Porno « féminin » ou « féministe », les expressions se chevauchent, mais sont indissociables : ces films pour adultes ne s’adressent pas spécifiquement aux femmes, contrairement à ce que le terme pourrait laisser penser, mais répondent à un souci d’éthique, déjà répandu dans la gastronomie ou la mode.
Parmi l’immense offre du marché de la pornographie qui a explosé avec Internet, la majorité des films sont réalisés par des hommes. À peine 3 % des réalisateurs sont des femmes, et pour elles, cette activité est toujours un acte engagé. Nicky Miller, réalisatrice franco-berlinoise, a vécu 7 ans à Bruxelles où elle a développé son langage artistique qui est avant tout esthétique, orienté « Queer ». Pour elle, « on aborde forcément le sexe différemment selon que l’on soit un homme une femme. Le porno féministe porte avant tout un message, une représentation alternative de la sexualité, même hard. Mais on est souvent censurées ! Très peu de festivals nous sélectionnent. Récemment, le London Porn Film Festival, une manifestation underground qui projette des films produits par un collectif queer féministe, a failli être boycotté et attaqué en justice par d’autres féministes “à tendance” conservatrices, qui estimaient que la pornographie ne peut être féministe, que c’est forcément un asservissement. En réalité, pour nous, il s’agit d’un combat mené contre le monde patriarcal capitaliste ».
Qu’est-ce qui définit le porno féministe ?
Il est avant tout éthique, et offre de bonnes conditions de travail aux intervenant.e.s. «Pour commencer, dans le porno féministe, on s’assure du consentement de chacun. Dans le porno classique, “les travailleuses ou travailleurs” ne sont souvent amenés à pratiquer leur performance dans des conditions éthiques peu respectueuses : le porno féministe pose la question des droits des travailleurs sexuels et de le leur liberté à consentir et interpréter leur rôle sans être abusés dans leurs conditions de travail».
L’apparition du porno féministe
Pour Lina Bembe, réalisatrice et actrice berlinoise, impliquée dans la dimension pédagogique de cet environnement professionnel, ce type de films éthiques, qu’on appelle également « Sex Positive » datent des années 80, avec le boom du féminisme : « Candida Royalle ou Annie Sprinkle font partie des artistes les plus remarquables qui ont, en premier, décidé de partager leur vision alternative de la pornographie, influencée par le mouvement des droits des Femmes. Annie Sprinkle est également connue pour être une pionnière du mouvement post-porno, profondément féministe. Mais il s’adresse à toutes les obédiences : pour moi, le féminisme dans le porno est avant tout une question de conditions de travail justes, adéquates, sûres et transparentes pour les acteurs et l'équipe ».
Une dimension pédagogique
Lina Bembe a expérimenté différents types de porno, qui nourrissent son engagement : « j'ai travaillé pour des productions grand public, des films amateurs, du porno indie, de la post-porn queer et des productions féministes autoproclamées. Maintenant, je joue même dans des films explicites d'éducation sexuelle. Grâce à mon expérience, j'ai beaucoup appris sur la complexité de l'industrie et sur le fait que la stigmatisation et les éternels vieux stéréotypes figurent parmi les pires problèmes de ce secteur d'activité. Mais j’ai aussi rencontré une large communauté de personnes partageant les mêmes valeurs que moi, avec qui je collabore souvent. Sur le plan personnel, j'ai beaucoup appris sur le fait de mieux contrôler mon corps et mes désirs, je suis plus facilement lucide et honnête, beaucoup moins gênée à l’égard de ma propre sexualité. »
Dans cette démarche activiste, Lina collabore à « Sex School », une plate-forme de films explicites sur l'éducation sexuelle fondée par Anarella Martínez-Madrid, et qui, avec Poppy Sanchez, a eu l'idée de rassembler les connaissances et l'expérience des éducateurs et des travailleurs du sexe certifiés. « Le site Web sera lancé très bientôt et comprendra du contenu destiné à éduquer un public adulte, pour stimuler des conversations impartiales et sans honte sur le sexe, et tout ce que l’éducation sexuelle traditionnelle ne nous a pas enseigné sur le corps, la sexualité, la communication, le consentement, la santé sexuelle et les relations… »
Le X engagé social et politique
Lassé du porno grand public, masculiniste et ringard Erika Lust, d’origine suédoise, cinéaste, mère de famille, écrivaine et blogueuse, a fondé Erika Lust Films, comme alternative à l'industrie du porno traditionnel. Elle a aussi initié une série de films réalistes, progressistes, hot et respectueux, XConfessions.com. Un peu à la façon d’un podcast intime, des participants y partagent leurs histoires et fantasmes sexuels. Chaque mois, Erika en choisit deux et les réalise en films captivants, excitants, cinématiques.
