Teddy Quinlivan devient le premier mannequin transgenre à poser pour Chanel

Publié le 29 août 2019 par Laura Stynen et Malvine Sevrin
Teddy Quinlivan devient le premier mannequin transgenre à poser pour Chanel Edward Berthelot/Getty Images

C'est la première fois de l'histoire qu'un mannequin ouvertement et publiquement transgenre est recruté par la maison de luxe. Et c'est surtout une très belle victoire pour le top américain Teddy Quinlivan.

À première vue, la dernière campagne beauté de Chanel n'a rien d'exceptionnel. Et pourtant. Pour la première fois de son histoire, la griffe de luxe française a recruté un mannequin transgenre afin d'incarner sa nouvelle collection de maquillage. Son nom, c'est Teddy Quinlivan, une Américaine de 25 ans qui a déjà fait ses preuves sur le runway en défilant entre autres pour Chanel, Louis Vuitton, Gucci, Carven ou Chloé. Dans un post émouvant publié sur Instagram, la jeune femme célèbre cette nouvelle étape dans sa carrière, qu'elle qualifie de "triomphe".

 

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Happy ending

"Toute ma vie a été un combat" raconte-t-elle en évoquant l'harcèlement scolaire, les coups et les insultes de son père et l'agression sexuelle dont elle a été victime. Découverte par Nicolas Ghesquière en 2015, le top a rapidement vu sa carrière décoller et a enchaîné les shootings et podiums pour de grandes marques, notamment en défilant à deux reprises pour Chanel. Deux ans plus tard, elle décide de révéler au monde entier qu'elle est transsexuelle. Consciente à l'époque du risque qu'elle prenait de perdre certains contrats, elle pensait ne plus jamais pouvoir défiler pour la maison Chanel. Mais aujourd'hui, l'histoire prouve le contraire et Teddy Quinlivan peut se réjouir d'être non seulement la voix, mais aussi le visage, de la communauté LGBTQ+. "Le monde vous rejettera, crachera sur vous et vous dira que vous ne valez rien. C’est votre travail d’avoir la force de vous lever et de continuer à vous battre, parce que si vous abandonnez, vous ne ferez jamais l'expérience des larmes du triomphe", écrit-elle. Si sa vie n'a pas toujours été un conte de fée, Teddy Quinlivan est la preuve vivante que les mentalités peuvent évoluer et que les happy endings sont possibles.

 

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💄CHANEL BEAUTY💄 -I find I don’t cry anymore when things are sad, but isn’t it interesting when we shed tears in moments of triumph. This was one of those triumphant cry moments for me. My whole life has been a fight. From being bullied at school consistently, kids threatening to kill me and going into graphic detail how they were going to do it, my own father beating me and calling me a fagot, to receiving industry blowback after speaking publicly about being sexually assaulted on the job... This was a victory that made all of that shit worth it. I had walked 2 shows for Chanel while I was living in stealth ( stealth meaning I hadn’t made my trans identity public yet) and when I came out I knew I’d stop working with some brands, I thought I’d never work with the iconic house of Chanel ever again. But here I am in Chanel Beauty Advertising. I am the first openly trans person to work for the house of Chanel, and I am deeply humbled and proud to represent my community. The world will kick you down, spit on you, and tell you you’re worthless. It’s your job to have the strength to stand up and push on, to keep fighting, Because if you give up then you will never experience the tears of triumph. Thank you to everyone who made this dream a reality! @nicolaskantor @shazmakeup @sebastienrichard1 @casadevallbelen

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Rencontre avec Teddy Quinlivan

Theodora « Teddy » Quinlivan traverse les catwalks, sauf là où elle ne se sent pas respectée en tant que personne transgenre. Voir des jobs lui passer sous le nez en raison de son activisme ne l’empêche pas de dormir : « Je préfère être authentique que collectionner les amis. »

Celle qui affiche tant d’assurance aujourd’hui a pourtant rencontré les pires difficultés par le passé. Née biologiquement garçon, elle se confronte dès l’enfance aux normes de genre. Elle entame sa transition à l’âge de 17 ans et sa carrière de mannequin décolle alors qu’elle est en pleines montagnes russes hormonales et émotionnelles. Puis Nicolas Ghesquière, directeur artistique de Louis Vuitton, la découvre en 2015. « Personne ne savait que j’étais trans, je menais une vie secrète. »

Pourquoi avoir décidé de partager votre histoire au bout de deux ans dans l’industrie de la mode ?

Parce que j’avais joué le jeu assez longtemps. Et parce que je ne pouvais plus me taire, à l’heure où un président (aux États-Unis, NDLR)allait s’atteler à détricoter un par un les droits de la communauté LGBTQ. J’ai senti que c’était le moment ou jamais de démontrer que les transgenres font partie de la société. Nous ne sommes pas des erreurs de la nature.

Quel rôle la mode a-t-elle joué dans votre jeunesse ?

Aussi loin que je m’en souvienne, la mode a toujours fait partie intégrante de mon identité, parce que je voyais un lien entre les vêtements et l’expression du genre. Être un petit garçon ne m’empêchait pas de vouloir mettre des robes, mais je ne pouvais pas aller me balader sans qu’on me lance un truc à la tête. Le jour où ma mère m’a demandé ce qui se passait, j’ai simplement répondu que j’étais une fille. J’ai alors pris conscience du poids qu’avait la mode sur la façon dont la société perçoit l’individu.

