À l’heure où le clitoris se transforme en outil politique, il est temps de mettre un terme à l’analphabétisme sexuel. Ode à l’organe féminin du plaisir, tout est beau dans le clito.
"Ceci n’est pas un émoji. Ni un alien ni un bretzel." Ces mots ont été placardés partout dans les rues de Paris avant de débarquer à Bruxelles. Sur les affiches, l’image d’un clitoris les accompagne. Le but de la campagne ? Rendre hommage à cet organe encore trop souvent oublié. Les visuels, en téléchargement libre, se repèrent d’ailleurs à des kilomètres. Le rose Barbie côtoie le bleu électrique et le jaune fluo. Le clitoris est devenu pop.
En quelques mois, les initiatives liées au plaisir féminin ont explosé. On connaissait déjà le site didactique pour atteindre l’orgasme OMGyes, plébiscité par Emma Watson, Pussypedia (le « Wikipédia de la chatte » comme aiment l’appeler les fondatrices) ou encore le compte Insta « T’as joui ? » qui recueille les témoignages des filles sur le sujet. Mais ce n’est pas tout, loin de là. Plus récemment encore, la web-série « Clit Révolution » et le jeu interactif pour connaître son clitoris, Clit-moi, sont nés. Le 22 mai dernier, une journée internationale lui était dédiée en Belgique et Amazone, une ASBL regroupant une vingtaine d’associations féministes à Bruxelles, exposait une sculpture de l’organe de trois mètres de haut.
« Il existe plus de rapports scientifiques sur la vie sexuelle des éléphants que sur notre clitoris... »
Un véritable boom du clito. Lassé d’être invisibilisé, il a décidé de faire une percée. Et quand on le connaît un peu mieux, on comprend qu’il ne faut pas le sous-estimer. Le clitoris ne se résume pas à un bouton, la partie émergée de l’iceberg. En réalité, il fait la taille d’un petit pénis, 11 cm précisément. C’est aussi le seul organe du corps humain entièrement dédié au plaisir… Son unique but dans la vie, c’est de nous donner des orgasmes. On n’a pas connu plus altruiste. Et pourtant, il a longtemps été caché. « Il a fallu attendre 1998 pour qu’on (re)découvre l’anatomie exacte du clitoris. Pour rappel, l’homme a dépucelé la lune en 1969... La première échographie de cet organe date de 2008 et le modèle en 3D de 2016. Il existe plus de rapports scientifiques sur la vie sexuelle des éléphants que sur notre clitoris », affirme Julia Pietri. Auteure et activiste féministe, c’est à elle que l’on doit la fameuse campagne de street art « It’s not a bretzel » et le compte Instagram « Gang du clito ».
Rendez-vous en terre inconnue
En France, une fille de 15 ans sur quatre ne sait pas qu’elle possède un clitoris et 83 % ignorent sa fonction érogène. Seul un manuel sur huit représente d’ailleurs correctement cet organe féminin. Si on ne dispose pas de chiffres officiels pour la Belgique, on peut supposer que les stats sont similaires. Et aucun livre scolaire ne montre le schéma exact du clitoris chez nous. « C’est dingue, mais je n’ai visualisé sa forme qu’en 2017, à presque 30 ans », explique Camille Wernaers, chargée de projet chez Amazone. « On me répond souvent que c’est normal que le clitoris soit moins connu que le pénis vu qu’il s’agit d’un organe interne. Je me souviens pourtant très bien d’avoir étudié en détail le cœur et les poumons en classe. »
Alors pourquoi un tel tabou ? Forcément, le sexisme dans la recherche dû au manque de femmes scientifiques et le jugement porté sur le plaisir féminin n’ont pas aidé. Une fille qui prend son pied, ça a longtemps été considéré comme sale. Mais la religion est aussi passée par là. Of course. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la stimulation du clitoris était pourtant encouragée. À l’époque, on pensait qu’il jouait un rôle dans la reproduction. Plus d’orgasmes = plus de chances d’avoir un bébé !
