N’en déplaise aux misogynes, les femmes sont aujourd’hui plus libres, séduisantes et sûres d’elles quand elles n’ont plus 20 ans. Analyse d’un mouvement qui bouscule tous les clichés.
Tabou de l’épanouissement sexuel des femmes de plus de 50 ans
« À 50 ans, je suis incapable d’aimer une femme de 50 ans. [...] Je trouve ça trop vieux. [...] Je préfère le corps des femmes jeunes, c‘est tout. Point. Un corps de femme de 25 ans, c‘est extraordinaire. Le corps d‘une femme de 50 ans n‘est pas extraordinaire du tout. » Ainsi parla Yann Moix (dans « Marie Claire », en janvier), déclenchant la vague d’indignation que l’on sait. Bien malgré lui, l’écrivain a ouvert une brèche : être une femme de 50 ans et plus, avoir le désir d’être belle, désirable, amoureuse, et une vie sexuelle épanouie serait totalement tabou ? Ou plutôt scandaleux, impossible, tant la société prescrit à ces femmes-là de raser les murs ? « C’est un âge où les femmes ont acquis des compétences, de l’expérience, où elles ont plus de liberté », décrypte Camille Froidevaux-Metterie, auteure du « Corps des femmes : la bataille de l‘intime » (éd. Philosophie Magazine). « Elles pourraient être sur un mode d’empowerment joyeux, mais c’est encore très compliqué. On les enjoint plutôt à se cacher, à faire comme si elles avaient encore la quarantaine, pour ne pas tomber dans le trou de l’invisibilité. »
Car la société tarde à prendre en compte le fait que les femmes de 50 ans n’ont plus rien à voir avec leurs mères ou leurs grands-mères à ce même âge. Il y a encore un déni de leur place sociale : c’est vrai dans le travail, puisque c’est l’âge où les femmes se cognent le plus au plafond de verre, où elles connaissent aussi le chômage plus souvent que les hommes. C’est vrai aussi dans la vie sociale et culturelle : à part des actrices américaines millionnaires sous bistouri ou des working girls control freaks à la Sheryl Sandberg, les modèles d’identification manquent cruellement. Même au cinéma, reflet et moteur de nos représentations, qui désigne des objets de désir aux hommes et façonne le regard des femmes sur elles-mêmes, elles sont invisibilisées : sur l’ensemble des films français sortis en 2021, seuls 7 % des rôles ont été attribués à des comédiennes de plus de 50 ans (AAFA-Tunnel de la comédienne de 50 ans). À l’heure du culte de la jeunesse, inutile donc de dire que l’épanouissement sexuel des femmes de plus de 50 ans est un sujet encore largement tu.
Lien étroit entre ménopause et désir
Dans « Celle que vous croyez », la romancière Camille Laurens racontait même que, sur les sites de rencontre, tout marche bien jusqu’à 49 ans, mais que, à partir de 50, le nombre de candidats potentiels chute brutalement. Qu’est-ce qui fait si peur ? La ménopause serait-elle à l’origine de ce changement cruel de perception ? Pour Camille Froidevaux-Metterie, cela ne fait pas un pli : « L’idée est encore très répandue que le désir et la capacité reproductive sont liés. La conception éternelle des corps féminins comme étant des corps sexuels et procréateurs à disposition a perduré jusqu’à nous... Dès lors qu’ils n’étaient plus en capacité d’assurer la reproduction, ils n’avaient plus d’utilité sociale et devaient disparaître. On en est encore là. Mais les femmes de 50 ans aujourd’hui découvrent et éprouvent une liberté inédite et durable, qui nous oblige à tout repenser à neuf. » Au fond, c’est comme si le désir sexuel de la femme dite « mûre » était transgressif par nature.
