Face au succès des best-sellers sentimentaux de la maison d’édition septuagénaire Harlequin, il fallait vérifier : dans la vraie vie, jouit-on vraiment en regardant une petite cuillère ?
Emily Blaine est une star de la littérature rose, avec un demi million de livres d’amour érotiques écoulés chez Harlequin. Le block-buster sulfureux annoncé de l’été, ce sera « La Librairie des Rêves Suspendus », roman haletant écrit à l’encre d’adrénaline, dans lequel une jeune bibliothécaire pas maquillée se voit contrainte d’héberger un bad boy, hâbleur acteur parisien, calé de force dans son échoppe de province, pour purger une peine post-biture commuée en travaux d’intérêt généraux.
Prenons maintenant une rédaction à peu près normale, pleine de filles plus ou moins équilibrées, elles aussi encore attachées au papier. Pure conscience professionnelle, nous allons vous aider à transposer votre été pas encore trépident, aux aventures de Sarah – cheveux ternes et salopette en jean mal ajustée – effeuillant Maxime, au départ gars de la campagne cynique et repenti en avatar de Johnny Depp (on simplifie), dans l’humidité, hé hé, d’une librairie décatie (littéralement, ça commence avec une inondation).
Vivez votre été en superlatifs
Et en adjectifs. Dans le roman, rien qu’au cours du tout premier paragraphe qui se déroule dans une boîte de nuit parisienne, le velours de la banquette est noir, la foule dense (elle danse aussi mais rien à voir), la musique est trop forte, les basses surpuissantes, les murs sombres et les sols étincelants. Les spots sont colorés, les jambes nues, les poitrines découvertes, les visages luisants de sueur, et les sourires lascifs. Vous êtes encore célibataire fin juillet ? C’est entièrement votre faute.
Il faut quand même le faire exprès, de partir entre potes à Knokke, avec un sac de bouquins et deux semaines à rien faire d’autre que se dorer la pilule. Parce que si vous étiez allée prendre un repos bien mérité dans une ravissante petite – mais bourgeoise – station balnéaire de la Mer du Nord où la touffeur d’une journée sans vent aurait fait grimper le thermomètre et votre sensualité engourdie, équipée uniquement d’une petit malle en osier de Normandie remplie de livres hérités de votre grand-mère bien-aimée qui faisait si bien la confiture d’églantine sucrée en vous chantant des comptines enfantines, dans les hauteurs préservées de cette ville touristique où le wifi est capricieux et libère votre esprit burnouté des contingences étouffantes d’une carrière passionnante mais exigeante, là, exactement pour les mêmes vacances, vous auriez depuis longtemps chopé.
Prenez votre temps
Ne laissons pas planer le suspense plus longtemps, la timide et l’arrogant vont se choper, mais pas avant le milieu du roman. Ils mettent – tenez-vous bien – 7 pages pour se rouler une pelle, dans la fièvre de souffles rauques et « d’effleurement paresseux des lèvres ». C’est un peu comme Youporn qu’on passerait en 33 tours. Comment revenir aux bases, vous aussi, pour vous faire tournebouler par un sentimental écorché baroudeur tatoué, n’aspirant dans le secret de son torse huilé qu’à devenir monogame ? (Note pour les jeunes lectrices au cœur sensible : n’en croyez pas un mot. Dans la vraie vie, les séduisants mauvais garçons deviennent juste des vieux beaux abîmés rayés de l’assurance maladie).
C’est simple : commencez par ne pas pouvoir le blairer. A titre d’exercice, considérer un arrogant de votre entourage, et imaginez-le secouant votre table des cuisine (avec vous dessus). Ça ne vous parle pas encore ? C’est qu’il vous reste encore quelques chapitres à écrire.
Ne mettez pas trop vite la charnue sous les bœufs
Dans le récit d’Emily Blaine, Maxime le rebelle dit : « A mon grand désespoir, Sarah était bien trop habillée. J’aurais aimé sentir ses courbes sous mes mains, savourer la chaleur de sa peau contre la mienne, mais c’était bien trop rapide pour une fille comme elle ». On ne va pas tout paraphraser mais du coup, ils s’embrassent, « haletants, bouche entrouverte, lèvres gonflées ». Applaudissons la performance de la fille qui arrive à feindre suffisamment la candeur pour faire patienter puis chavirer un type qui se tape des biches debout contre le mur froid à l’arrière des boîtes de nuit. Parce que pour tenir une telle performance de teasing, il faut avoir pas mal d’heures de vol.
Ne vous hâtez donc pas tant la prochaine fois, commencez par tâter (le terrain). Voici aussi de quoi égratigner l’une des principales certitudes des hommes 3.0, selon laquelle les femmes ne rêvent que d’une chose : recevoir une photo de leur bazar en gros plan, dès le troisième échange sur whatsapp. Alors que ce qui fait vraiment vibrer les Sarah du monde entier c’est, « deviner les battements de son cœur, coller à son corps comme si (ma) vie en dépendait, brûler (ma) peau contre sa barbe de trois jours ». Evidemment, c’est moins facile pour certains qu’envoyer un selfbistouquette.
Arrêtez de revendiquer que vous n’avez besoin de personne
Même et surtout si c’est vrai. Ca fait fuir le sauveur. Sarah, cheffe de sa petite entreprise, répète à l’envi qu’elle se débrouille très bien toute seule. A juste titre. Mais ça n’est pas parce qu’on peut survivre sans gâteau rhubarbe-vanille-abricot, qu’on doit se farcir du chia-coco au petit déjeuner. Si vous aussi, vous ambitionnez de frotter vos « cuisses l’une contre l’autre, cherchant à apaiser la douleur lancinante provoquée par le désir », et si, comme la bibliothécaire qui en fait est canon dès qu’elle peigne un peu ses cheveux, vous voulez qu’une vedette sulfureuse vous chamboule les sens, il va falloir arrêter de la jouer amazone indépendante H24. Du moins, au niveau de votre marketing autosensuel, on s’entend.
Croyez aux miracles
On apprend que Maxime le garçon de ferme qui finit dans un loft « hors de prix » au frigo rempli par son assistante dans les beaux quartiers de Paris, a été repéré par une directrice de casting en déchargeant des palettes au fin fond de la Charente. S’ils savaient ça, au Cours Florent, ils feraient moins les malins à Saint Germain des Prés, et ils iraient plus souvent se planter des échardes dans les doigts à l’arrière des granges. Quant aux célibattantes en salopettes qui se complaisent dans la Pléiade, après un jeu de tension sexuelle distillée à grands chapitres de chassés croisés, elles pourraient voir leurs hanches rencontrer « naturellement les siennes, sans honte, ni gêne », alternant « coups de reins impérieux, caresses tendres et baisers passionnés ».
A l’ère des galipettes gérées du bout de l’index sur des écrans devenus plus tactiles que les gens, à Emily Blaine, on dit « merci ». D’avoir réintroduit du romantisme dans la séduction, de la valeur au temps qui s’étire comme un arc bandé, et la notion de déconsommation dans les relations. C’est donc l’esprit ouvert, la tension fébrile et la lèvre humide, qu’on lira le roman sensuel de l’été comme on savoure un fruit mûri au soleil et abreuvé de rosée, une goutte de plaisir sucré perlant au menton. Quant aux essais scientifiques à propos des océans en plastique, les romans de semi-fiction sur les élections américaines, et les enquêtes sur les multinationales qui nous cataloguent comme des papillons épinglés dans des tableaux Excell, ils attendront la rentrée.
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