est fait l’ambassadrice - ou les nombreuses expressions que des célébrités comme Tyra Banks, RuPaul et Beyoncé alias Sasha Fierce ont fait entrer dans la langue courante.
LES ANNÉES FOLLES
La culture du bal prend ses racines dans les drags, ces bals masqués organisés par la communauté queer dès la fin du 19e siècle aux États-Unis. "Ce phénomène est né en réaction aux lois qui interdisaient de se travestir avec des vêtements du genre opposé", explique le Dr. Genny Beemyn dans son livre Trans Bodies, Trans Selves. Le Harlem débordant de vie du New York des années 20 a boosté ces bals. À l’époque, la bourgeoisie blanche adorait le style vestimentaire de la communauté afro-américaine et prenait plaisir à fréquenter ces drags. Lors de ces fêtes, l’élite s’extasiait du haut de ses loges devant le spectacle des masses aux tenues excentriques sur la piste. Les hommes portaient des robes de soirée et des coiffures garnies de plumes, tandis que les femmes se déhanchaient en smoking ou en costume. Ces drags ont évolué au fil du temps pour devenir les bals actuels, dont le concept date du début des années 70.
INTERPRÉTATION DE LA RÉALITÉ
Aujourd’hui, le bal est devenu une compétition avec podium central sur lequel les participants donnent le meilleur d’eux-mêmes dans des catégories bien définies. Parmi celles-ci figurent piste, corps, performance et visage qui se subdivisent à leur tour en une foule de sous-catégories. Dans la catégorie performance, par exemple, tout tourne autour du voguing et des styles Old Way, New Way et Vogue Fem. Chaque catégorie se décline en six sous-catégories de genre : butch queens, femme queens, butches, butch queens up in drag, hommes et femmes. Lors d’un bal, la catégorie Realness (interprétation de la réalité, NDLT) prend tout son sens. Dorian Corey, la drag-queen américaine qui apparaît dans le documentaire Paris Is Burning définit le mot realness en ces termes : "Savoir se fondre dans le monde hétéro blanc. Être réel, c’est pouvoir prendre le métro en plein jour après le bal et rentrer chez soi sans effusion de sang ni vêtement déchiré." Pendant trop longtemps, une carrière ambitieuse ou un confort matériel ont été des rêves inaccessibles pour les transgenres de couleur, souvent condamnés à vivre en marge et dans la pauvreté. Comme l’a confié la Portoricaine Venus Xtravaganza : "J'aurais voulu être une fille blanche, riche et gâtée. Car elles ont tout ce qu’elles veulent quand elles le veulent."
HOUSE OF XTRAVAGANZA
Le bal revêt une telle importance pour cette communauté que les tensions y sont parfois vives. Comme chez les supporters de foot. À cette différence qu’ici les équipes font place à des Houses aux noms aussi ronflants que House of Xtravaganza, House of Labejia ou House of Balenciaga. Rien de comparable avec une équipe quelconque puisqu’une maison forme une famille autoproclamée dirigée par un père ou une mère qui seul.e décide qui a le droit d’en faire partie. La mater ou le pater familias apporte conseils et soutien aux membres de sa famille, qu’il nomme ses enfants, en leur offrant littéralement un foyer bien chaud au sein de sa maison.
EN QUÊTE D’AMOUR PARENTAL
Lorsque des mères aussi légendaires que Angie Xtravaganza ou Dorian Corey parlent de leurs rejetons, la sincérité de leur amour saute aux yeux. "Les enfants rejetés par leur famille biologique entament une quête. Beaucoup de jeunes se sont accrochés à moi comme à un parent tout simplement parce qu'ils pouvaient se confier. Victimes de mauvais traitements chez eux, ils comptent sur moi pour combler ce manque", explique Pepper LaBeija dans Paris Is Burning. Le documentaire réalisé en 1990 par Jennie Livingston a levé un voile sur le monde caché de la scène ballroom à Harlem. Ce film à succès est célèbre - et même tristement - au sein de la communauté, car ceux qui y ont participé ont été payés une bouchée de pain. Après le tournage, beaucoup se sont sentis utilisés pour divertir la culture mainstream.
