Plus que jamais au goût du jour, la diversité n’est néanmoins pas l’apanage de tous. Et les grosses - les « rondes » selon l'usage politiquement correct - sont toujours autant gâtées niveau discriminations. Pourtant, en 2019, un Belge sur deux serait en surpoids, et donc potentiellement victime de grossophobie. Focus sur cette haine intériorisée de l'hors normes.
Entrée en 2019 dans le Petit Robert, le phénomène de « grossophobie » est défini comme une attitude de discrimination envers les personnes en surpoids. « En surpoids », ou plutôt grosses. En effet, en s’intéressant de plus près à la problématique, on se rend rapidement compte que les principales intéressées en ont ras-le-bol des euphémismes. « Rondes », « fortes », « pulpeuses », « enrobées », pourquoi faut-il constamment édulcorer son langage ? Comme le disent Daria Marx et Eva Perez Bello dans le titre de leur ouvrage : « Gros n’est pas un gros mot ». Et « un gros chèque, un gros cadeau, c’est toujours sympa ».
« Mais non tu n’es pas grosse, t’es belle ! », comme si une variable empêchait l’autre. C’est que, dans notre société, la grosseur est censée être un état transitoire. Encore récemment, la marque Forever 21 joignait aux commandes de ses clientes "plus size" des barres de régime Atkins. Pour l’imaginaire collectif, la grosseur d’une personne lui bloque obligatoirement l’accès au bonheur. Pourquoi ? Parce que le gras est vu comme une preuve de laisser-aller qui doit trouver une explication psychologique individuelle et – bien souvent - malheureuse (une rupture, le stress, etc.). Certes, la prise de poids peut s’expliquer par un excédent de calories consommées sur le total des calories brûlées, mais elle peut aussi provenir de facteurs génétiques ou encore hormonaux (et la liste des diagnostics possibles est longue). Comme le répète le collectif Gras Politique : « pour beaucoup de personnes grosses, maigrir n’est pas une possibilité ». Plus encore, « pour certaines personnes, maigrir n’est pas une priorité de vie. »
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Finalement, ces rouages insidieux de notre société ont pour conséquence que les grosses disparaissent. On ne les entend pas, on ne les voit pas, sauf si l’intéressée veut parler « perte de poids ». Évidemment, quand les tailles s’arrêtent au 42 dans les grands magasins, que le hashtag #grosse est temporairement censuré par Instagram ou que des célébrités minces deviennent égéries de grandes marques de régimes, rares sont les grosses qui osent prendre le peu de place qu’on leur accorde. Mais c’était sans compter la détermination des activistes qui bataillent contre le fat shaming. Dans le monde francophone, c’est véritablement depuis la sortie du livre "On ne nait pas grosse", de Gabrielle Deydier que la presse a commencé à s'y intéresser. Les militantes ont alors fait entendre leur combat contre la grossophobie systémique, à laquelle nous sommes conditionnées dès le plus jeune âge.
Attention, leur message ne se veut en aucun cas être une promotion de la grosseur. A Gras Politique de confirmer sur leur site internet, « nous ne pensons pas qu’il soit souhaitable d’être en obésité ou d’être grosse. Nous affirmons que notre corps nous appartient, et que nous avons toute notre place dans la société. » L’idée est que ces femmes ont conscience des difficultés vécues par les gros, elle savent ce que c’est puisqu’elles le vivent au quotidien. Leur but n’est donc pas d’encourager ni la prise ni la perte de poids : que chacun fasse comme il l’entend - même si vouloir perdre du poids est évidemment foncièrement grossophobe puisqu'il s'agit, in fine, d'une peur du gras. En revanche, elles revendiquent que l’on intègre les gros, qu’on arrête de les mettre en difficulté et qu’on arrête de les stigmatiser.
Il fut un temps, le gras et les bourrelets étaient des signes de richesse et d’opulence. A présent, « fainéants », « sales » ou encore « négligents » seraient plutôt les préjugés qui collent à la peau des gros.
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Avant-propos médical
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il nous semblait important de rappeler que l'obésité est considérée comme une pathologie. Bien entendu, cet avant-propos n'entend pas nier le mouvement anti-grossophobie mais à plutôt pour objectif de proposer un d'état des lieux et afin d'éclaircir les zones d'ombres autour de cette notion, nous avons fait appel à la diététicienne nutritionniste Rosalie Nicolas.
