Ce week-end, le groupe Juicy et Theo Francken se sont mutuellement « interpellés » sur les réseaux sociaux, après un concert en Flandre où le duo s’est publiquement opposé à la politique de l’ex-secrétaire d’État.
En n’y portant qu’une oreille distraite, on pourrait presque croire à un morceau apaisé. Il commence sur quelques accords de guitare doux, souvent joués en live par Sacha Vok. Puis viennent les deux voix, à l’unisson. « Ils n’ont pas frappé à ma porte. Ils m’ont mis à terre ».
La portée de « Didn’t knock » est, sans équivoque, plus grave qu’on peut le supposer. « C’est un morceau qu’on a écrit au moment des débats autour du projet de loi de perquisitions sans mandat d’arrêt au domicile des hébergeurs de migrants », raconte Julie Rens, l’autre moitié du duo Juicy. Une thématique éminemment politique, que les deux artistes ne manquent jamais de dédicacer à Theo Francken. Comme ce week-end, au festival « Het Groot Verlof », organisé par la ville de Leuven. Une dédicace qu’elles-mêmes ont qualifié de « crue », puisqu’un « klootzak » — « connard » en flamand — destiné à l’ancien secrétaire d’État à l’Asile et aux Migrations s’est glissé dans la performance.
Et le message n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, puisqu’aussitôt, l’épisode a été partagé sur les réseaux sociaux par Lorin Parys, ex-candidat bourgmestre N-VA à Leuven. Appel qui a fini par être porté à la connaissance de Theo Francken, qui a réagit en déclarant « La gauche se permet tout ». Plus tard, et plus longuement, l’ex-secrétaire d’État s’est fendu d’une nouvelle publication, sur Facebook cette fois : « Selon ces dames, qui sont payées par la ville de Leuven pour donner un concert gratuit, je suis un ‘connard’, et pour cette raison, elles me dédient une chanson ».
Une réaction « futile »
En réponse, les Juicy ont tenu ce dimanche à s’exprimer elles aussi sur les réseaux sociaux. « Ce matin notre dédicace à Theo Francken a été entendue. Tout d’abord nous aimerions lui rappeler que si nous avons été payées par la ville de Leuven pour jouer au festival ‘Het Groot Verlof’, c’est parce que c’est notre métier. Et ce n’est pas parce que nous sommes rémunérées avec de l’argent public que nous sommes en accord avec les politiques mises en œuvre ».
« On s’est dit que sa réaction était vraiment futile. C’est drôle aussi d’avoir voulu immédiatement nous cataloguer de gauche, nous mettre dans un gros sac, et diviser par la même occasion la population en deux camps », nous expliquent-elles aujourd’hui. Les artistes confient aussi avoir depuis reçu des messages d’insultes. « On est conscientes qu’en abordant des sujets aussi controversés, tout le monde ne sera pas d’accord. Mais c’est aussi pour ça qu’on joue cette chanson partout où on va, même à Louvain ou Anvers, qui sont des villes très marquées par la N-VA. C’est même là-bas que ça prend tout son sens ».
La liberté d’importuner
Là où le message de Theo Francken est étonnant, et ce que relève notamment le groupe, c’est qu’il y fait mention des subventions publiques allouées à la culture, dont bénéficient le duo pour offrir un concert gratuit aux habitants de Leuven. Si elles ne l’envisagent pas comme une menace réelle de boycott par les villes à majorité N-VA, « ce qui nous fait peur en revanche, c’est de se rendre compte que pour certains, les artistes n’ont manifestement pas le droit de dire ce qu’ils pensent. C’est effrayant. Ça remet clairement en cause notre liberté d’expression », estiment-elles. Car si une autre performance publique qui nierait les simples droits humains d’une minorité de la population devrait légitimement s’attendre à être réprimandée, les membres de Juicy diffusent à l’inverse un appel à l’indignation envers des politiques qu’elles estiment nier les libertés fondamentales des êtres humains, comme celui à l’asile ou à la vie privée. Assorti d’un joli juron, certes.
Et si le duo ne compte pas cesser ces interpellations, elles estiment qu’en ce qui concerne le message de Theo Francken sur Facebook, le chapitre est clos. « C’est important pour nous d’aborder dans notre musique des sujets concrets sur la société dans laquelle on vit. On espère juste avoir à l’avenir moins de sources d’inspiration », concluent les deux artistes.