COME ON, VOGUE
Dans les années 90, Madonna s’est largement inspirée des éléments de la scène ballroom. Lors d’une folle nuit à New York, l’icône de la pop a vu des danseurs imiter les poses de mannequins à un shooting de Vogue. Intriguée, elle en a parlé à son producteur Shep Pettibone. La suite, on la connaît : le hit intersidéral Vogue dont la musique, le clip, la chorégraphie et les paroles (Beauty’s where you find it) ont été propulsés en un clin d’œil au rang de classiques. Et le voguing, jusqu’alors réservé au monde fermé des ballrooms, s’est propagé chez les jeunes et dans les discothèques locales.
GLAMOUR TRAGIQUE
À travers sa série Pose consacrée à la scène ballroom du Harlem des années 80, Netflix fait revivre la culture du bal pour le grand public. Tout en montrant le bling-bling typique de cette décennie du mauvais goût, la série se concentre surtout sur le drame et la souffrance humaine auxquels était confrontée cette sous-culture. Le sida a ainsi fait des ravages dans les cercles de danseurs et un grand nombre de transgenres latinos et Afro-Américains ont fini par se prostituer. Saluée par des critiques élogieuses, Pose séduit par son authenticité. Cette série de fiction peut en outre se targuer de son casting transgenre puisque les cinq personnages principaux, mais aussi les quelque 120 collaborateurs sont trans dans la vraie vie.
LA SCÈNE BALLROOM BELGE
Ces dernières années, la culture du bal qui a éclos et fleuri à New York s’est répandue sur tous les continents. Des villes comme Paris et Amsterdam abritent aujourd’hui des communautés importantes. En Belgique où le phénomène a émergé il y a six ans, seule une poignée de personnes appartiennent à une House. Parmi elles, la prof de danse Sandra Hilaerts, membre de la House of Ultra Omni, qui donne depuis l'année dernière des cours de voguing à l’école de danse The Spot à Gand. Son cours Get Your 10’s (le score nécessaire pour se qualifier pour un bal, NDLR) permet non seulement d'acquérir les mouvements typiques du voguing, mais aussi de découvrir les racines de cette culture passionnante.
DES TONNES DE CONFIANCE EN SOI
Par une chaude soirée de printemps, nous avons assisté à un cours de Get Your 10’s dans le total respect du dress code de la soirée placée sous le signe des jolis pastels. Sur des beats énergiques, Sandra et Lynn Andries, une prof invitée, nous enseignent les rudiments de l’Old Way, le voguing d’origine, et du Vogue Fem, sa variante ultraféminine. Au début, l’idée de libérer la déesse qui sommeille en nous au profit d'un free style complet nous met plutôt mal à l'aise, mais voir les vingt hommes et femmes autour de nous donner le meilleur d’eux-mêmes nous aide à lâcher prise. On va y arriver ! Leurs postures fabuleuses et leurs gestes gracieux sont si typiques du voguing que nous nous laissons gagner par leur confiance débordante. Comme Sandra l’a fait remarquer après coup : "En général, les filles belges suivent ce cours pour booster leur assurance. Pour beaucoup d’entre elles, il s’assimile à une thérapie, une sorte d’exploration de leur pouvoir." Le cours est suivi de câlins, y compris avec les profs. Une suite somme toute logique bien qu’inhabituelle. Après tout, l'objectif de cette étonnante sous-culture est d’offrir un espace où l'on se sent en sécurité pour être soi-même et s’épanouir. Et de booster sa confiance en soi, qui qu'on soit. Et si ça, ce n’est pas "fierce."
Say What?!
Fierce : être à la fois sexy et badass comme Beyoncé lors de sa dernière performance au Super Bowl.
Work it, girl ! : soyez rayonnante, faites ressortir la Cardi B qui est en vous.
Jeter de l'ombre : insulter quelqu’un indirectement, façon RuPaul.
Fabulous : le compliment ultime qui s'adresse à quelqu’un qui a l’air parfait.
À LIRE AUSSI:
Pose: la nouvelle série Netflix qui va nous en mettre plein les yeux