Elle se catégorise plutôt dans le « porno indie » : « mon cinéma repose sur mes valeurs féministes et je place la sexualité et le plaisir féminins au premier plan. Les productrices et réalisatrices de films féministes s'assurent que les femmes derrière la caméra prennent des décisions actives sur la manière dont elles sont traitées et présentées. Cela signifie que les femmes doivent assumer des rôles de réalisatrices, productrices, directrices artistiques, directrice de la photo, afin que les histoires soient racontées à travers le regard féminin, pour représenter la sexualité féminine, son plaisir et ses désirs. Le consentement occupe une place centrale. Une autre caractéristique clé est mon engagement à éviter la conversion typographique réductrice, la fétichisation et la catégorisation des interprètes en fonction de l'âge, de la race et du type de corps. À mon avis, c'est la voie à suivre pour obtenir plus de diversité et surtout une meilleure représentation dans la pornographie. Je pense que le fait d’avoir des studios qui fondent complètement leur mission sur la catégorisation et la fétichisation sur la base de l’identité de genre, de la race ou de problèmes-clés est contre-productif ».
Son conseil pour jouir aussi de l’éthique ? « Vérifiez toujours qui a produit le contenu que vous regardez. Pouvez-vous savoir de qui il s’agit sur le site ? Existe-t-il une section "à propos"? Ou est-ce juste une entreprise obscure basée aux Pays-Bas ou au Canada ? La pornographie doit être faite dans des conditions de travail sûres, il s'agit d'un divertissement créé par des personnes qui doivent en vivre. Si vous ne voyez pas qui est derrière un studio, je vous recommanderais d'acheter directement le contenu des artistes ».
Comme ailleurs, le droit à des conditions de travail sûres
Erika cultive des normes de soin et de qualité tout au long du processus de pré-production et de production : « celles-ci vont des plus petites attentions, comme la restauration de l’équipe et des interprètes sur le plateau, la garde-robe fournie, les coûts des tests de santé sexuelle, le logement, le transport… » Car les studios doivent maintenant produire une quantité énorme de contenu chaque semaine pour réaliser des bénéfices, surtout sachant que seuls 5% des consommateurs sont disposés à payer pour de la pornographie de qualité supérieure. Ils tournent des productions à très petit budget, qui impliquent de ne pas investir dans ces conditions de travail de base.
Il s’adresse à qui ?
Pour Lina Bembe, « tout le monde peut l’apprécier. Certains le considèrent parfois comme du «porno pour femmes» mais ce type de films avec des éléments féministes peut déployer une très grande variété de narrations et d'esthétiques pour tous, sans distinction de sexe.
Erika Lust analyse que « les personnes qui paient pour regarder XConfessions recherchent du porno plus réaliste et des alternatives au même stéréotype mécanique du genre. Des téléspectateurs fatigués par les gros plans gynécologiques, les pénis démembrés, les mauvais scripts et les intrigues sans intérêt. Ils veulent voir moins de pornographie stérile et sans émotion, et plus de sexe et d'érotisme lubrique. Ils veulent voir de la chaleur, la passion, sentir un contexte et découvrir des histoires réelles dans lesquelles les femmes sont montrées comme maîtrisant leur propre plaisir plutôt que comme des objets intrinsèquement soumis. Ce sont des gens qui aiment regarder du porno avec des valeurs cinématographiques, des histoires construites et une représentation honnête de la sexualité et du sexe humains. » Pour Erika, la distinction entre «le sexe féminin» et le «sexe masculin» est même carrément dangereuse, car elle renforce le mythe selon lequel les désirs des femmes seraient fondamentalement différents de ceux des hommes. Certains pensent encore que les femmes cherchent du porno sucré, « ce qui est absurde. Le désir est une chose très personnel et il est impossible de compartimenter ce que les gens veulent sexuellement, en fonction de leur sexe ».
Quel est l’avenir du X ?
Pour Erika, le modèle commercial du piratage a pris le dessus ces dernières années avec la montée en puissance de sites tels que PornHub, YouPorn et RedTube, « qui ont complètement décimé le secteur et mis de nombreux studios de production et interprètes en faillite. Que vous soyez un artiste ou une société de production, si le contenu que vous créez est chargé sur des sites gratuits, peu importe le nombre de fois qu'il est visionné, vous ne recevrez pas un centime de ces vues. Si les gens peuvent le regarder gratuitement, ils ne le paieront pas, en particulier dans une industrie stigmatisée comme le porno, où les spectateurs ne sont pas fiers de ce qu'ils consomment. Cette réticence à payer pour la pornographie et le manque de motivation, en raison du piratage généralisé, ont conduit à des réductions budgétaires massives dans le secteur. Cela a inévitablement entraîné une baisse de la qualité, et signifie souvent que les artistes interprètes gagnent moins d’argent. Mais le travail du sexe est une vraie activité et les artistes méritent d’être payés. En payant pour votre porno, vous contribuez à faire en sorte que les petites entreprises qui adhèrent à des conditions de travail éthiques puissent continuer à produire des films dans un environnement sûr. »
Nicky Miller conclut : « avec le porno féministe, le résultat est plus harmonieux : les femmes portent sur la sexualité un regard plus intime que les hommes. Finalement pour tout le monde, c’est une très belle libération. Sexuelle, mais avant tout social et humaine ».
A voir : le film de Nicky Miller, « porn esthétique féministe » : nickymiller.org/lemon-taste
Trailer Lemon Taste de nicky miller sur Vimeo.
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