Le maquillage pour homme reste un sujet qui fait débat et qui divise l’opinion. Pour certaines personnes, l’idée que des hommes puissent prendre soin d’eux et embellir leur apparence bouscule les codes établis et remet en cause les idées archaïques sur la virilité.
A quoi sert le maquillage ? Il a plusieurs utilités, dont celle de s’embellir, de corriger une imperfection ou encore s’exprimer artistiquement. Et cette pratique n’est pas uniquement réservée aux filles. Pourquoi ? Tout simplement parce que les femmes et les hommes sont tous dotés d’un visage, recouvert de peau, constitué d’yeux, d’une bouche et il est donc finalement logique que les produits cosmétiques s’appliquent avec la même légitimité sur la peau des uns comme des autres. Voilà pourquoi.
Malheureusement, depuis toujours, les choix esthétiques font débat. Et le maquillage à tendance à cristalliser certaines opinions rétrogrades et sexistes. Quand une femme refuse de se maquiller, elle subit des remarques : trop négligée, et quand elle décide de combiner des yeux charbonneux à des lèvres rouges : trop provocant, elle se retrouve à nouveau confrontée aux critiques et quand un homme décide de se faire un trait d’eye-liner, il devient alors aussi la cible des esprit étriqués.
Cette histoire c’est celle d’Alexis, un jeune adolescent originaire d’Albi, une ville située dans le sud de la France. Alors qu’il se présente à l’école maquillé, une de ses camarades s’offusque et prévient sa maman. Cette dernière appelle le proviseur qui convoque immédiatement Alexis et lui interdit désormais de se maquiller, sous peine de renvoi. Le jeune publie un message sur Instagram où il raconte son histoire. Même si tous ses camarades ont pris sa défense, ce fait divers parmi tant d’autres a permis de relancer le débat sur la beauté masculine.
En 2019, il est encore et toujours nécessaire de déconstruire les idées reçues. Même si certains esprits fermés en doute encore, les faits sont là : les filles n’aiment pas que le rose, un homme pleure aussi, les femmes sont capables de se battre et les hommes ont le droit de se maquiller. Il est grand temps de mettre un terme aux lieux communs désuets et réducteurs qui contribuent à entretenir le machisme et la masculinité toxique.
Peut-on enfin redéfinir les critères de la virilité et laisser les hommes faire, eux aussi, ce qu’ils veulent ?
Parce que oui, même si un homme est imberbe, mince, petit, coquet, pacifique et qu’il aime se maquiller, il reste : un homme. Etre un homme n’est ni une question d’apparence, ni d’orientation sexuelle.
Le maquillage masculin : une pratique ancestrale
Le fait de voir un homme se maquiller pourrait sembler inédit et dans l’air du temps, pourtant cette pratique n’a rien de moderne. Depuis des milliers d’années, les humains, peu importe les considérations de genre, cultivent un goût pour l’esthétique.
Durant l’Egypte antique, les rois ainsi que les reines n’hésitaient pas à se farder. On note aussi que leurs Dieux, par exemple Osiris ou Amon étaient également représentés avec du maquillage. Ensuite, durant de nombreuses périodes de l’Histoire, le maquillage était mal perçu voire interdit comme au début de la Grèce Antique. Au Moyen-Âge, l’Église Catholique le qualifiait même “d’oeuvre du diable”. A la Renaissance, on commence à s’émanciper de l’avis de la religion, le must est d’avoir le teint diaphane voilà pourquoi on use et abuse de poudre blanche matifiante. A partir du 17ème siècle, l’art de l’embellissement entre dans les mœurs et s’étend même à toutes les classes sociales. Les hommes sont lourdement poudrés, ils portent des perruques, se rosissent les joues et s’apergent généreusement de parfum. Enfin de l’autre côté de la méditerranée, en Afrique, depuis très longtemps de nombreuses ethnies et peuples se parent de maquillage tribal. Un art traditionnel qui les embellit, leur permet de séduire ou de montrer leur rang hiérarchique.
Dans la culture contemporaine, le maquillage a influencé de nombreuses icônes. Difficile d’imaginer David Bowie, Freddie Mercury, Boy George ou le groupe The Cure sans leurs looks mythiques. Le maquillage est un art qui leur a permis de se construire un personnage et de marquer les esprits à tout jamais. Les inoubliables paupières bleues du clip Life on Mars et le regard charbonneux du leader de Queen ont bousculé les conventions et marqué des générations entières. Visionnaires, extravagants et terriblement rock’n’roll, ces artistes ont pavé la voie pour de nombreux hommes.