Mais lorsqu’on comprend en 1880 que le seul job du clito est de donner du plaisir, son heure de gloire est terminée. Inutile pour la procréation, il perd tout intérêt. L’église l’associe à la masturbation et considère donc qu’il peut servir de contraception… Sacrilège suprême. L’omerta atteint son point culminant en 1960 : le clitoris a disparu des dictionnaires et on observe un recul des connaissances sur le sujet. Encore aujourd’hui, les femmes qui veulent en parler sont souvent découragées. « Lorsque j’ai lu les chiffres sur notre méconnaissance du clitoris, j’ai eu envie de faire une vidéo pour informer. Dès la première minute où je l’ai publiée sur Youtube, elle a été démonétisée. Cela signifie que je ne touche pas d’argent sur les vues, mais aussi que la vidéo est moins mise en avant », raconte Sophie Riche, Youtubeuse aux 200.000 abonnés. « Les annonceurs ont peur que leur pub soit associée à du contenu graveleux. Mais en pratique, on remarque que ce sont systématiquement les vidéos sur la sexualité féminine qui posent problème. Les hommes sont beaucoup moins concernés. Le collectif Les Internettes a d’ailleurs créé le hashtag #MonCorpsSurYoutube pour dénoncer le sexisme de la plateforme. »
La conséquence de cette loi du silence ? Une méconnaissance profonde du corps des femmes et une série de clichés perpétrés. Qui est capable de dessiner un clitoris en détail, de nommer ses différentes parties et de le placer sur un schéma ? Réaliser le même exercice avec le pénis semble tout de suite plus easy.
On notera aussi que le sacro-saint orgasme vaginal restera dans les annales comme l’arnaque du siècle. Il se situe au même niveau que la licorne ou le sujet d’actu du Gorafi : il n’existe pas. En réalité, les deux types d’orgasmes impliquent le clitoris. Ce dernier entoure le vagin et est donc stimulé pendant la pénétration, ce qui explique un plaisir plus « profond ». On ne remercie pas Freud qui a complexé toute une génération en affirmant que l’orgasme clitoridien était celui de la « fillette immature » et non de la « vraie femme »… « On utilise l’expression “excision intellectuelle” pour parler de ce phénomène. Beaucoup de femmes ne savent pas qu’elles ont un clitoris, ou ne connaissent pas ses spécificités. On est amputées d’une partie de nous-mêmes alors que toutes les informations scientifiques sont là. C’est une inégalité supplémentaire », explique Camille Wernaers. « Même nos mots nous sont retirés. On appelle l’ensemble de nos organes génitaux par une partie de ceux-ci : le vagin est l’entrée de la vulve, j’ai appris récemment que ce n’étaient pas des synonymes. Idem pour les trompes de Fallope. Le terme vient d’un anatomiste italien, Gabriel Fallope, qui les a découvertes. Les mecs ont mis leur nom à l’intérieur des filles, comme s’ils plantaient des petits drapeaux sur la lune. Nous avons été dépossédées de notre corps. »
Si les femmes ont une telle méconnaissance de leur propre anatomie, imaginez les hommes. Résultat ? Un fossé orgasmique énorme. Traduisez : les femmes jouissent beaucoup moins que leurs partenaires masculins. D’après une étude réalisée auprès de 52.000 personnes aux States, 95 % des mecs atteignent régulièrement, ou toujours, l’orgasme. Les filles hétéros, elles, ne sont que 65 %. Chez les lesbiennes, le chiffre monte pourtant à 86 %... « Dans l’esprit des femmes, c’est logique : c’est cruel de dire “Merci, au revoir” à un mec en érection. L’inverse est beaucoup moins évident. Les femmes, surtout celles de 20-25 ans, ont énormément de mal à en parler, à demander à leur partenaire qu’il s’occupe d’elle. C’est une question d’affirmation de soi, mais aussi d’image. On ne veut pas vexer les hommes en parlant de notre propre plaisir et on peut avoir peur de passer pour une salope », analyse Charlotte Ledent. Psychothérapeute et sexologue, elle est la créatrice du loveshop Evaluna.
