Sororité, combats et coups d’éclat. Notre journaliste, Juliette Debruxelles revient sur le destin de femmes qui ont changé la face du monde… Qui est Veruschka ?

Vera Gottliebe Anna von Lehndorff. Un nom qui claque comme le son des balles qui bercent son enfance.

Née en 1939, alors que la Seconde Guerre mondiale commence à tonner, elle est frappée des malheurs de l’époque. Son père, le comte Heinrich von Lehndorff-Steinort, résistant allemand au régime nazi, est condamné à mort et pendu après avoir participé à un attentat pour tenter d’assassiner Hitler en juillet 44 (la fameuse et courageuse opération Walkyrie). Pour sa mère, direction les camps de concentration. Pour Vera – 5 ans – et ses trois sœurs, c’est l’orphelinat sous un nom d’emprunt. Elle y apprendra à rester en vie jusqu’au retour de détention de sa maman. Elle grandit, fréquente une dizaine d’établissements scolaires à Hambourg (disons que c’est pas son truc), puis étudie l’art à Florence. Elle y devient mannequin grâce à une rencontre décisive avec le photographe Ugo Mulas. Un saut à New York, en 1961, sur les conseils d’Eileen Ford (oui, comme l’agence). Là, rien ne décolle. Trop grande (le mètre 80 n’est pas encore de rigueur et elle culmine à 1 m 85 pour une pointure 46). Elle revient en Europe et crée le personnage qui lui apportera la gloire. Désormais, on l’appelle Veruschka. « Je me suis vêtue de noir et je suis allée voir tous les plus grands photographes, comme Irving Penn, et je leur ai dit : “ Je suis Veruschka, qui vient de la frontière entre la Russie, l’Allemagne et la Pologne, et j’aimerais voir ce que vous pourriez faire de mon visage.” » Elle collectionne alors les covers et sa cote est évaluée à 10.000 dollars par jour de shooting. Un score.

Veruschka

Veruschka – Vogue 1965 – Photo de Horst P. Horst/Conde Nast via Getty Images

Son nom, sa ligne, son visage boudeur, sa blondeur, sa moue, son regard à la fois las et hautain marquent une époque. Cette fille est le feu et la glace. Une référence absolue qui éclaire tout sur son passage et éteint la concurrence.

Parmi ses faits de gloire qui excitent – à raison – les pointus, une apparition dans le mythique «Blow up» d’Antonioni, en 1967. Dans une scène d’anthologie, elle pose, animale, fiévreuse, face à David Hemmings. Elle finit au sol, s’étire tandis qu’il la mitraille de son appareil photo. L’affiche tirée de cette scène était un temps une signature, un gage de qualité punaisé aux murs des vidéothèques. Elle dira : «Jouer la comédie me plairait, je ne m’exprime pas suffisamment avec la photographie, l’image est figée et fixée dans le temps, je voudrais vivre et bouger devant l’objectif.»

Diana Vreeland (chef de file du Harper’s Bazaar puis rédac chef du « Vogue US » de 1963 à 1971) l’adore. Elle pose nue couverte de peinture, de pampilles, de plumes d’autruche, momifiée et auréolée de fourrure, pharaonique ou couverte d’or façon déesse égyptienne, royale en saharienne Yves Saint Laurent (qui deviendra totalement culte à la suite de cette photo). Le photographe Franco Rubartelli (son amoureux pendant un temps) la mythifie tandis que Peter Beard (artiste, documentariste, pote de Warhol) la fait chasseuse et féline dans des clichés en pleine savane (qui seraient sans doute aujourd’hui controversés). Richard Avedon la fait sauter, onduler, courir, se cabrer et se cambrer. Il tord dans des poses insensées celle qu’il considère comme la plus belle femme du monde.

Veruschka

Verushcka – Vogue 1968 – Photo de Franco Rubartelli/Condé Nast via Getty Images

Dali l’initie au body painting et le corps de Veruschka se fait support de toutes les fantaisies. Elle devient, sans réellement le savoir, l’icône et référence de la discipline.

En 1975, elle plonge dans une profonde dépression. Un choc post-traumatique à retardement, lié aux horreurs de son enfance. Elle s’engueule avec Grace Mirabella, alors nouvelle rédactrice en chef de « Vogue » ayant succédé à Diana Vreeland (et qui sera ensuite remplacée par Anna Wintour), qui veut moins de spectaculaire et plus de modernité, d’embourgeoisement. Elle refuse de se voir en tailleur de Madame. Veruschka n’est pas décidée à descendre de son statut pour fouler du bout du pied la réalité.

Elle se tire, plonge dans le Tribeca des années 80 – New York était encore le poumon de l’art. La peinture corporelle lui reste collée à la peau. Elle se transforme en homme, en lévrier afghan, en créature ou statue bouffée par la végétation. « J’ai toujours été plusieurs sortes de femmes. J’ai copié Ursula Andress, Greta Garbo, Bardot… puis ça m’a lassée et je me suis peinte en animal. »

On la retrouvait l’an dernier, chez Acne Studios, direction la Collection Croisière pour une rapide apparition. À 78 ans, elle mettait alors tout le monde au garde-à-vous. Veruschka n’est pas complètement comme nous.

Veruschka

Veruschka – 2017 – Acne Studios Collection Croisière

À voir:

« Blow Up » de Michelangelo Antonioni (1966), le premier film dans lequel elle apparaît.

« Casino royale » de Martin Campbell (2006), le dernier film dans lequel elle se fait remarquer.

« Walkyrie » de Bryan Singer (2008), pour comprendre l’héroïsme de son père aux côtés de Clauss Von Stauffenberg (Tom Cruise).

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