Pour arriver « pures » au mariage, certaines femmes ont recours à des opérations coûteuses de réfection de leur hymen ou usent de subterfuges étonnants. Décryptage d’un marché florissant.
Elle baisse la tête et rase les murs. Avant de pousser la lourde porte en fer forgé de cette clinique privée de l’Ouest parisien, Myriam* a longtemps hésité. « Je ne suis pas fière de le faire, au contraire, j’ai même honte. Mais je dois me marier dans quatre mois et si ma famille ou celle de mon fiancé apprennent que je ne suis plus vierge, elles ne voudront plus m’adresser la parole et le mariage sera annulé », confie cette ingénieure en génie civil de 29 ans. Devant la secrétaire, Myriam hésite à décliner sa véritable identité. Elle remonte son écharpe, tire nerveusement sur les manches de son pull avant de chuchoter qu’elle vient pour subir une hyménoplastie.
En 45 minutes environ, cette intervention va lui permettre de retrouver un hymen intact. « C’est une procédure assez simple », explique la Dre Sylvie Abraham, chirurgienne esthétique dans le XVIe arrondissement de Paris. « Il existe différentes techniques en fonction de l’état des résidus hyménéaux, ces petits lambeaux de tissu qui subsistent après la défloration. S’ils sont suffisamment importants, on peut les recoudre entre eux, sinon, il faut prélever du tissu neuf dans la muqueuse du vagin et réparer l’hymen. » Simple, peu risquée, pratiquement indolore, cette opération se pratique sous anesthésie locale ou générale et en ambulatoire, ce qui permet aux patientes de rentrer chez elles à l’heure du dîner et de reprendre le travail dès le lendemain matin. « Personne ne saura que je l’ai fait. Le médecin m’a assuré que, même avec un examen gynécologique, on ne pourra pas déceler que j’ai été opérée », explique Myriam, presque soulagée.
Au lendemain de sa nuit de noces, elle pourra donc offrir le fameux linge blanc taché du sang de sa défloration à sa belle-famille. « C’est la tradition », soupire-t-elle, avant d’enfiler la blouse d’hôpital. Dans sa famille, musulmane, pourtant peu pratiquante, il est expressément demandé aux femmes d’être vierges le jour de leur mariage. « C’est une question d’honneur. Ma mère me l’a souvent répété quand j’étais plus jeune : “ Ta virginité est ton bien le plus précieux.” Si je l’avais écoutée, je n’en serais pas là. » À 21 ans, sur les bancs de la fac, Myriam tombe amoureuse pour la première fois. Après des mois de préliminaires, pensant qu’elle a trouvé le bon garçon , elle décide de sauter le pas. « Ça a duré quelque temps, puis on s’est séparé. Il m’a dit que ses parents ne supporteraient pas que leur fils épouse une femme non vierge. J’ai trouvé ça culotté. J’ai aussitôt regretté de lui avoir offert cette partie de moi. » Alors, sur internet, en quelques clics, comme beaucoup d’autres femmes musulmanes, chrétiennes, évangélistes ou issues de la communauté des gens du voyage, Myriam a trouvé une manière de remonter le temps et d’effacer toute trace de sa vie sexuelle. Moyennant 2.500 euros, plus 50 euros de frais de consultation. Une sacrée somme pour laquelle elle a dû économiser longtemps.
D’autres jeunes femmes plus pressées ont recours à l’hyménorraphie. « C’est un bricolage pratiqué le plus souvent dans un cabinet, et pas dans un bloc opératoire, par des médecins peu scrupuleux qui se contentent de suturer et de renvoyer la patiente chez elle contre quelques centaines d’euros », s’agace la Dre Abraham. Mais l’hymen reconstruit dans ces conditions demeure extrêmement fragile et finit par se déchirer au bout de trois ou quatre jours. Pour éviter les tarifs prohibitifs ou les médecins véreux, certaines vont également en Tunisie, nouvel eldorado de la chirurgie esthétique low cost où l’on pratique l’hyménoplastie à moindre coût. Des tour-opérateurs organisent même des voyages all inclusive à des prix défiant toute concurrence : 750 euros, opération, billet d’avion et nuit d’hôtel inclus. Contactés par nos soins, ces établissements n’ont pas souhaité s’exprimer sur le nombre de Françaises qu’ils reçoivent, nous faisant comprendre qu’il n’est pas de bon ton d’évoquer ce genre de pratique. Pourtant, sur les sites internet de MediGate, Expert-Esthétique, Estetika Tour et autres experts du tourisme médical, l’hyménoplastie figure en bonne place à côté de la liposuccion et de la rhinoplastie.
Le kit de virginité ? Deux hymens artificiels, l’un pour s’entraîner, l’autre pour le jour J et une crème raffermissante pour le vagin…
Pour toutes celles qui ne disposent ni des moyens de se faire opérer en France ni de la complicité familiale ou amicale qui leur permettrait de partir en Tunisie en toute discrétion, il existe un dernier recours : l’hymen artificiel. Une toute petite capsule translucide à insérer dans son vagin, trente à quarante minutes avant l’acte sexuel. Sous l’effet de la température et de l’humidité corporelles, cette « pilule de virginité » va se ramollir et, au moment de la pénétration, libérer un liquide imitant à la perfection le sang. Créé à Kyoto au début des années 1990 par une marque de sex-toys japonais, cet hymen devait, à l’origine, permettre aux couples à la libido en baisse de rejouer à l’infini leur toute première fois. De l’accessoire sexuel au carton commercial, il n’y a qu’un pas qu’une société chinoise, Gigimo, franchit dans les années 2000 en commercialisant les premiers kits de virginité à destination des pays arabes. Ils renferment deux hymens artificiels, l’un pour s’entraîner, l’autre pour le jour J, une paire de gants en latex, un thermomètre, une crème raffermissante pour le vagin et même un petit guide expliquant aux femmes comment bien simuler la pudeur et la douleur d’une vierge lors de son premier rapport. Aujourd’hui, plusieurs grandes marques se partagent le marché et il faut compter entre 95 et 125 euros pour un kit et entre 10 et 25 euros pour la capsule seule. Bien cachés au fond d’une trousse de maquillage ou dans le rembourrage d’un ourson en peluche, ces hymens artificiels sont livrés aux quatre coins du monde.