Comment définissez-vous l’obésité ?
« On définit une personne adulte obèse sur base de son IMC ou BMI. Pour les enfants et adolescents, on considère l’obésité quand le BMI est > 97ème percentile pour l’âge et le sexe. Une personne est considérée en surpoids dès lors que son IMC dépasse 25kg/m2 et obèse si celui-ci atteint au moins les 30 kg/m2. L’obésité se définit également comme une accumulation excessive de masse grasse, entraînant des inconvénients pour la santé. L’Organisation Mondiale de la Santé considère l’obésité comme une épidémie mondiale. »
Qu’est-ce que l’IMC ?
« Il s’agit du poids en kilogramme sur la taille au carré (m2). [...] L’IMC est un outil validé par l’OMS permettant d’évaluer la corpulence d’un individu et ainsi les risques pour sa santé. C'est-à-dire qu'une personne de corpulence normale aura un risque de mortalité plus faible qu’une personne en surpoids, voire obèse. Effectivement, il existe un lien étroit entre l’excès de poids et la morbi-mortalité. Cependant, une augmentation de poids peut aussi être provoquée par une augmentation de masse graisseuse, un développement de masse musculaire ou même de la rétention d’eau. En cas de doute, d’autres outils peuvent être utilisés pour déterminer le taux de masse grasse d’une personne. »
Quelles sont les causes de l’obésité ?
« L’obésité est clairement liée à un excès de tissu adipeux (tissu gras). Le tissu gras est formé suite à une accumulation (stockage) d’énergie non utilisée par le corps. Le volume de celui-ci dépend de nombreux facteurs, notamment la nourriture, mais pas que ! Il faut également prendre en compte le contexte alimentaire (volume du repas, vitesse de la prise alimentaire, taille des bouchées, etc.) ou encore les variables alimentaires externes (humeur, exposition aux écrans pendant et en dehors des repas, stress, etc.). Viennent alourdir la balance, tous les facteurs liés à la personne et à son état de santé physique et mental (activité physique régulière ou de sédentarité, arrêt du tabac, consommation d’alcool, certains médicaments, stress, diminution du temps de sommeil, etc.). Mais l’obésité est également liée aux facteurs génétiques ou hormonaux, à certaines pathologies, aux troubles du comportements alimentaires, à la ménopause ou à la composition du microbiote intestinal. »
Obésité et bonne santé sont-elles incompatibles ?
« On peut être obèse et en plus ou moins bonne santé. Ce qui peut faire la différence, c’est l’activité physique. En effet, une récente étude démontrait que les personnes obèses considérées comme saines étaient celles pratiquant plus de sport. Au niveau métabolique, la synthèse et l’activité accrue du tissu gras augmente le taux d’acide gras circulants dans le sang, avec des conséquences au niveau métabolique. Les personnes atteintes d’obésité et d’obésité sévère ont des taux plus élevés de maladies cardiaques, de diabète, de certains cancers, d’arthrite, d’apnée du sommeil, d’hypertension artérielle et de dizaines d’autres maladies et conditions. »
Pensez-vous que le monde médical est grossophobe ?
« Malheureusement le bas prix des produits industriels et le manque d’éducation fait que la population obèse appartient fréquemment aux groupes économiquement défavorisés. Il faut savoir que l’IMC moyen est plus faible chez les personnes diplômées de l’enseignement supérieur de type long. [...] Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit bien d’une réalité : nous vivons dans un monde grossophobe. Une récente étude à montré que des infirmières avaient plus de préjugés négatifs envers les personnes obèses qu'envers les autres. Il a été déterminé que ces préjugés étaient influencés par l'indice de masse corporelle des infirmières et par le fait d'avoir une personne obèse dans la famille. »
La haine des gros
Pour répondre concrètement à nos interrogations, nous avons rencontré deux militantes belges : la poétesse féministe queer Cathou ainsi que Pelphine, la créatrice du compte Instagram @corpscools. D’ordinaire, c’est sur le net que les deux partagent leurs réflexions, aujourd’hui c’est avec nous qu’elles déconstruisent cette oppression systémique.
