Le documentaire « Sans frapper » retrace le viol d’Ada par un homme qu’elle connaissait et ses répercussions sur toute une vie. Un film fort et nécessaire.
Ça commence par un regard caméra qui ne parle pas, mais en dit long. « J’avais 18 ans et la personne dont je me sentais la plus proche, c’était Mathilde », commence à raconter la femme sur laquelle est braquée la caméra. À l’époque, Ada et Mathilde habitent ensemble dans le même appartement. Elles font la fête, vivent leurs premières grandes expériences, tombent amoureuses. Puis un jour, Mathilde part étudier à l’étranger, mais Julien, son petit ami, reste dans les parages. Il invite alors Ada à diner. Il la met mal à l’aise, mais elle ne se méfie pas et accepte — pour lui faire plaisir. Ce soir-là et deux autres fois, Julien la violera.
L’histoire d’Ada passe d’une bouche à l’autre. D’abord racontée par une femme, dans la trentaine et robe à fleur. Puis par cette jeune fille aux lèvres pleines et au pull rouge. Ensuite par cette autre, assise à la table de sa cuisine. Pour son film « Sans frapper », la réalisatrice Alexe Poukine a fait réciter le témoignage d’Ada à différentes femmes et hommes. Pas des comédiens : le texte sonnait « faux » chez ceux qui n’ont pas connu l’incompréhensible douleur du viol. Non, elle a fait appel à de vraies victimes. Et au fil des enregistrements, a glané au passage leurs impressions et leur propre récit.
« La première fois que j’ai lu le texte, j’ai ressenti comme une irritation. Je me suis dit ‘C’est quoi cette histoire ?’ », avoue l’une d’entre elles. Car « Sans frapper » pose en filigrane une question importante sur le viol : « qu’est-ce qu’une bonne victime » ? Pourquoi Ada ne s’est-elle pas enfuie et pourquoi est-elle revenue chez son bourreau ? Est-elle coupable de sa propre agression ? « J’ai voulu que les spectateurs se mettent à la place d’Ada, dans une méritocratie où on croit qu’on n’a que ce qu’on mérite », explique à ce propos la réalisatrice, installée à Bruxelles. « Je voulais surtout qu’au fur et à mesure de l'histoire, on dépasse les clichés du viol pour réaliser ce qui est arrivé à Ada ».
Tous les garçons et les filles
La honte face au jugement des autres, mais aussi le profil stéréotypé du violeur y sont remis en question. Car dans 80% des cas d’agressions sexuelles, l’auteur n’est pas un inconnu, affirme Pascal Lapeyre, psychologue au Centre de Prise en Charge des Violences Sexuelles bruxellois. Il est dans l’entourage direct de la victime. « On se dit que ça peut être notre père, notre ami, notre frère, et que c’est un problème d’éducation. L’éducation sexuelle des garçons est totalement déplorable : ils n’ont pour seule référence que le porno, il n’y a pas de mots autour de la sexualité et en même temps, ils subissent des injonctions à une masculinité violente… C’est la guerre, quoi ! », déplore Alexe Poukine.
Elle poursuit, sur les femmes cette fois : « De l’autre côté, on élève les filles à être polies, à ne pas faire part de leur désir. Le ‘non' des filles ne compte plus, parce qu’elles disent tout le temps ‘non'. Il faut qu’on éduque les filles à prendre en charge leur désir, à dire aussi vraiment ‘oui'» quand elles le veulent, pour ne pas que quand elles disent ‘non', on pense qu’elles sont juste timides. Il faut également les élever à être moins polies, quand on entend que la plupart disent qu’elles avaient vu le viol venir, mais qu’elles ne se sont pas toujours enfuies tout de suite pour ne pas faire de vagues ».
Si tant reste à faire pour permettre aux uns et aux autres une sexualité libérée et épanouissante, sans plus jamais que le viol n’y soit rattachée, comme un corollaire inévitable, « Sans frapper » fait partie de cette myriade d’initiatives qui font avancer les mentalités. Ce film-documentaire à la frontière entre réalité et fiction est un outil de compréhension pour les victimes, mais surtout de sensibilisation pour toute la société : il n’y a pas de « bonne victime », parce qu’il n’existe pas de « bon viol ».
Infos pratiques : « Sans frapper » d’Alexe Poukine est actuellement projeté à Flagey.
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