Pourquoi ? Pourquoi, par exemple, Brigitte Macron subit-elle tant de commentaires insultants sur son âge ? « Cela a à voir avec le risque symbolique de l’inceste », explique encore la féministe. « Si une femme de plus de 50 ans est désirante sexuellement, alors, elle pourrait désirer des hommes plus jeunes. Or, elle a l’âge d’être mère d’un garçon sexuellement actif lui aussi, donc elle risquerait symboliquement de faire l’amour avec son fils ou un substitut... Du coup, elle devrait renoncer à la sexualité ! C’est fou, car cela ne pose aucun problème dans le cas d’un homme. Regardez la qualification de “cougars”, et l’agressivité que cela déclenche : cela montre à quel point, dans l’inconscient collectif, elles représentent un danger presque animal. »
C’est donc l’histoire d’un déni collectif, d’une disqualification : « Comme si nous basculions d’un seul coup dans la catégorie des grands-mères et qu’il fallait qu’on s’en tienne à cela ! », enrage Caroline, publicitaire de 54 ans. Ravissante et bien dans sa peau, elle a pourtant vécu comme une honte silencieuse le fait d’avoir des bouffées de chaleur. « Notre vie amoureuse, sexuelle, sociale n’a absolument plus rien à voir avec les schémas d’antan, proteste-t-elle. Nous sommes la première génération dans l’histoire à inventer totalement la manière de vivre cet âge-là, c’est génial d’avoir cette liberté ! » D’autant plus que, sur le plan du désir et de la sexualité, le jeu reste largement ouvert.
Caroline Michel, auteure de « C’est moi ou il fait chaud ? La ménopause sans tabou » (éd.Leduc.s) remet les pendules à l’heure : « Les femmes sont encore trop souvent dans une anticipation négative de la ménopause qui les amène à se détourner de la sexualité. Or, les changements physiologiques n’ont aucun impact direct sur le désir, qui ne dépend pas seulement d’un état hormonal ! Cela peut avoir des inconvénients passagers, bien sûr, mais être libérée d’un contraceptif peut jouer beaucoup sur la détente sexuelle, et les changements hormonaux permettent d’entretenir un autre rapport à son corps, plus serein. »
C’est d’autant plus vrai que l’idée que nous nous faisons de la ménopause, représentée comme une étape clé, négative et un peu angoissante, du vieillissement, est une pure construction culturelle, qui n’existe pas forcément ailleurs. La sociologue Cécile Charlap l’explique dans le très instructif « La fabrique de la ménopause » (CNRS éditions) : « Selon les sociétés, la cessation des menstruations peut être un accroissement des possibles et des pouvoirs, l’avènement d’une sexualité enfin libérée de la fertilité, ou même un non-événement ne faisant pas l’objet d’une attention particulière, au point qu’il n’existe pas de mot pour le désigner. »
Il est donc grand temps de dédramatiser et d’élargir le champ des possibles. C’est ce que dit à sa manière Juliette Binoche, jamais langue de bois (dans « Version Femina », le 10 février) : « Prendre des années, c’est aussi gagner en connaissance. La jeunesse ne nous donne pas ce recul, ce changement de valeur, cette conscience. À 50 ans, nous pouvons nous libérer du désir de pouvoir, nous avons réalisé des choses dans notre vie, nous n’avons pas à prouver notre puissance, une autre puissance fait surface, la véritable, celle de ne pas avoir peur de perdre. »
Témoignages
« Je suis mieux dans ma peau que jamais »
Nathalie, 54 ans, médecin généraliste
« Je suis excédée par la manière dont on évoque “les femmes de 50 ans”, comme s’il s’agissait d’une espèce rare, d’un troupeau homogène ! C’est un peu humiliant. Je ne me sens pas appartenir à une tribu aux mœurs sexuelles étranges. J’ai été mariée pendant 22 ans. J’avais depuis quelques années un amant un peu plus âgé que moi. Mes enfants étaient grands, mon mari avait aussi besoin d’air, nous avons fini par divorcer gentiment. Je suis mieux dans ma peau que jamais. Est-ce parce que je suis amoureuse ? Je vis une réconciliation intime, l’acceptation de mon corps, qui est la somme de tout ce que j’ai vécu. Ma peau se ramollit, les rides se creusent. Je n’abdique pas la séduction et l’amour physique, mais je ne peux plus vraiment lutter ! Cet acquiescement ouvre vers une plus grande douceur et compréhension envers moi-même. Jamais de ma vie je n’ai été si sereine au lit, dans un lâcher-prise assez tendre, une confiance en moi, délivrée de la panique des débuts de la vie sexuelle. Je sais que cet abandon est rendu possible par mon âge, mon expérience... Alors, tant mieux ! »