Un contexte favorable
De nos jours, malgré les réticences de certains et leurs idées réactionnaires, l’époque est plus que propice à l’acceptation du maquillage masculin. Exit les codes et les pratiques genrées, l’heure est à la liberté.
De nombreux artistes tels que les superstars de la k-pop BTS et le prince de la musique latine Bad Bunny n’hésitent plus à arborer des ongles parfaitement manucurés et une mise en beauté soignée. L’une des émissions les plus regardées sur Netflix est : RuPaul’s Drag Race, un concours de drag queen où l’on voit des artistes hommes se transformer en icône tellement glamour que ça nous file des complexes. Et les réseaux sociaux pullulent de “beauty boy”, ces influenceurs beauté de plus en plus puissants qui maîtrisent à la perfection toutes les techniques de maquillage. Les plus connus sont James Charles, Manny Mua, Beautyction ou Richaard. Ces derniers ont chacun des liens étroits avec de grandes marques et font partie intégrante de l’industrie de la cosmétique.
En France, Richaard est l’animateur de la chaîne Youtube de Sephora, le temple du maquillage et aux Etats-Unis les YouTubeurs s’associent avec des marques prestigieuses. On peut citer – entre autres – la collaboration entre James Charles et Morphe, Patrick Starr avec Mac ou dernièrement entre Aquaria, gagnante de la saison 10 de RuPaul’s Drag Race et Nyx.
L’avènement du maquillage masculin semble donc logique dans une époque où la cosmétique pour homme au sens large est en plein essor. Selon une étude de l’entreprise Reportlinker, le marché mondial des produits cosmétiques pour homme était évalué à plus de 40 milliards d’euros en 2016. Et ça ne s’arrête pas là puisqu’elle prévoit un chiffre de plus de 55 milliards d’euros en 2026. Un véritable marché donc.
En école, les futures esthéticiennes sont formées pour anticiper et répondre aux attentes de la gent masculine. Mme Baquet, co-responsable de l’école Lise Loriot explique : “ On donne à nos élèves une vue générale de ce que sont les épilations et les soins. C’est vrai que les hommes ont des préférences et demandent un autre type d’épilation, mais nous on pratique des prestations en fonction du type de peau et non du sexe. Les filles peuvent ensuite s’entraîner sur des hommes durant leurs stages car elles y sont parfaitement préparées.”
C’est donc comme une évidence que les plus grandes marques de l’industrie du luxe se sont lancées dans la confection de gammes dédiée aux hommes. En 2003, le visionnaire Jean-Paul Gaultier sortait “Tout beau, tout propre”, une ligne de cosmétiques pour homme. Plus de dix ans après, de nombreuses marques décident elles aussi de partir à la conquête de ce public. C’est le cas de Chanel, Mac et aussi de Givenchy. En 2018, sous la direction artistique de Nicolas Degennes, la célèbre griffe française lançait “Mister”(monsieur), une gamme asexuée mais au nom peu équivoque. “Dans tous les cas, le maquillage est unisexe, mais on voulait montrer qu’on avait pensé aux hommes pour ce projet. Nicolas Degennes voulait que ses créations correspondent à n’importe qui. Il adore sublimer les femmes mais il pense que dans cette société il faut accepter tout le monde et ne pas mettre les gens dans des cases”, explique une représentante de Givenchy.
Nul doute que les prises de risque de ces nombreuses marques encouragent de nouveaux adeptes à sauter le pas. Mais pour les professionnels du secteur, le nerf de la guerre c’est : le conseil en magasin. Un élément trop souvent négligé et qui peut en rebuter plus d’un. Pour la directrice artistique du CEDEB (Centre Européen de l’Esthétique de Belgique) Angela Errico, il est nécessaire d’être bien préparé pour recevoir les hommes. “En Belgique on est très traditionnels. Le service marketing et l’industrie de la cosmétique font très bien leur travail, ils créent des gammes masculines. Mais en magasin, il faut voir comment les conseillers les vendent et comment ils les proposent. Parce qu’en boutique ne met pas à l’aise les hommes car il n’y a pas de coin spécialement pour eux. Donc il y a une certaine manière de les aborder, ce n’est pas la même psychologie et il faut être formé à tout ça.” On note donc le contraste entre l’expansion de la beauté masculine dans la pop culture et la réalité du terrain. Pourtant la demande augmente et on ne compte plus le nombre d’hommes pour qui le maquillage est une étape essentielle au quotidien.
Un véritable rituel
26 000 euros, ce chiffre exorbitant avait choqué l’opinion publique en 2018. Il s’agissait de la somme dépensée pour des produits cosmétiques en l’espace de trois mois par le président français Emmanuel Macron. Outre le coût mirobolant, cette anecdote nous avait fait prendre conscience d’une chose. Tout autour de nous, dans les médias, la mode, en politique, les hommes se maquillent, pour nous rassurer, séduire, masquer la fatigue et se sentir confiant.
