Le créateur prolixe aux deux maisons parmi les plus en vue ces dernières années – VETEMENTS et Balenciaga – quitte le collectif subversif pour se concentrer sur sa deuxième mission.
On dit qu’il faut 10 ans à une marque pour s’installer et devenir vraiment rentable. Si VETEMENTS a été fondée en 2009 dans un appartement parisien par un collectifs de rebelles de la mode qui travaillaient pour la plupart dans d’autres maisons au début, c’est en 4 années seulement que le miracle a eu lieu, sous l’égide du visionnaire Demna Gvasalia.
Elu « personnalité de l'année » par le surpuissant média Business of Fashion en 2016, année où il a été nommé directeur artistique de Balenciaga, ce Géorgien de 38 ans, élevé en Allemagne et diplômé de l'Académie d'Anvers en 2006, a démarré chez Louis Vuitton et chez Martin Margiela. Marqué par l'héritage du Belge le plus énigmatique du monde de la mode et de l'art en général, Demna Gvasalia a stratégiquement cultivé son concept de "rendre la mode à la rue", ambitionnant de ramener le vêtement à ce qu’il est – alors-même que la folie qui a été générée autour de la marque a vite dépassé le cadre du rationnel revendiqué au départ.
Les shows sont à la fois spectaculaires et terriblement normcore : un espace industriel sous le périph, un McDo, les puces de Saint Ouen. C’est toute l’essence de VETEMENTS : questionner, secouer, être désiré, rentabiliser.
Demna affûte son regard sur le monde avec la douceur de ceux qui en ont vues d’autres. Après la guerre et face à la bataille de la notoriété, il aspirait depuis longtemps consacrer plus de temps à sa vie privée, et s’était déjà mis au vert à Zurich depuis quelques saisons : « j’ai besoin de voyager, de me nourrir, d'aller à la salle de sport, d'avoir du temps pour ma vie de couple ». VETEMENTS, puis Balenciaga, l’avaient beaucoup exposé. Pour autant, le créateur a fait de son collectif son moyen d'expression, sa catharsis.
Dans un communiqué adressé à WWD, Demna Gvasalia explique avoir accompli la première partie de son œuvre de remise en question de ce qu’était devenu l’industrie de la mode, trop consensuelle à son goût : « J'ai débuté VETEMENTS parce que la mode m'ennuyait. Contre toute attente, la mode a changé une fois pour toutes depuis l’apparition de VETEMENTS et cela a ouvert les portes à beaucoup d’autres. J'ai donc le sentiment d'avoir accompli ma mission d'innovateur en termes conceptuel et de design auprès de cette marque exceptionnelle, tandis que VETEMENTS a mûri en devenant une entreprise capable de transformer son héritage créatif en un nouveau chapitre. »
Selon Guram Gvasalia, frère de Demna et responsable business de la marque, « VETEMENTS a toujours été un collectif d'esprits créatifs. Nous continuerons à repousser les limites encore plus loin, en respectant les codes et les valeurs authentiques de la marque, et continuerons à soutenir une créativité honnête et un talent authentique ». Demna a quitté VETEMENTS, mais la marque perdure, même si la forte patte du créateur s’exprimera désormais uniquement chez Balenciaga.
L’anticonformisme devenu à la mode
Le parcours de ce directeur artistique ultra médiatisé mais resté intègre dans sa vision, passé du statut d'apatride à celui de superstar de la mode, est exemplaire pour toute une génération de gamins déplacés par les conflits partout dans le monde. Dans chacune de ses collection, la brutalité de ses émotions accumulées, résonne comme une cicatrisation artistique. Hommages à ses racines, aux motifs des robes de sa grand-mère, symbolisation aussi de la violence faite aux homosexuels, Demna Gvasalia a acquis assez de sérénité pour oser se raconter, scène après scène, et accoucher du succès inattendu et controversé le plus envié de la décennie.
Une nouvelle sérénité
L’année dernière, Demna Gvasalia nous confiait : « Je fais beaucoup de méditation, au moins deux fois par jour. C'est une nouvelle habitude, qui me permet de comprendre qu'on peut être créatif et heureux à la fois, sans filtres. »
Sans Demna, VETEMENTS poursuivra ses explorations avec « de nouveaux projets et des collaborations inattendues ».
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