« Le besoin de me prouver que je pouvais encore séduire l’a emporté sur l’embarras »
Laurence, 52 ans, bibliothécaire
« J’ai été paniquée d’avoir 50 ans. J’avais en tête ma mère et mes tantes, des femmes qui avaient renoncé très tôt à toute forme de séduction. Sitôt les enfants élevés et partis, elles s’étaient transformées physiquement en grands-mères, en attente de petits-enfants pour recommencer un cycle, l’horreur ! Séparée de longue date du père de ma fille, j’ai longtemps été célibataire, sans en souffrir. Mais, vers 46-47 ans, je suis passée aux sites de rencontre. J’ai découvert un monde assez cruel, où l’on peut se faire mal si on ne maîtrise pas les codes, mais cela m’a mise en mouvement. J’ai recommencé à m’habiller, à aller chez le coiffeur, à vouloir être belle. J’ai couché un peu avec des hommes parfois très gentils, je me sentais libre de n’avoir aucun compte à rendre, c’était assez léger. Et puis j’ai retrouvé un ami d’enfance sur Facebook, comme dans une comédie romantique ! C’est un amour très charnel et très joyeux, comme je n’en ai jamais connu. Jamais je n’aurais pensé une telle chose possible passé 50 ans. J’avais des idées fausses plein la tête. »
« C’est un repos du corps et de l’esprit bienheureux »
Caroline, 54 ans
« J’ai eu une ménopause de galérienne ! Bouffées de chaleur, sécheresses diverses, sautes d’humeur... Je vis avec le même homme depuis vingt ans, et, franchement, l’humeur n’était pas à la gaudriole ! J’avoue que j’en ai profité pour me mettre sur pause sexuellement, et cela me convient parfaitement. Nous ne faisons plus l’amour au sens strict, non merci ! Mais nos relations sont devenues plus tendres. Nous sommes plus attentifs l’un à l’autre qu’avant. Je n’ai aucune frustration. Pour moi, c’est un repos du corps et de l’esprit bienheureux. J’ai fonctionné si longtemps dans des rapports de séduction, cherché à être sexy, même quand je n’en avais pas envie, que je savoure et profite de m’accorder enfin cette liberté. J’ai l’impression d’être beaucoup plus en accord avec qui je suis qu’à 30 ans ! »
« Je retrouve la liberté que j’avais entre 19 et 25 ans, l’assurance en plus »
Véronique, 52 ans, Haut Fonctionnaire
« J’ai expérimenté toutes les configurations, et je ne veux plus de vie de couple ! Célibataire depuis quatre ans, je m’autorise tout. Mon âge me donne plus d’assurance, j’assume ma libido. J’ai trois applis de sites de rencontre. Au début, je voulais des “ hommes entre 45 et 55 ans ”, mais je tombais sur des fraîchement divorcés, très angoissés par le couple, qui pontifient volontiers, vous expliquent la vie, votre métier, tout ça... Moi, je n’ai pas envie d’une relation durable. Aujourd’hui, je préfère les plus jeunes, ils sont plus drôles, plus respectueux, moins égocentrés. En ce moment, j’en vois régulièrement quatre ou cinq, à tour de rôle, entre 27 et 38 ans. J’ai des règles quand je les invite à la maison : je ne fais pas la cuisine, ils arrivent vers 21 h, nous commandons un dîner pour passer un moment sympa avant, et puis ils repartent après l’amour. Je refuse les hommes mariés, par solidarité féminine. Mon âge me permet de poser mes limites, de dire clairement mes désirs. Ils ne semblent pas poser problème, au contraire. Si je voulais, j’aurais tous les soirs les plus beaux mecs de 30 ans dans mon lit ! »
Ménopause, la fin d’un tabou social ?
Après le tabou de l’utérus, du vagin et des règles, place à celui de la ménopause ? Dans les librairies, les parutions se bousculent en ce moment... Un guide de sexologie décomplexée – « Les plaisirs secrets de la ménopause », de la Dre Christiane Northrup (Mama éditions) –, une enquête auprès d’experts et un recueil de témoignages – « C’est moi où il fait chaud ? » de Caroline Michel (éd. Leduc.s) –, une étude sociologique montrant comment cette étape physiologique est aussi une construction sociale – « La fabrique de la ménopause », de Cécile Charlap (CNRS éditions) – et un guide pédagogique écrit par une gynécologue – « Ménopause, pas de panique ! » de la Dre Odile Bagot (éd. Mango, parution le 19 avril).
Largement de quoi dédramatiser !
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