Pour beaucoup de garçons, le maquillage fait partie intégrante de leur routine depuis des années. Jeremy, 22 ans, explique : “À la base, j’étais contre le maquillage, car je trouvais que ce n’était pas naturel et je pensais encore que se maquiller était une façon de “tricher” sur sa beauté. Mais j’ai vite réalisé que se maquiller était semblable à avoir un style vestimentaire, un peu comme une façon de mettre en valeur son visage de la façon qui nous convient. De plus, j’ai toujours eu des rougeurs au niveau du nez et des joues et me maquiller m’a permis de ne plus avoir peur qu’on les remarque.” Le jeune assistant de communication se maquille depuis maintenant 2 ans et affirme que le make-up est devenu pour lui “ une étape indispensable que j’apprécie effectuer quotidiennement”.
Pour d’autres garçons, leur attrait pour la cosmétique peut même se transformer en vocation. Enzo Gallina est make-up artist, sa passion il en a fait son métier. “J’ai commencé à me maquiller il y a plus ou moins 5 ans. J’achetais beaucoup de produits et je les utilisais pendant des shootings commerciaux pour un site en ligne. A l’époque je n’avais pas de formation mais j’ai voulu me perfectionner en prenant des cours. C’est grâce au monde de la mode que je me suis intéressé au maquillage mais j’ai toujours aimé embellir les femmes.”
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En Belgique, le maquillage masculin commence timidement à rentrer dans les mœurs. Pourtant dans d’autres pays comme la Corée du Sud, voir des hommes à la peau “flawless” pour se rendre au travail : c’est la norme. Alex revient d’un séjour de plusieurs mois dans ce pays asiatique, il explique : “ Je dirais que 30% des hommes se maquillent au quotidien et environ 70% pour sortir en soirée. C’est une pratique commune pour être beau et plaire aux femmes. J’ai été invité à une pré-soirée et le but principal était de nous aider à nous maquiller. Mais attention, on est bien loin de l’ambiance “girly”, c’est plutôt l’opposé. On est vraiment dans une atmosphère bière, fraternité où on ne parle que de femmes.”
Les hommes ont donc la même sensibilité que les femmes par rapport au maquillage. Cette pratique est une affaire de goût avant d’être une question de genre, de sexe ou d’orientation sexuelle.
Mais il est important de faire la distinction entre le maquillage comme outil d’embellissement et le maquillage artistique.
Beat for the gods
Quand on parle de maquillage masculin artistique, les gens pensent directement aux drag-queens, ces artistes masculins qui performent une féminité exacerbée. Pourtant la technique et la créativité de ces reines de la scène n’ont rien à voir avec le maquillage de tous les jours.
Renaud est propriétaire du Cabaret Mademoiselle, un lieu qui en deux ans est devenu une institution de la vie nocturne bruxelloise. Depuis plus de quinze ans, sur scène il devient Mademoiselle Boop, une créature séduisante et fantasque qui brûle les planches comme personne.
C’est son amour pour le “Drag” qui encouragé Renaud à suivre une formation de make-up artist pendant un an. En véritable professionnel, il nous éclaire sur les nombreuses différences entre un maquillage quotidien et un artistique. “ On n’est pas obligé d’utiliser des marques dédiées au monde du spectacle. Il faut juste juste adapter les produits et la quantité. En drag c’est 3 – 4 fonds de teints différents, il y a ensuite le contouring, l’immense trait d’eye-liner, les faux cils, etc. On peut utiliser 30 à 40 produits seulement pour un look.”
Coté budget, l’artiste fait le point : “Au début de ma formation de maquillage, j’ai investi 1000 € dans mon matériel. Maintenant je dépense par mois environ 50 € en maquillage et 50€ en soin car il faut garder notre peau en bonne santé malgré le maquillage, la fatigue et tout.“ Enfin, avant de monter sur scène, Renaud doit compter environ 1 heure de préparation pour devenir Mademoiselle Boop. Un protocole désormais bien rodé car à ses débuts il passait environ 3 heures à se poudrer dans les coulisses. Pour les drag-queen le maquillage est un art minutieux qui implique de nombreuses étapes.
Pour vous aider à mieux comprendre, voici la liste non exhaustive (chaque reine à sa propre technique) d’un make-up parfait pour illuminer la scène :
- Le rasage
- Il faut cacher les sourcils. Pour ceci on peut utiliser différents types de colle et on les écrase avec un goupillon, une spatule ou même … une cuillère. On peaufine le tout en les poudrant.
