Ateliers Zaventem pourrait être un site de coworking, c’est une ruche créative où une trentaine d’artisans de talent manient l’art et la matière avec brio. « Bienheureux les fêlés, car ils laissent passer la lumière » pourrait être le credo de ce foyer avant-gardiste imaginé par Lionel Jadot.
Ce jeudi-là, on est les invités privilégiés d’une clique fabuleusement timbrée. En chef de tribu, Lionel Jadot est sans doute le plus fou de la bande. C’est coincé dans un embouteillage qu’il découvre en cherchant un itinéraire bis cette ancienne papeterie désaffectée de 6.000 m2. L’endroit rêvé pour créer son hub d’artisans dont il a toujours rêvé. La remise en état de ce lieu fabuleux et la sélection d’une trentaine de créatifs triés sur le volet plus tard, Ateliers Zaventem voit le jour.
Avec son Grand Hall qui accueille des showcases, ses salons lookés, sa terrasse au soleil, et bientôt son restaurant labo, Ateliers Zaventem de Lionel Jadot est l’un des plus cool lieux de rendez-vous créatifs et artistiques en Belgique. Un site hors norme où la crème de la crème du savoir-faire tous azimuts se retrouve pour imaginer les pièces de design les plus dingues du moment. On aurait bien voulu tous vous les présenter... Mais un numéro spécial ne suffirait pas. On en a donc choisi cinq.
Maison Armand Jonckers
Dans l’atelier Maison Armand Jonckers s’accumulent dans un ordre méthodique des milliers d’objets n’ayant aucun rapport entre eux. Une boule de bowling, une tête de licorne, un violon, des déchets industriels... C’est presque trop fou pour être vrai et pourtant, c’est ici que père, fils et fille travaillent chaque jour à la main la résine et le métal (entre autres).
« C’est unique comme endroit, comme les œuvres de papa », expliquent Alexandra et Grégoire Jonckers. « On a décidé de reprendre l’atelier à trois. Un coup de folie, car quand on se lance dans une affaire comme celle-ci, on est certain de rien. C’est quand on voit la réaction des gens face aux pièces qu’on se rend compte que ce qu’on fait n’est pas commun. » Leur dernière réalisation : une table basse dont le plateau en résine bicolore est explosé. « Pas pratique pour poser son verre mais on s’en fout ! Ici, on a laissé parler notre folie. On veut aller vers quelque chose de moins fini, de plus brut. Il y a toujours eu un esprit un peu rebelle dans le travail de papa. On veut le réveiller. »
C’est certain, il y a ici de la folie mais aussi et surtout beaucoup de travail et une certaine maniaquerie. Quand on leur demande si leurs clients sont aussi fous qu’eux, ils répondent : « On en a. Comme ce client qui aimait une de nos tables mais qui hésitait pour la couleur. On lui a proposé de venir voir une table qui était en finition mais dont le plateau était retourné. Il s’est mis à quatre pattes et sans l’avoir vue finie, il l’a achetée. » On parle d’une pièce à 45.000 euros. Leurs créations parlent donc aux amoureux de design, de Londres à Dubaï. Il faut plus de deux mois pour réaliser une seule pièce. Tout est fait ici et à la main, sans dessins. La publicité ? Pas besoin. La Maison est connue par les professionnels, les plus grands architectes d’intérieur comme les galeries d’art. Du bouche-à-oreille d’avertis on vous dit.
Ateliers Charles Schambourg
Musicien, puis plagiste au Brésil et enfin banquier d’affaires à Paris puis à Londres... Nicolas Berryer est aujourd’hui à la tête d’un atelier de toile de cuir unique au monde.