Forcément, les femmes n’ont pas vraiment été éduquées à exiger et les injonctions à être constamment jolies/fraîches/épilées ne favorisent pas le fait de s’abandonner. Mais si le fossé orgasmique est si grand, c’est aussi parce qu’au pays des hétéros, la sexualité est essentiellement « pénétro-centrée ». Un terme compliqué pour un concept basique : la pénétration est vue comme le Graal, le but ultime de la partie de jambes en l’air. Comme si, sans ça, le rapport sexuel n’existait pas. Ce qui reviendrait à dire que les couples de femmes ne font pas « vraiment » l’amour… Rien que le mot « préliminaires » sous-entend d’ailleurs une hiérarchisation. Tout ce qui précède ne serait qu’une mise en bouche avant le grand feu d’artifice final. Sauf que le spectacle n’est pas vraiment magique pour tout le monde. D’après une recherche de l’Université de l’Indiana, seuls 18% des femmes indiquent que la pénétration est suffisante pour atteindre l’orgasme. Il est peut-être temps d’envisager la sexualité autrement, même sans pénétration de temps en temps. De faire preuve d’imagination, de varier les pratiques et de bousculer l’enchaînement bien établi. L’éjaculation sonne encore trop souvent la fin du jeu, en laissant aux femmes la sensation qu’elles n’ont pas, elles aussi, gagné la partie.
Le clitoris en campagne
Face à tous ces constats, le clitoris est devenu ces derniers mois un outil politique, un véritable symbole de l’égalité hommes-femmes. « L’excision existe depuis des millénaires, on s’est toujours servi du clito comme une arme contre nous. Aujourd’hui, c’est important de se le réapproprier, d’en faire un moyen d’émancipation », affirme Julia Pietri.
Dans le même ordre d’idée, la figure de la sorcière, méprisée et traquée au Moyen Âge, est devenue une icône féministe. Une façon de prendre sa revanche et de prôner haut et fort la libération des femmes. Petit à petit, l’organe du plaisir féminin a donc commencé à s’afficher partout. Et la campagne est nécessaire, même auprès des plus engagées. « Avec Sarah (Constantin, NDLR), on s’est rencontrée chez les Femen. On est donc toutes les deux féministes et plutôt casse-cou. Et pourtant, on s’est rendu compte que dans notre intimité, c’était beaucoup plus compliqué. On a des comportements qui ne sont pas en adéquation avec nos idées, et qu’on n’a jamais remis en question. On s’est dit que si des meufs comme nous étaient concernées par ce paradoxe, ça devait être le cas de beaucoup de filles », raconte Elvire Duvelle-Charles.
« Le désir des femmes a été confisqué pendant des siècles, le corps féminin a toujours servi à vendre… »
Les deux copines lancent alors un compte Instagram et une web-série sur France.tv Slash, « Clit Révolution » . Un roadtrip documentaire très fun aux quatre coins du monde, à la rencontre d’héroïnes qui font bouger les lignes. Des thèmes comme le porno féministe, l’excision, la masturbation ou encore l’IVG sont abordés. « Si on a appelé notre projet “Clit Révolution”, c’est un peu par provocation. On ne parle pas que du clitoris, évidemment, mais c’est un symbole de lutte contre une société “phallocentrée”. C’est le répondant au pénis », explique Elvire. « Le clito est un organe chargé de sens vu que c’est le seul entièrement dédié au plaisir. Notre but, c’est de faire de la sexualité une source d’empowerment. Le désir des femmes a été confisqué pendant des siècles, le corps féminin a toujours servi à vendre… Il est temps de changer de regard et de se réapproprier cette sexualité : elle n’appartient qu’à moi. Les filles sont libres de jouir de leur corps et donc de leurs droits. » On l’a compris, le clitoris est une porte d’entrée pour aborder toute une série de sujets féministes. Parce que l’intimité est le dernier bastion de l’égalité, et qu’on peut difficilement changer les dynamiques de pouvoir dans le monde public si on ne le fait pas dans son lit.
À ceux qui diraient qu’il existe des combats « plus importants », on répondra qu’il n’y a pas de petite violence faite aux femmes. Du sifflement au féminicide, c’est une question de gradation et le point de départ, c’est de penser que la femme n’est pas l’égale de l’homme. Tout est lié dans une société patriarcale sexiste et on ne peut pas simplement laisser certains sujets de côté. Donc oui, considérer que les filles ont elles aussi droit au plaisir, et les faire jouir, c’est essentiel.
