Un conseil : mieux vaut vous libérer toute une après-midi si vous avez rendez-vous avec la mixologue Hannah Van Ongevalle. Dans l’ambiance confortable de son nouvel espace de homeworking, on perd toute notion du temps. Bienvenue à The Motel.
Hannah Van Ongevalle – de The Pharmacy – 31 ans, résumée en trois mots ? Occupée, occupée, occupée ! Après deux ans de travaux de rénovation, la reine des cocktails de Knokke a enfin trouvé la sérénité à The Motel, son nouveau point d’attache et siège créatif. C’est là qu’en tant que consultante, elle élabore de A à Z des concepts pour l’horeca. Dans un cadre éclectique et audacieux, doté d’un bar luxueux et d’une cuisine équipée professionnelle que lui envient de nombreux grands chefs, elle organise des dégustations, des ateliers autour des cocktails et des tables rondes culinaires avec des cuisiniers renommés. Entre-temps, vous la trouverez derrière le bar de The Pharmacy – le clan Van Ongevalle a désormais deux bars « speakeasy » à son actif, à Knokke et à Anvers – ou à des événements exclusifs en Belgique et à l’étranger qui font appel à elle pour le catering. Incroyable mais vrai : le lundi de Pentecôte, nous avons réussi à l’intercepter pour discuter sans tabou d’empowerment, de moments façon Pretty Woman, d’équilibre boulot-vie privée et de l’art d’élire domicile sur son lieu de travail. Ou comment quatre heures ont filé sans qu’on s’en aperçoive dans le monde en accéléré de The Motel.
Élue meilleure barmaid de Belgique en 2014, vous vous taillez une place dans le top mondial en partant de rien. Comment considérez-vous cette gloire instantanée aujourd’hui ?
Ce titre a été une surprise totale. J’étais barmaid depuis moins d’un an et je me retrouvais déjà sur le podium d’une compétition internationale. Même si j’avais confiance en ma performance, je me disais que ça n’allait pas durer. Jamais je n’ai pensé être la meilleure, j’ai toujours cru que mon frère l’était. Un titre comme celui-là ouvre des portes, mais il fait aussi grimper la pression. Il faut faire ses preuves tous les jours. Je craignais en permanence que ma chance me quitte. Mais, par un heureux hasard, quelque chose de nouveau m’arrivait à chaque fois. Je crois que tout vient au bon moment.
Cela fait aujourd’hui cinq ans que vous évoluez au plus haut niveau dans un bastion à prédominance masculine. En quoi cela vous a-t-il changée ?
Pour commencer, j’ai beaucoup gagné en assertivité. Il n’est pas évident pour une femme de se montrer ambitieuse face à la concurrence masculine. On attend d’elle qu’elle fasse son travail tout en restant humble et en se taisant. Si elle réussit à s’imposer, on a vite fait de lui coller l’étiquette de salope arrogante. Généralement, les choses se passent plutôt bien entre les barmans. C’est un petit monde, on se connaît tous. Mais dès qu’une femme connaît un certain succès, beaucoup d’hommes voient en elle une menace. L’empowerment a encore du chemin à parcourir dans la sphère économique. J’ai dû pas mal encaisser ces dernières années, mais chaque revers m’a rendue plus forte. Ma priorité est de rester fidèle à moi-même. Je ne vendrai jamais mon âme pour une opération lucrative. Si on ne me donne pas carte blanche en matière de créativité, je refuse le projet. Fini de vouloir plaire à tout le monde. Je suis arrivée à un stade où je suis libre de mes choix. J’opte pour des projets qui me boostent et je travaille avec des marques qui me plaisent. C’est un luxe.
On parle de « vivre en marge ». Vous vivez et travaillez depuis un an dans un ancien immeuble de bureaux dans une zone industrielle. Comment avez-vous atterri ici ?
Cela faisait quelques années que Guillaume et moi recherchions désespérément une maison abordable et suffisamment spacieuse pour mes activités professionnelles dans la région de Knokke. Il y a deux ans, ma marraine m’a appelée un soir pour m’annoncer qu’elle avait déniché le bien parfait. Nous avons immédiatement pris rendez-vous avec l’agent immobilier. La maison correspondait en tout point à nos désirs et nous nous sommes informés pour obtenir un prêt. Trois jours plus tard, nous apprenions qu’elle avait été vendue à un prix beaucoup plus élevé que celui qui était demandé au départ. J’étais dévastée. Pour nous remonter le moral, nous sommes allés manger un bout en terrasse chez une amie à Damme. Tard dans la soirée, nous sommes tombés par hasard sur un agent spécialisé dans les bâtiments commerciaux. Il connaissait un immeuble de bureaux inoccupé qui était à vendre depuis longtemps. Le lendemain, nous sommes allés le visiter avec mon père. Nous nous sommes regardés avec Guillaume et nous avons su instinctivement pourquoi nous étions là. Nous avons décidé de faire une offre inférieure et attendu la réponse avec impatience. Deux heures plus tard, l’agent m’a rappelée. Un coup de fil libérateur et un moment euphorique. J’avais toujours rêvé d’avoir ma propre maison et ce moment était enfin arrivé.
D’où vient le nom « The Motel » ?