« En 2003, j’ai quitté mon job chez Lehman Brothers. La pression était délirante, les sales coups quotidiens, les horaires insoutenables. Pire que “Dallas” ! Je suis donc revenu en Belgique divorcé et à la limite du burn-out. » C’est à ce moment-là qu’il rencontre Betty Le Hodey à un dîner. « Une petite vieille toute racrapotée. Je pensais que son cerveau était dans le même état que son apparence, sauf que j’ai rencontré ce soir-là la femme la plus brillante de ma vie. » C’est elle qui lui parle de l’histoire de Charles Schambourg: un vieux monsieur qui venait de mourir et qui était spécialisé dans le tissage de cuir. Les exilés cambodgiens qui bossaient pour lui n’avaient donc plus de boulot et sa veuve était criblée de dettes... « Il faut que tu sauves ce bateau ! », lui dit Betty. « Je venais de loin. J’avais envie de tout sauf de me remettre dans des emmerdes, mais l’histoire était belle», nous dit Nicolas Berryer. Charles Schambourg, homme de 86 ans en fauteuil roulant, avait inventé une manière unique au monde de travailler le cuir. Jusqu’à sa mort, il vivait reclus dans son atelier de peur qu’on le copie. « Cette histoire était trop folle pour passer à côté ! Je ne connaissais rien du design, de l’artisanat, du textile et encore moins du tissage, mais il fallait que je fasse quelque chose. J’ai d’abord injecté de l’argent pour remettre le bateau à flot. Après trois mois, il n’y avait déjà plus rien ! Avant, j’étais gavé comme une oie pour faire le pingouin à Londres. Là, je me retrouvais à reprendre une entreprise qui était un gouffre financier. » Grâce à son bagage de business-man, il redéfinit alors tous les process et atteint le top du top en matière de produit, mais aussi de fichier clients.
« Si tu fais de l’artisanat en Belgique, il faut offrir l’excellence ! », scande-t-il. Résultat : ses échantillons sont des œuvres d’art prisées par les plus grands architectes d’intérieur au monde. Entre le revêtement des sièges Rolls-Rolls, les sols des plus fastueux yachts et les collab’ avec de grands designers belges et étrangers, ses clients sont riches, mais aussi et surtout extrêmement exigeants... Sa recette pour (sur)vivre ? Un savoir-faire unique, un service sur mesure hyper professionnel, une recherche et une remise en question permanentes. Son secret ? Être à la pointe et respecter les délais. "Les gens déboursent des fortunes pour nos produits. Il faut donc être à la hauteur."
"J’ai développé tout un réseau dans le monde de la mode et du design à grands coups de bagout. C’est en appelant 100 fois par jour son assistante que Rémi Tessier (reconnu internationalement pour le design de grands voiliers de luxe) est devenu un client, puis un copain. On n’a pas de site internet. Tout se passe sur rendez-vous. Après, je sais que ce n’est pas avec cette affaire que je vais faire fortune. Au départ, je voulais la relancer puis la confier aux mains de quelqu’un d’autre. Sauf que quand on met le pied dans ce genre de délire, on ne peut plus abandonner. Après avoir travaillé dans le bullshit pendant des années, je suis maintenant dans le vrai. Je ne dors pas, je suis accro à l’acuponcture, j’ai des emmerdes tout le temps, mais c’est passionnant. La vie d’artisan quoi ! »
Aurélie Lanoiselée
Aurélie Lanoiselée se sert de la broderie pour raconter des histoires grinçantes, percutantes, chargées de sens. Interprète textile, elle crée des robes haute couture, des bijoux œuvres d’art, mais aussi des pièces uniques sans aucune utilité, si ce n’est celle de transmettre un message. Son univers est poétique, sensible, mélancolique, troublant.
« Le textile est le premier rempart entre la peau et le monde extérieur. Il raconte des choses qu’on a par- fois oubliées. Une broche en diamant, par exemple, se portait sur la poitrine pour que le mal, quand il nous approche, se regarde dedans et se trouve tellement laid qu’il se sauve avant de gagner notre cœur. » Avant d’investir les Ateliers Zaventem, Aurélie a travaillé pendant 12 ans pour la haute couture comme créatrice d’art textile après des études à l’École Duperré, à Paris. Son talent étant de trouver de nouvelles techniques avec comme support la dentelle. D’abord chez Carven, puis chez Givenchy et Christian Lacroix. « Aujourd’hui, la couture me manque et en même temps ne me manque pas du tout. Les rythmes effrénés, c’est compliqué quand on est maman. »
Ici, elle s’amuse à imaginer des broderies uniques pour tous les projets qu’on lui propose. Petits ou grands. « Du coup, des synergies se créent entre tous les artisans. Des collaborations naissent entre le céramiste, le pro des métaux et moi. Cet atelier, c’est un incubateur à alchimies. Une maison du bonheur pleine de gens gentils et créatifs », conclut-elle.