« Il existe une tyrannie de la performance »
Mais si une vraie révolution du clito s’est opérée ces derniers temps, pourquoi maintenant ? L’effet boule de neige n’y est certainement pas pour rien. Et le mouvement #MeToo est évidemment aussi passé par là. Aujourd’hui, les femmes se font davantage entendre lorsqu’elles disent non, même si le consentement n’est pas encore forcément évident. « L’étape d’après, c’est le consentement joyeux, dire “oui” et dire “je veux”. Il faut sortir du modèle “l’homme propose et la femme dispose”. Il est normal que les filles expriment leurs désirs. Faire l’amour avec quelqu’un, c’est supposé être un plaisir partagé, pas un service rendu… », indique Elvire. Ni une compétition, d’ailleurs. L’idée, ici, c’est de se réapproprier sa sexualité, pas de culpabiliser celles qui n’arrivent pas à jouir.
Le point commun de tous ces comptes Insta sur le clitoris, c’est ça : parler de sexe de façon décomplexée, sans être dans l’injonction. « Il existe une tyrannie de la performance. Il faut forcément que ce soit orgasmique et on a toujours l’impression que les voisins y arrivent beaucoup mieux », analyse Charlotte Ledent. « Il y a un travail à faire sur la conscience du droit au plaisir, mais au lieu d’être une obsession, il faudrait que ce soit ludique », poursuit la sexologue. « On peut jouer à découvrir son corps. Si on ne le connaît pas, on ne sait évidemment pas quoi demander. »
Et c’est là que la masturbation entre en jeu. Mais si la pop culture multiplie les représentations du côté des garçons, c’est tout de suite moins évident pour les filles. Combien de teenagers osent en parler à leurs copines ? Pour changer la donne, Julia Pietri a carrément décidé de sortir un livre entièrement dédié au sujet : « Au bout des doigts : petit guide de la masturbation féminine ». Et c’est une bible. Ici, on parle en détail des techniques, des tabous, des fake news sur le plaisir féminin… « J’ai été obligée de créer ma propre maison d’édition pour le commercialiser », raconte l’activiste. « Mon premier éditeur ne voulait pas d’un bouquin en couleur sur le sujet, le deuxième refusait de mettre les termes “masturbation féminine” en avant. Ça montre bien que ça fait encore peur en 2019. » En réponse à la censure, le guide sort en version collector : il est bleu à paillettes et le mot « masturbation » s’affiche en lettres dorées, en grand, sur la couverture. En un mois, tous les exemplaires sont vendus sur la plateforme de crowdfunding Ulule et il est désormais disponible sur Amazon. Le pied de nez est jouissif.
« Beaucoup de nanas sont malheureuses dans leur sexualité, sans même s’en rendre compte parfois »
C’est en lançant son compte Instagram « Gang du clito » que Julia a eu l’idée d’écrire son manuel éclairé. Elle reçoit alors des milliers de témoignages et se rend compte que les femmes ont vraiment envie de parler de plaisir féminin. Ou plutôt de son absence. Même constat pour Dora Moutot. Ex-rédac chef de Konbini, la journaliste est la fondatrice de « T’as joui ? », l’un des premiers comptes sur le fossé orgasmique. « Je me souviens d’avoir poussé un coup de gueule sur mon Instagram privé l’année passée. Un mec m’avait affirmé que la jouissance des filles était plus “cérébrale”. À l’époque, je devais avoir 2.000 abonnés, mais j’ai reçu beaucoup de messages de femmes et je leur ai demandé si je pouvais publier leurs témoignages anonymement. Le 15 août 2018, je créais “T’as joui ?”, à 11h du matin. À minuit, j’avais 10.000 followers. Ça a été de la folie. Je n’ai rien fait pour promouvoir la page, ce sont simplement les femmes qui se sont taguées entre elles… », raconte-t-elle. « Beaucoup de nanas sont malheureuses dans leur sexualité, sans même s’en rendre compte parfois. Ça me fait marrer quand des copines me racontent leur nuit, façon film porno, en me disant que c’était génial. Mais quand je leur demande si elles ont joui, elles me répondent non... Trop souvent, on considère que c’est normal de ne pas atteindre l’orgasme. »