Avant toute chose, il faut savoir que Cathou préfère parler de « haine des gros ». C’est que, selon elle, le terme « grossophobie » ressort plus du climat général de la société, qui veut que l’on grandisse tous avec une peur monstre du gras. En effet, nous sommes tous conditionnés à être obsédés par le fait de ne pas grossir, et cela même lorsqu’on est minces. A l’inverse, la « haine des gros » touche spécifiquement cette fraction de la population. « C’est cette peur de la grosseur qui mène à des sentiments anti-gros et anti-grosses. »
Insidieusement, la grossophobie s’est frayé une place prépondérante dans les mentalités actuelles. Et personne n’y échappe. « Même moi je suis grossophobe », nous dit Pelphine. A Cathou d’enchainer, « à des moments, on peut encore avoir des réflexes comme regarder une personne grosse que l’on estime correspondre plus aux clichés que nous. C’est terrible puisque c’est aussi avoir une hiérarchie entre nous, c’est continuer à penser qu’il y a des bonnes grosses. » Et c’est justement par le militantisme qu’elles essaient de déconstruire cette grossophobie intériorisée.
La charge mentale des personnes grosses
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« L’enfer, c’est les autres » disait Sartre. Dans le cas de la grossophobie, difficile de trouver meilleur adage. Comme l’explique Cathou, « Tes interactions, en tant que grosse, changent en fonction de quelle grosse tu incarnes. Si tu es une grosse qui arrive en jogging chercher son pain, tu sens que tu es davantage négligeable ». « Je rêve de laisser pousser mes poils de jambe, mais je ne me sens pas encore capable de le faire. Parce que je me dis qu’être grosse et avoir des poils, les gens n'y arrivent pas, c'est trop pour eux », poursuit Pelphine. Allant à l’encontre des injonctions sociétales, le gras représente déjà une déviance en soi. Fatalement, ajouter toute expression n’obéissant pas aux normes amplifie l'hostilité.
De prime abord, ce rejet de l'autre est souvent la discrimination anti-grosse à laquelle tout le monde pense. Pourtant, loin de se limiter aux rapports sociaux, la grossophobie s'est installée partout. Il est parfois même compliqué d'imaginer à quel point elle peut concrètement faire partie de la vie quotidienne. Un tourniquet, un tensiomètre ou une simple paire de bas représentent encore aujourd'hui des obstacles pour les gros. Et puisque lorsqu’il s’agit d’éveiller les consciences, un bon dessin vaut mieux qu'un long discours : voici une infime partie des problèmes grossophobes qui persistent en 2019.
a. L’intimité
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Parmi les discriminations grossophobes, nous appelons à la barre la contraception d’urgence, autrement dit la pilule du lendemain. Peu le savent, mais plus l'IMC d'une personne est élevé, moins l'efficacité de cette dernière est assurée. A cela s'ajoute le fait que l'accès à la contraception n'est pas plus évident. Souvent, les médecins estiment que les pilules oestroprogestatives augmentent les risques cardio-vasculaires, risques auxquels ces personnes sont déjà exposées. Beaucoup de femmes expliquent également que leur gynéco n'aborde pas le thème de la contraception, soit parce qu’ils considèrent qu’une grosse n’a pas de relations sexuelles soit parce qu’il y a, selon eux, de fortes chances qu’elle soit stérile. Ainsi, une étude de l’Inserm datant de 2010 indiquait que "les femmes obèses de moins de 30 ans déclarent quatre fois plus de grossesses non désirées ou d’avortements que celles du même âge au poids normal".
Et le combat continue lorsqu’il s’agit de la maternité. « Si un jour j’ai envie d’avoir des enfants, je suis terrorisée par le suivi de la grossesse », confie Pelphine. En effet, même si cela peut bien se passer pour certaines, l’hostilité médicale voire la violence lors de la grossesse est régulièrement dénoncée par les femmes en surpoids. Concernant la PMA – autrement dit la procréation médicalement assistée -, Cathou explique que, dans la plupart des pays, il existe une limite d’IMC. « C’est aussi une forme d’eugénisme puisque c’est comme dire qu’à partir d’un certain poids, tu n’as pas le droit de te reproduire ».