Ben Storms
La star ici, c’est lui. Un designer anversois connu et reconnu, notamment pour ses tables basses en marbre brut posé sur un coussin de métal soufflé avec de l’air compressé.
«Au début, les gens me disaient que j’étais fou! Que jamais je ne trouverais des amateurs assez dingues pour acheter ce genre de pièce. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de chance car je fais ce qui me passionne tout en gagnant ma vie. Même si ce n’est pas toujours facile, les pièces que je fais marchent et se vendent.» Deux grandes galeries le suivent depuis le début et ont contribué à sa notoriété: L’Éclaireur à Paris et la Carpenters Workshop Gallery à Londres. Du coup, les architectes d’intérieur n’ont d’yeux que pour lui ainsi que les grandes marques pour lesquelles ils travaillent. « C’est un tout petit milieu », nous dit-il. Récemment, c’est Delvaux qui a voulu s’associer à la nouvelle coqueluche du design belge. « Ils voulaient une pièce unique pour leur boutique à Knokke. Ils m’ont donné carte blanche. Une pièce prend environ un an de réflexion et de travail, mais pour Delvaux, j’ai développé une nouvelle technique en six mois.»
Ben Storms a été inspiré par les volets des anciens secrétaires.Résultat? Un présentoir en marbre qui ondule, aussi souple que de la tôle. «J’ai découpé le marbre en petites lamelles de 1 cm de large sur 1 mm de profondeur, le tout collé sur une plaque en aluminium, puis sur du textile. » Après Delvaux, c’est Dior qui se paye son talent pour créer une pièce unique à l’occasion des 15 ans du parfum J’adore. « Ces marques de luxe m’offrent une belle visibilité mais me permettent aussi et surtout de pousser mes recherches encore plus loin. » Revers de la médaille : ses pièces sont devenues impayables. Comptez 25.000 euros environ pour les plus petites d’entre elles. « J’ai rejoint Ateliers Zaventem parce que je suis tombé amoureux du lieu. C’est tellement inspirant comme endroit que j’ai voulu faire partie de l’aventure. Je partage maintenant mon temps entre Bruxelles et Anvers. »
Pascale Risbourg
« Le brin de folie, c’est le moteur. Quand on démarre l’artisanat, on met les contraintes de côté. On se laisse porter par son imagination. Pour réussir, il faut se dépasser. » Penchée sur son chevalet, Pascale Risbourg nous parle tout en dessinant à la main les motifs de son nouveau papier peint.
Des œuvres d’art à répétition qui font tout sauf tapisserie. Quand Pascale Risbourg a présenté pour la première fois son papier peint inspiré de la toile de Jouy twistée avec des scènes érotiques, la créatrice est devenue la muse des décorateurs du Tout-Paris. Après avoir tapissé les murs du Ace Hotel à New York, elle a voulu pousser le projet encore plus loin en y intégrant la technologie. Grâce à une application spécialement conçue, ses papiers peints et sa collection d’assiettes aux motifs suggestifs s’animent... Des motifs coquins 2.0 qui font le buzz, notamment lors de la dernière Collectible Art Fair à Bruxelles.
Pour découvrir les préliminaires de cette partie de jambes en l’air (élégamment suggérée, jamais vulgaire), il suffit de pointer son smartphone devant le motif et hop... « Quand on a ce genre de papier peint dans ses toilettes, on ne voit plus ses invités de la soirée (rires) ! Ce qui m’amuse, c’est proposer des choses qu’on ne voit nulle part ailleurs. Confronter des motifs inspirés du XVIIIe siècle avec la technologie d’aujourd’hui. » Un travail aussi poétique que décalé avec plusieurs degrés de lecture. «Après, tout est possible! On peut même imaginer ce motif sur un service de table ou des tentures qui en quelques clics prendraient vie... »