Exquise mise en pratique
Le problème, c’est que si tout le monde est d’accord pour affirmer que les filles ont droit au plaisir, passer de la théorie à la pratique n’est pas si facile. Se débarrasser des injonctions, déconstruire les préjugés, oser demander… ça prend du temps. Alors, on fait comment ? « Je pense que le fait d’en prendre conscience et de s’exprimer permet déjà d’amorcer un changement », explique Dora. « En tant que fille, on est domestiquée très jeune. On nous apprend à fermer les cuisses, à nous épiler, à nous taire… Mais tout ça est insidieux. J’aime bien l’image des femmes tenues par une laisse invisible : pour que chacune puisse couper la sienne, il faut la rendre le plus visible possible. Et donc parler de toutes ces inégalités. » À ce niveau-là, les réseaux sociaux ont déjà fait leur part du boulot. Toutes les fondatrices de comptes consacrés au plaisir féminin racontent qu’elles reçoivent énormément de messages au quotidien. De la part d’adolescentes de 14 ans, mais aussi de femmes de 60 ans qui envisagent dorénavant leur sexualité autrement. « J’ai eu plusieurs patientes qui sont venues en consultation en me parlant de “T’as joui?” Ça les a bien boostées et manifestement, ça les a fait réfléchir… », explique la sexologue Charlotte Ledent. Insta devient même un moyen de communication : il n’est pas rare que des couples s’envoient des posts pour initier une conversation sur un sujet tabou par exemple.
Chez les mecs aussi, le travail de réflexion a commencé. « Récemment, un ado est venu me voir. Il avait discuté de mon feed avec tous ses potes au lycée. Il m’expliquait qu’il ne savait rien de la sexualité féminine, mais que du coup, le jour où il coucherait avec une fille, il ferait attention à son plaisir », raconte la fondatrice de « T’as joui ? » Réjouissant. Qu’on parle de comptes Instagram, de vidéos Youtube ou encore de séries Netflix comme « Sex Education », tous jouent aujourd’hui un rôle d’éducation sexuelle à leur échelle. Et c’est bienvenu.
Il faut multiplier les sources d’infos, pour autant qu’elles soient correctes et fiables, mais ce serait dommage de ne pas aller encore plus loin. « Il est crucial d’avoir un espace où les jeunes peuvent discuter avec une personne qualifiée de ce qu’ils visionnent sur le web. C’est important de susciter des réflexions critiques pour qu’ils puissent se forger leur propre opinion. Il ne faut pas oublier que les informations sur la sexualité, sur celles des femmes particulièrement, ne sont pas dépourvues d’idéologies et de valeurs morales », rappelle Valérie Morin. Sexologue et chercheuse, elle a fait partie du projet « Clit-Moi », un jeu pour mobile made in Canada qui nous apprend à toucher un clitoris.
Et lorsqu’on parle d’éducation et d’experts, c’est forcément à l’école que l’on pense. Sauf que là aussi, il y a du boulot. Lors des cours d’éducation sexuelle, s’il y en a, le focus est surtout mis sur la prévention des MST et la contraception. Et le plaisir ? Le sujet n’est pas abordé.
En Belgique, on parle d’« Evras », d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. Depuis 2012, l’Evras est intégrée dans les missions de l’enseignement obligatoire grâce à l’adoption d’un projet de décret. À l’époque, c’était une victoire : on reconnaît que les jeunes ont une sexualité et qu’il faut en parler. Le problème ? Aucun cadre n’a été défini. Qui donne les cours d’éducation sexuelle ? À quelle fréquence ont-ils lieu ? Quel est leur contenu ? Chaque école est libre de décider. « Quand une circulaire demande aux chefs d’établissement scolaire de prendre des initiatives à l’Evras, ça peut tout vouloir dire. Certains vont simplement mettre des affiches sur la prévention des MST dans les classes, d’autres vont vraiment s’investir avec tous les professionnels concernés. Le problème, c’est que ça crée des inégalités entre les élèves et des dérives existent.