Pénible pour toutes, les règles le sont encore plus pour les grosses. « Mettre des tampons ou mettre une cup, pour des personnes grosses, cela nécessite une petite gymnastique que certaines personnes n’arrivent pas à faire. Et les serviettes hygiéniques ne sont pas vraiment adaptées au niveau de la taille des sous-vêtements. Il existe aussi des culottes menstruelles mais, encore une fois, elles ne font pas les très grandes tailles. […] Rien n’est pensé pour les personnes grosses », explique Pelphine.
b. Les vêtements de base
Ce que constate Pelphine, c’est que « si tu vas sur des sites en ligne et que, par exemple, tu regardes les robes, les tailles 54 et plus ont 0,02 % des choix alors qu’elles représentent 9% de la population française. Par contre, les tailles 34 représentent 0,07% de la population française mais, en revanche, elles ont 12% des choix. » Dans un monde où le plus size correspond au 42, voilà qui illustre parfaitement ce que vivent les grosses quand il s’agit de s’habiller. « J'ai beau vouloir être anti-grossophobie, je m’en fous du poids et je pense que ce n’est pas important, mais je ne veux pas grossir non plus. Je ne veux pas que mon choix diminue et continue de diminuer à chaque fois », ajoute Cathou.
Finalement, c'est grâce à l'initiative d'autres personnes grosses qu'elles parviennent à s'habiller plus facilement. « Un site créé par des grosses et qui marche vraiment bien, c’est Snag Tights », confie Cathou. « Elles ont de l’offre selon que tu aies un gros ventre ou pas. Et aussi, il y a la question du frottement entre les jambes. Nous on les démolit nos collants, et super vite. Du coup il faut des autres matières, il faut que ce soit solide, etc. Si je ne mets pas de pantalon, c'est avant tout pour une question de confort : si tu as du ventre t’exploses la tirette, elle va s’ouvrir tout le temps, il y a le frottement, etc. ».
Et tout cela a un coût. Comme le dit Pelphine, « acheter un soutif grande taille c’est un investissement. [...] N'importe quel basique reste cher. »
c. L’emploi et la précarité
Bien souvent, être gros, c'est aussi vivre dans une situation de précarité. « Est-ce que c’est parce qu’on est gros qu’on est plus pauvre ou est-ce que c’est parce qu’on est pauvre qu’on est plus gros ? Probablement qu’il n’y a pas un lien de causalité, mais il y a corrélation ». Ces paroles sont celles de Cathou mais si l’on en croit les chiffres publiés par Pelphine sur son compte Instagram, le lien existe bel et bien. Ainsi, en 2013, alors que seulement 11,2% des femmes gagnant entre 2800 et 4199€ net sont obèses, elles représentent 30,7% des femmes gagnant moins de 450€.
Au niveau de l'emploi, il est bien connu que le physique peut vite devenir un facteur d’injustices. En 2016, selon Organisation internationale du travail (OIT), les femmes obèses étaient huit fois plus victimes de discriminations que les femmes dites « normales ». « Ce sont aussi des choses que nous intégrons tellement que nous croyons d’avance que nous ne sommes pas capables. Le terme « auto-exclu » est terrible puisqu’on ne s’auto-exclut pas. Nos choix on nous les diminue, on nous dit tout le temps que si on est gros on est forcément con, etc. Rien que le fait d’avoir ces clichés sur notre intelligence va agir sur notre carrière, sur notre confiance en nous, sur comment on arrive à un entretien. »
Concrètement, « dans l’Horeca, il ne faut pas qu’il y ait une grosse qui vend des burgers parce qu’il ne faut pas que les gens aient cette association dans leur tête. Même chose pour les bars, une grosse qui travaille dans quelque chose lié à de la représentation, c’est éventuellement accepté en cuisine, mais il ne faut pas que les gens la voient », continue-t-elle.
d. Le quotidien
Et pour ceux qui ne s’étaient jamais penchés sur le sujet, le plus aberrant est sans conteste la grossophobie routinière, celle qui se glisse insidieusement dans les gestes les plus prosaïques du quotidien. Rien qu’en mentionnant les tourniquets, les poils de Pelphine se dressent. « Les tourniquets, mais quelle invention du diable ! (rires) Les tourniquets, les accoudoirs, les sièges dans les cinémas, etc. »
Elle continue, « à présent c’est pour des convictions écologiques mais à la base, j’ai arrêté de prendre l’avion parce que c’était une angoisse. […] Les ceintures sont trop petites, il faut donc demander une rallonge devant tout le monde à l’hôtesse, ce qui est humiliant. Les sièges non plus ne sont pas adaptés. Dans les trains aussi d’ailleurs, et en général je me mets toujours côté couloir. » Sans compter le mécontentement des autres passagers et le mal-être que cela provoque pour la personne grosse.