- On utilise ensuite un cache barbe pour masquer l’effet bleuté. On peut utiliser une crème couleur peau un peu orangée, un produit de camouflage ou un anti-cernes très pigmenté.
- L’étape cruciale de la première couche de fond de teint
- On utilise un stick fond de teint spécialement pour les sourcils
- On applique un highlighter crème pour illuminer la bouche, l’arête du nez et les pommettes
- On pratique le contouring crème pour redéfinir les traits du visage
- On se poudre pour fixer le fond de teint et on retire le surplus
- Pour rehausser le teint, on utilise un bronzer poudre
- On arrive à l’étape essentielle de la création des nouveaux sourcils plus haut et plus définis
- On applique une base pour les yeux et on les maquille avec des fards. On embellit le tout avec un trait d’eye liner.
- On colle les faux cils et on utilise le mascara
- Pour parfaire le teint, on utilise un enlumineur poudre et du blush
- On se crée une bouche parfaite en appliquant le combo crayon et rouge à lèvres
- Pour finir on se spray le visage avec un fixateur ultra puissant pour survivre aux spotlights
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Le maquillage masculin est très présent dans les milieux artistiques mais il est nécessaire de prendre en compte d’autres éléments pour constater ou non une démocratisation de cette pratique. Comment est-elle perçue dans la rue, au travail ou dans l’intimité ?
Pour les porteurs de make-up, c’est bien simple le regard des autres : ils s’en fichent. Les remarques positives ou négatives n’auront jamais d’impact sur leur manière de s’afficher en public. “En tant que jeune homme gay, j’ai appris à me détacher du regard des autres et depuis bien longtemps. Je possède mon propre style vestimentaire et je ne crains pas que l’on s’en étonne ou qu’on me fasse des remarques à ce sujet. Le principal, c’est de me sentir bien dans ma peau, que ce soit au niveau de mes vêtements ou de mon maquillage”, affirme Jeremy. Pour Enzo Gallina, même discours “je n’ai jamais pris en compte le regard des gens et ça depuis que je suis tout petit. J’ai toujours assumé ce que j’étais et aucun regard méchant ne me fera changer.”
La base d’un couple est de s’aimer et s’accepter tels que l’on est. Mais si votre moitié désirait un jour de cacher ses petits défauts qui lui gâchent la vie, comment réagiriez-vous ? Il est nécessaire de se poser la question car elle en dit long sur notre ouverture d’esprit et notre vision de la masculinité.
Pour Ophélie, 24 ans, l’important est que son homme reste naturel, “ça ne me gênerait pas si le maquillage est utilisé pour cacher de petits défauts.” Selon elle, peu importe notre genre, le surplus de maquillage peut vite tourner à la catastrophe. Même avis pour Louise, 23 ans, elle explique : “ Si c’est juste un peu de fond de teint ou une bb crème pour cacher les imperfections, je n’ai rien contre. Après, si mon mec décide de se maquiller les yeux ou plus, je trouverais ça bizarre.”
“Le maquillage pour hommes est de plus en plus répandu”, affirme Romain, 23 ans. “ Moi je corrige certains défauts comme les cernes, les boutons et les brillances donc si le maquillage permettait à mon copain de se sentir mieux dans sa peau je l’encouragerai.”
On voit donc que c’est le naturel qui prime. Qu’on soit ou s’identifie homme ou femme, le plus important est de nous sentir en confiance au quotidien. Parfois cela passe par la correction de nos petites imperfections et ça de nombreuses personnes commencent à l’assimiler.
Virginie, 33 ans, conclut en expliquant “moi mon mec a un côté macho donc je serai très étonnée mais ça ne me choquerait pas . On exige toujours qu’une femme ait le teint frais, qu’elle soit toute pimpante sinon on lui rabâche “tu es fatiguée” ou “tu as le teint gris”. Je ne vois donc pas pourquoi on n’aurait pas les mêmes exigences esthétiques pour les hommes. La société nous a habitués à voir des femmes toujours maquillées et en même temps à tolérer qu’un homme ne prenne pas soin de lui. C’est encore une inégalité. Moi je trouve ça génial que des hommes aient envie d’être beaux, frais et cachent leurs petits défauts.”
La question du maquillage pour homme cristallise à elle seule, de nombreux sujets d’actualité : l’égalité, la masculinité toxique, le genre ou le féminisme. Cette thématique balaye d’un revers de main de nombreuses idées préconçues et nous laisse espérer qu’un jour plus personne n’aura besoin de se justifier sur son apparence, ses goûts et son physique. Ce jour là, notre nouvelle devise sera : Liberté, Égalité, Crème Teintée !
Charlotte Médot (stagiaire)
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