À Chartres, Sofia* a reçu le sien trois semaines avant son mariage. « J’en avais entendu parler au Maroc, quand j’étais en vacances. Une cousine m’avait dit qu’ils en vendaient sous le manteau dans les marchés de Casablanca, mais je n’avais pas les bons contacts pour tenter le coup », explique cette assistante dentaire aujourd’hui maman de deux petits garçons. Son salaire ne lui permettant pas d’avoir recours à l’opération, cette solution la séduit. De retour en France, Sofia surfe sur le Net : « J’ai été surprise de voir à quel point il était facile d’en acheter un. J’étais toute contente de le recevoir, mais, le soir de mes noces, j’avoue que je n’en menais pas large. Je me suis isolée dans les toilettes, j’avais répété plusieurs fois les gestes avant. Mon mari n’y a vu que du feu. Le drap était taché de sang. Pour moi, ce n’était qu’un symbole, une étape par laquelle il fallait passer. J’avais perdu ma virginité à 23 ans avec un homme qui n’était pas de ma confession. Je n’en avais pas honte, mais je savais bien qu’il ne fallait pas non plus le crier sur tous les toits. Ma famille n’aurait pas compris, alors j’ai utilisé cette petite astuce », dit-elle d’un air malicieux.
Des subterfuges, il en existe depuis la nuit des temps dans les milieux qui sacralisent l’hymen. « Que ce soit en Occident à l’époque où le catholicisme était fort ou dans le monde arabe, on retrouve de très vieux manuscrits avec des recettes pour faire semblant d’être vierge. Aujourd’hui, on croit à tort que l’impératif de virginité n’existe que dans les milieux populaires, rigoristes ou dans les banlieues, mais il est présent aussi chez les avocats, les médecins, les universitaires », explique l’anthropologue Ibtissem Ben Dridi. Avec le recul de l’âge du mariage (36 ans en moyenne pour les femmes en France, en 2018), la possibilité d’avoir des relations sexuelles en dehors du cadre conjugal augmente, ce qui explique en partie le succès du business de la virginité. « Au début de ma carrière, il y a une trentaine d’années, je ne pratiquais jamais ce genre d’opération, se souvient la Dre Abraham. Aujourd’hui, c’est extrêmement fréquent et cela coïncide toujours avec la saison des mariages. »
Dans le corps médical, les avis divergent sur ces opérations dont la technique n’est pas enseignée en fac de médecine. Plusieurs chirurgiens, sous couvert d’anonymat, nous ont confié qu’ils hésitaient souvent à accepter de la pratiquer. « Opérer des patientes qui ont été violées et qui souhaitent réparer leur hymen dans un but thérapeutique, ça ne me dérange pas, au contraire », nous confie un jeune chirurgien esthétique parisien. « Mais le faire parce qu’elles subissent des pressions religieuses ou communautaires, c’est une forme d’aliénation du corps qui est contraire à la déontologie médicale. » Ibtissem Ben Dridi en est convaincue : « Si ces interventions n’étaient pas rémunérées, rares seraient les médecins à accepter de les pratiquer. » Pour cette chercheuse qui partage sa vie entre Paris et Tunis, seule l’éducation permettra aux futures épouses de s’émanciper du poids des traditions. « Quand une femme est diplômée, qu’elle a un métier qui lui offre la possibilité d’être autonome financièrement, elle peut se permettre plus facilement de dire non à sa famille. » La réalité est parfois moins manichéenne. Pour l’heure, les agendas des médecins se remplissent, les commandes d’hymens artificiels affluent et « se refaire une virginité » n’a plus rien d’une simple expression.
Le certificat de virginité
Pour s’assurer de la « pureté » de leur future belle-fille, certaines familles n’hésitent pas à exiger qu’elle se soumette à un test de virginité avant ses noces. Réalisé dans le cabinet d’un gynécologue, cet examen consiste à inspecter l’hymen des femmes pour y déceler d’éventuelles déchirures. Une pratique jugée « souvent douloureuse, humiliante et traumatisante » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui, en octobre dernier, a appelé les spécialistes à y mettre fin. La France n’a pas attendu le rapport de l’OMS pour les proscrire. Le 9 janvier, à Cherbourg, un homme a d’ailleurs été condamné par la justice à 18 mois de prison avec sursis pour avoir tenté de pratiquer un test de virginité sur sa belle-fille. En Belgique, il aura fallu attendre le 16 février pour que l’Ordre des médecins décide d’interdire la délivrance de certificats de virginité « en dehors de l’examen médico-légal des patientes victimes d’agressions sexuelles ou de viols et à condition qu’il soit pratiqué dans le respect de la personne par des praticiens spécialement formés ». Au Maroc, les gynécologues se battent depuis janvier pour faire interdire cette pratique, arguant qu’il n’existe aucune obligation légale de fournir ce document avant un mariage. Au Brésil, en Irlande du Nord, en Inde, en Jordanie ou au Malawi, des groupes féministes se forment discrètement sous l’impulsion d’ONG internationales pour mener ce combat encore loin d’être gagné.
* Pour préserver l’anonymat, les prénoms ont été changés.
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