« Il n’y a pas si longtemps j’étais encore étudiante et, dans les auditoires, le pire ce sont les chaises avec la tablette intégrée. C’est tout petit, c’est donc très proche de toi. Et moi j’avais parfois quatre heures de devoir là-dessus. » Outre l’aspect matériel, ces infrastructures inadaptées provoquent avant tout douleur et inconfort. Et, face à toutes ces gênes – et cette gêne – l’isolement est souvent la première des options. « La charge mentale du gros, c’est plein de micro-détails qui peuvent être vraiment pénibles et qui font que l’on doit beaucoup anticiper », conclut Pelphine.
e. Le monde médical
Et finalement, bien qu’il leur est sans cesse rappelé qu’elles sont obèses donc malades, rien n’assure un suivi médical adapté aux personnes grosses. En effet, il est très rare qu’elles trouvent des équipements seyants après une première visite chez un spécialiste. « Quand on est diabétique, on doit faire des examens du fond d’œil. C’est donc quelque chose que font les gros diabétiques, mais, malgré ça, le matériel n'est pas adapté » explique la créatrice de @corpscools. Et, à nouveau, ces infrastructures inadaptées provoquent douleur et inconfort.
« Le matériel ça manque ! », enchaine Cathou. « Le cardiologue, pareil. Tu arrives et il y a plein de slogans préventifs sur l’obésité, mais à côté de ça, il n’y a même pas de tensiomètre à ta taille. Alors que ma généraliste en a un nickel. » Elle continue, « j’ai passé un IRM il n’y a pas longtemps et ils te détestent quand tu arrives puisqu’ils savent qu’il n’y a pas beaucoup de chance que cela fonctionne. Au téléphone, il devrait y avoir une procédure consistant à demander quel est notre poids. En France, jusqu’il y a quelques années, les gros on les envoyait directement dans des cliniques vétérinaire pour passer des IRM. Du coup je n’ai jamais reçu les résultats de mon IRM passé en septembre [nous sommes en août au moment de l’interview]. »
C’est d’ailleurs pour éviter ce genre de problèmes que des collectifs créent des listes de médecins dits « safe ». Cathou nous explique qu’ « en Belgique il y a beaucoup de projets, mais c’est difficile puisqu’on peut avoir des procès pour diffamation. C’est compliqué de faire des listes safe correctement, et puis éthiquement, ça pose aussi question. »
Pourquoi le body positivity n’a rien à voir
Une fois abordée, l’acceptation de la grosseur fait immédiatement écho au mouvement body positivity, qui explose actuellement sur les réseaux sociaux. Néanmoins, il s’agit là d’un fâcheux raccourci qui, au bout du compte, porte préjudice au combat des personnes grosses. Il est donc primordial de bien différencier les deux militantismes, cela pour préserver le mouvement anti-grossophobie, qui se trouve dépouillé malgré lui.
« Aux États-Unis, le mouvement pour les personnes grosses date des années 60. Chez nous, ça s’est plus ou moins institutionnalisé dans les années 80-90. […] Et ça fait aussi depuis les années 70 que le féminisme nous dit qu’effectivement, il y a des normes corporelles qui sont sexistes. C’est donc un peu comme si le mouvement body positive était déjà du re-branding du féminisme, mot qui a fait peur si longtemps. C’était donc une façon de propager le même message avec un autre nom, mais, en même temps c’est aussi prendre l’espace du fat activism/ positivity », explique Cathou. « Moi je me sens très dépossédée de quelque chose quand je vois des personnes non concernées qui utilisent ce terme. […] ça invisibilise quand même. Et même si l’intention n’est pas forcément mauvaise, ce sont elles qui font le buzz, pas nous. »
Devenir un allié
Sur son compte Instagram, Pelphine propose son « petit guide de l'allié.e cool ». C'est simple, évident et surtout très important.
Au fil des interviews et des rencontres, force est de constater que la grossophobie est plus qu'un problème d'interactions sociales, elle s'inscrit directement dans le fonctionnement structurel de notre société. Dans un monde où le moindre bourrelet est considéré comme un ennemi, pas étonnant que celles qui en ont et qui ne s'en cachent plus soient considérées personae non gratae. Mais, comme pour le féminisme - lui aussi un autre combat loin d'être gagné - c'est le principe d'égalité qui guide le mouvement anti-grossophobie. Et si tout le monde pouvait en avoir conscience, ce serait un grand pas pour celles qui luttent contre les normes corporelles, mais aussi pour chacun de nous.
Estelle De Houck (stagiaire)
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