Je cherchais un nom court et accrocheur par analogie avec The Pharmacy. The Motel est universel et signifie littéralement un hôtel de plain-pied avec parking devant la porte. C’est tout à fait ça. Qui plus est, le bâtiment dégage une atmosphère nostalgique et californienne qui s’inscrit parfaitement dans le style coloré et excentrique que j’avais en tête. Notre intérieur devait ressembler à un cocktail doux-amer de vert et de rose. Vous auriez dû voir la tête du peintre quand je me suis pointée avec seize couleurs différentes !
Transformer un immeuble de bureaux inoccupé en un espace de vie et de travail doit représenter un projet énorme. Comment s’est passée la rénovation ?
En un mot : épuisante ! Ce projet m’a pris au moins deux ans de ma vie. Je me suis donnée corps et âme à l’aménagement intérieur. J’allais à la pêche aux idées jour et nuit dans des magazines de déco et sur des sites web de design. Il fallait avancer. Heureusement, Guillaume et moi étions sur la même longueur d’onde. Nous n’avons regretté aucun de nos choix. Mais cela a nécessité un investissement financier considérable. Une grande partie de notre budget a été consacrée à des éléments invisibles. Ça m’a fait très plaisir qu’un ami s’enthousiasme sur les tubes et tuyaux souterrains. Quelqu’un voyait enfin où était passé notre argent (rires). Le matin du déménagement, j’ai posté un selfie sur lequel j’étais en larmes. Je ne pouvais pas cacher mon émotion. Depuis lors, je veux rentrer chez moi le plus vite possible après chaque mission. Rien ne vaut son propre lit.
Et rien ne vaut une cuisine professionnelle à la maison ?
Exactement ! Quelle cuisine de folie ! Pour moi, cette pièce est le cœur d’une maison, le lieu où les gens se retrouvent, où tout se passe. Elle devait donc être au top. Le cuisiniste m’a comprise sans que j’aie besoin de parler, comme s’il lisait dans mes pensées au point que ça en était presque flippant. Notre îlot de cuisine en acier inoxydable est le plus grand qu’il ait eu à fabriquer. J’ai encore envie d’embrasser ce plan de travail chaque matin. Je n’ai jamais autant cuisiné. Préparer 1.000 litres de sirop en dernière minute pour un festival n’est plus un problème. Et les placards offrent suffisamment de place pour faire des provisions.
Vous avez toujours l’air de gérer. Vous ne prenez jamais congé ?
À la nouvelle année, précisément le jour de l’anniversaire de Guillaume, je me suis complètement effondrée. Je pleurais sans pouvoir m’arrêter. Le stress occasionné par le boulot et les travaux m’avait complètement vidée physiquement et mentalement. Nous étions à Londres et je n’avais même pas le courage de m’habiller. Guillaume m’a forcée à sortir et nous avons passé une belle journée. Je suis une grande anxieuse par nature. Je me tracasse beaucoup. Y compris en voyage. Ensuite, je me sens coupable parce que je ne fais rien et j’ai envie de surcompenser par la suite. Un ami m’a appris à dresser une « to-do list » chaque matin. Biffer les « done » au fur et à mesure m’aide énormément.
Quel est votre « plus grand petit moment de bonheur » ?
Un jour de congé inattendu sans obligation. Avoir le temps de faire des choses normales. Aller au cinéma l’après-midi avec Guillaume et improviser un rendez-vous avec ma famille ou mes amis. Le plus grand bonheur se cache souvent dans les plus petites choses. Je ne veux pas devenir millionnaire, je préfère profiter de la vie. De mon dressing par exemple. J’adore m’asseoir sur mon siège en peluche ou défiler dans la maison avec mes chaussures Miu Miu préférées. J’ai besoin de temps en temps d’un moment façon « Pretty Woman ».
Que pensez-vous du body positivisme et de l’acceptation de soi ?
Je suis tout à fait d’accord avec Rihanna : si vous avez des fesses et des seins, c’est votre corps qui doit décider ce que vous allez porter. Je me sens bien dans ma peau, mais avec mes formes féminines, trouver un vêtement à ma taille n’est pas une mince affaire. C’est assez frustrant. L’autre jour, j’étais à Anvers avec ma mère à la recherche d’une tenue pour le mariage de mon frère. J’avais un gros budget, mais je ne trouvais rien qui m’allait. Je soutiens le shopping local, les indépendants doivent s’entraider autant que possible. Mais j’ai finalement commandé quelque chose en ligne en désespoir de cause.
Vous avez un style coloré et flamboyant. Comment le décririez-vous ?
Quand Dries Van Noten rencontre le burlesque. Sur la scène du bartender, tout tourne autour de l’étiquette et de la présence. Autrefois, je mettais beaucoup de temps et d’énergie à soigner mon apparence. J’étais en quelque sorte ma propre marque. Il m’arrivait de ressembler à un sapin de Noël (rires). Aujourd’hui, ma maison est ma principale carte de visite. Mais je reste une inconditionnelle de la couleur. Je m’attire souvent des commentaires du genre : « Je n’oserais jamais porter ça. » Et pourquoi pas ? On n’ose pas suffisamment se montrer, comme si on vivait dans une boîte. C’est dommage, non ?
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