On a posé trois questions à la directrice de Voix de Femmes, le seul festival multidisciplinaire entièrement dédié à la création féminine en Belgique.

En 2017, dans les 20 expositions les plus courues au monde, seule une était portée par une femme — la Japonaise Yayoi Kusama. Le dernier classement ArtReview’s des 100 créateurs les plus influents de l’art contemporain ne comptait quant à lui que 40% d’artistes féminines. Dans les galeries européennes et nord-américaines, elles représentent seulement 13,7% des exposées. Des chiffres comme ceux-ci, le monde l’art en est rempli : les femmes qui créent sont largement sous-représentées et déconsidérées à tous les niveaux, et ce depuis toujours.

Au festival Voix de Femmes en revanche, il n’y a pas un homme aux murs, dans les conférences ou qui anime les ateliers. Cette biennale transdisciplinaire est toute entière consacrée aux femmes et à leurs moyens de création les plus divers. Du 10 au 26 octobre, c’est donc à Liège qu’il faudra se rendre pour découvrir la profondeur symbolique des tatouages inuits, la vie musicale alternative des femmes, ou encore pour tricoter militant. À l’occasion de cette édition intitulée « Dé/ranger », nous avons rencontré la co-directrice du festival, Flo Vandenberghe, pour trois questions sur l’art, les femmes et le féminisme.

voix de femmes

Flo Vandenberghe est la co-directrice du Festival Voix de Femmes. Depuis cette photo, elle a coupé ses cheveux et arbore une autre couleur, mais toujours le même engagement.

Un festival qui ne programme que des femmes, à quoi ça sert ?
D’abord, à témoigner de la diversité et de la qualité de leur travail : pour prouver qu’elles sont là, partout, et de plein de manières différentes. Que peu importe sa sensibilité artistique ou ses centres d’intérêt, il existe des projets de qualité menés par des artistes femmes qui y répondent. Ensuite à les soutenir concrètement : les artistes ont besoin de visibilité pour être programmés et de voir leur travail reconnu et rémunéré correctement pour vivre. Les femmes et les personnes issues de groupes dits « minoritaires » sont moins bien accompagnées, visibles et entendues que les autres : c’est important de les soutenir de manière délibérée. Et enfin, pour que les plus jeunes puissent avoir des modèles différents, puissants, et se sentir plus légitimes, à l’avenir, de développer une pratique artistique et/ou de s’exprimer de la manière qui leur convient ! Et puis pour conquérir le monde, évidemment — mais ça, c’est un secret.

Quel sont les obstacles principaux quand on s’engage en faveur des femmes artistes ?
C’est la même chose que pour tout ce qui touche à l’égalité femmes/hommes en général, en fait. On se heurte à des représentations assez réductrices : ça porte sur qui elles sont ou devraient être, ce qu’elles sont censées faire et comment, les sujets qu’elles abordent et avec quels budgets. Finalement on encourage toujours le même type de pratiques et de personnalités (qui ont leur place évidemment), mais pendant ce temps on passe aussi à côté de plein de propositions tout aussi intéressantes, fortes, réjouissantes… Concrètement, comme dans l’ensemble des programmations culturelles, on trouve en général entre 10 et 30% de femmes artistes. Ça veut dire qu’on doit se donner plus de mal pour les voir jouer ou les exposer, par exemple. Surtout si elles aiment traverser “en dehors des clous ». Et il y a toujours l’idée farfelue que si on programme des artistes femmes, les hommes ne sont pas les bienvenus dans le public — alors qu’on n’a encore jamais mangé personne, aux dernières nouvelles.

Quelle est votre plus grande fierté, depuis que vous êtes à la tête de ce festival ?
La cohérence de plus en plus grande entre ce qu’on fait et comment on le fait : en équipe, avec les partenaires et les artistes… On a des échanges super riches, respectueux et souvent franchement drôles. Du coup plus on avance, plus on se sent bien entourées, plus on se dit qu’on fait un boulot qui a du sens, plus on a envie de monter des projets.

voix de femmes

Après sa résidence artistique soutenue par Voix de Femmes, Cécile Barraud de Lagerie exposera un projet qui mêle couleurs, textiles et voyage au festival.

Voix de Femmes, c’est donc, en plus d’un festival des arts, un lieu d’échange, de réflexions et d’expérimentations, y compris pour celles et ceux qui pensent ne rien connaitre à la culture qui s’expose. Parce que celle-ci se vit, surtout, à travers des conférences et ateliers, ou encore au cours d’une longue résidence soutenue par l’association — cette année, avec Line Guellati. Une programmation ultra-riche et diverse, dont voici nos d’immanquables :

  • Du 10 au 26 octobre : L’exposition « L’eau du ciel », de la designeuse textile Cécile Barraud de Lagerie. Résidente l’année dernière, elle a traversé l’océan Atlantique à bord d’un cargo porte-conteneurs qui reliait Anvers à Miami. Le résultat est une série de paysages abstraits, fruit de ses recherches graphiques.
  • Le 13 octobre : L’atelier sérigraphie et affiches féministes, par le collectif français La Rage. Des couleurs, des messages et de l’engagement pour un workshop chargé de retapisser la ville de mots qui comptent. Accessible aux adolescentes et aux adultes, sans prérequis nécessaires.
  • Le 16 octobre : La rencontre avec Laura Nsafou, l’autrice engagée du super-succès « Comme un million de papillons noirs », un livre jeunesse qui raconte une petite fille aux cheveux crépus.
  • Le 22 octobre : Le concert de Nadah El Shazly, compositrice de musique électronique égyptienne, qui a d’abord hanté la scène underground égyptienne avec des reprises punk des Misfits. Un mélange inattendu entre textes en arabe, jazz, noise, hip-hop et electro expérimentale.

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