Vous est-il arrivé de douter ?

Non, jamais. J’ai toujours su que j’étais une femme. Mais à force d’entendre mon entourage me répéter que j’étais un mec, j’ai grandi avec un sentiment de culpabilité. Pas en raison de ma véritable identité, mais parce que je me suis efforcée d’être la personne que les autres voulaient que je sois. Sans y parvenir, même en faisant de mon mieux.

Depuis votre coming out, vous affichez des opinions tranchées et vous n’éludez aucun débat. L’industrie de la mode est-elle prête à aborder le sujet ?

L’activisme politique ne requiert pas de cadre esthétique spécifique. Nous devons utiliser tous les catalyseurs possibles pour alimenter le débat. Et les industries créatives en font partie, qu’il s’agisse de genre, de sexualité, de guerre ou de violence. Elles sont un tremplin pour raconter notre histoire et comprendre celle des autres. Pas besoin d’avoir fait la guerre pour avoir une idée de la vie d’un soldat, il suffit de regarder un film. L’art est un miroir de la société. Peu importe d’où vient le message tant qu’il passe.

Un tel activisme peut desservir votre carrière, mais ça n'a pas l’air de vous empêcher de dormir.

En effet. Je me fiche pas mal de perdre des clients. Pas question de m’autocensurer pour un défilé de plus. Pour être honnête, ça fait longtemps que j’ai coupé le cordon. J’ai été l’ambassadrice d’un parfum (Mutiny de Maison Margiela) et l’égérie d’une campagne de Louis Vuitton, j’ai participé à tous les défilés possibles et imaginables, une dizaine de fois. J’aime avoir une personnalité forte. Aujourd’hui, je n’ai plus l’impression de devoir mettre ma voix sourdine.

Les marques de haute couture semblent plus lentes à accepter le changement. Comment l’expliquez-vous ?

De nombreuses marques de haute couture ne veulent pas qu’on exprime une opinion arrêtée, car les riches sont généralement ultraconservateurs. La clientèle du luxe vient d’endroits comme Dubaï, où les gens comme moi sont soit assassinés, soit illégaux. La haute couture vise une part infime de la population qui a énormément d’argent à claquer. Et tout ce petit monde ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Je refuse de me sentir limitée par ça.

Professionnellement, quel objectif visez-vous encore ?

J’aimerais me concentrer sur des marques auxquelles je me sens liée, pour des campagnes dont je cautionne le message et la méthode de travail. Comme cette campagne Esprit, totalement à l’opposé de la haute couture, mais très gratifiante. On touche un autre public. Beaucoup de marques se moquent pas mal des droits de la communauté LGBTQ mais se servent d’un mannequin transgenre pour pouvoir clamer qu’elles sont inclusives. Je ne veux pas jouer à ce jeu-là. Je refuse qu’on m’utilise pour le symbole que je représente. En fin de compte, il me reste ce que beaucoup de gens ont perdu : l’intégrité.

En tant que modèle, vous apparaissez très sûre de vous. Luttez-vous encore contre certains démons ?

Oui, en amour, ça reste compliqué. J’ai connu des hommes qui m’ont quittée dès qu’ils ont su que j’étais trans malgré les sentiments qu’ils ressentaient pour moi. En matière de sexualité, le transgenre est victime de la même stigmatisation que la personne atteinte du VIH. Tu es canon et tu as du succès, mais, désolé, je ne peux pas. Même avec un préservatif. Ça se passe de la même façon avec les transgenres. Même avec le plus beau des vagins qu’est le mien. J’ai énormément lutté pour être la personne que je suis aujourd’hui, mais tout ça ne signifie rien dans ces moments-là. Si j’écris mes mémoires un jour, vous lirez : « Voici la réalité d’une personne différente. » Il y aura toujours des gens qui estiment que les personnes différentes sont indignes d’être aimées. Quand on se montre ignoble avec moi, je file aux toilettes pour pleurer et puis ça passe. Mais si on me rejette à cause de la personne que je suis, les choses se compliquent. Je ne peux rien changer au fait de n’exercer aucun contrôle sur ma vie sentimentale, de n’avoir personne pour me serrer dans ses bras la nuit et me réveiller à ses côtés. Ça me brise le cœur.

De quelle idée fausse les transgenres souffrent-ils le plus ?

Nous sommes considérés comme des personnes différentes qui ne méritent pas de bénéficier des mêmes droits. En plus de déshumaniser notre communauté, cette image nous met en danger. On tue des trans juste parce qu’ils existent. Dans de nombreux endroits, les transgenres ne jouissent pas des mêmes droits et de la même protection que les autres. Je veux pouvoir entrer dans l’armée si j’en ai envie, aller aux toilettes sans stresser, avoir droit à une assistance médicale. C’est une question de survie, tout simplement. Je ne réclame aucun privilège, je veux juste être traitée comme un être humain. 

Texte: Laura Stynen

Traduction: Virginie Dupont

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