En Belgique, des mouvements pro-vie se sont retrouvés à donner des cours d’Evras dans des écoles par exemple et à tenir des propos anti-IVG », explique Sofia Seddouk, chargée de missions à la Fédération laïque des centres de planning familial et référente à l’Evras.
Depuis début 2018, des stratégies concertées sont donc mises en place. Le but ? Généraliser les animations pour que chaque élève de la Fédération Wallonie-Bruxelles ait une éducation complète à la vie relationnelle, affective et sexuelle lors de son parcours. 31 acteurs se retrouvent autour de la table, ils sont issus du milieu scolaire, des cinq pouvoirs organisateurs, de la Fédération des représentants des parents… Beaucoup de monde à mettre d’accord sur un sujet aussi « touchy » que la sexualité. Au niveau du contenu des animations, le travail a pourtant déjà été fait par l’Unesco. L’Organisation des Nations unies a sorti un référentiel de huit thématiques à aborder en fonction de l’âge. Elle préconise de parler de reproduction et de prévention des maladies, forcément, mais aussi de plaisir, de consentement, d’identité de genre, de normes, de lien entre sexualité et nouvelles technologies… Oh, oui. On imagine déjà une foule d’écoliers éclairés et de problèmes évités.
« Pour aborder tous ces sujets, on plaide pour qu’il y ait minimum une animation de deux heures chaque année. Il y aurait donc une continuité de la maternelle à la fin des secondaires. On est aussi favorable à ce que ce soit une personne extérieure formée à l’Evras qui donne le cours. C’est compliqué de parler d’un souci sexuel à un prof qui va nous suivre toute l’année… », explique Sofia Seddouk. « Forcément, mettre tout ça en place va coûter de l’argent et un plaidoyer sera nécessaire pour obtenir un vrai cadre légal. Tout dépend de la formation des gouvernements, mais si tous les acteurs du secteur ont réussi à se mettre d’accord, il n’y a pas de raison que les politiques ne suivent pas. L’idée, c’est de venir avec des propositions très concrètes et on espère un vrai changement lors de la prochaine législature. » Alors oui, on a le temps.
Mais en attendant, rien ne nous empêche d’agir à notre niveau. De signer des pétitions, de faire du lobbying pour modifier les manuels scolaires, de lancer des campagnes d’affichage. De dessiner des clitoris, de le porter en pendentif et de réclamer des orgasmes massifs. « On a souvent l’impression que l’activisme, c’est quelque chose de dur, qu’il faut être contre quelqu’un ou contre une idée », explique Dora Moutot. « Au contraire, ici, j’ai choisi d’être pour. Pour le plaisir, tout simplement. »
L’initiative belge
« Mon nom est clitoris ».
Parmi les nombreux projets liés au plaisir féminin, on a repéré cette petite pépite en Belgique. Le film a été produit par Iota Production et c’est le bébé de deux jeunes réalisatrices, Lisa Billuart Monet et Daphné Leblond. Les filles nous emmènent dans l’intimité des chambres bruxelloises et parisiennes. Ici, des femmes de toutes origines et de toutes morphologies nous parlent de leur sexualité, à visage découvert et sur leur lit. « Ce n’est pas une démarche évidente, mais, étonnamment, on n’a pas eu tellement de mal à trouver des volontaires. Beaucoup de femmes avaient envie de le faire, parce qu’il y a un militantisme derrière », raconte Lisa. « On les a trouvées très courageuses. Au début du tournage, je n’aurais pas été capable de prononcer le mot “masturbation” devant une caméra », ajoute Daphné. « Aujourd’hui, à force d’entendre des témoignages, ça me paraît absurde de ne pas oser en parler. » La preuve que la libération de la parole fonctionne. Puissant, libre et drôle, le docu est aussi instructif que déculpabilisant.
À mater d’urgence.
Infos et séances sur la page Facebook « Mon nom est clitoris ».
Illustrations: Rafaela Mascaro - Studio Grand-Père
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