Octobre 2018, le vice-Premier ministre Alexander De Croo publie « Le siècle de la femme », une tribune pour l’égalité entre les sexes. Mais au sein d’un gouvernement peu féministe, ce livre crée la surprise. Coup de communication, récupération ou intime conviction ? On l'a rencontré pour connaître ses intentions, mais surtout, ses actions.
Pourquoi ce livre ?
Je suis convaincu qu’aujourd’hui, nous n’utilisons pas tout le potentiel que nous avons dans la société. Et c’est en grande partie parce que nous n’utilisons pas celui des femmes. Pour l’instant, en Belgique, nous nous contentons d’avoir les femmes au foyer les mieux éduquées du monde. Mais pourquoi investir autant dans l’éducation si en sortant des études, les femmes – qui réussissent mieux que les hommes – se retrouvent bloquées ? C’est ça ma frustration. J’ai donc décidé d’écrire ce livre pour expliquer les choses différemment, car, jusqu’à présent, le féminisme était vu comme étant une affaire de femmes. Or, pour changer les choses et l’avenir des femmes, il faut que les hommes les accompagnent et les soutiennent activement. Et ce n’est pas parce que les femmes font un pas en avant que les hommes vont faire un pas en arrière. Un meilleur équilibre est bon pour tout le monde !
À terme, une société égalitaire sera bénéfique pour tout le monde. Mais l’empowerment des femmes devra passer par un « désempowerment » des hommes. Il faut que les hommes acceptent de perdre des privilèges pour que les femmes puissent également accéder au sommet de la pyramide...
Je ne crois pas que l’empowerment des femmes devra passer par un « désempowerment » des hommes. Au contraire, les deux sexes avanceront. Vous n’allez pas convaincre en disant aux hommes qu’ils doivent lâcher leurs privilèges. Il ne faut pas mettre les hom- mes sur la défensive si on veut qu’ils écoutent ce que les femmes ont à dire. Il faut leur expliquer que l’égalité ne fera qu’augmenter les opportunités et les libertés aussi pour eux.
Mais donc, votre livre parle délicatement de féminisme aux hommes ?
Je l’ai écrit pour toutes les personnes qui, comme moi avant, pensent encore que nous avons déjà tout fait en matière d’égalité. Ma mère était très impliquée dans les questions féministes et de mon côté, je me suis consacré à la coopération au développement ces dernières années. Cela m’a permis de rouvrir le sujet en me rendant compte des inégalités à travers le monde et en Belgique. Parfois, les gens me disent d’agir avant de faire le malin avec mon bouquin. Je pense que c’est une attitude qui tue le débat. Je ne suis pas parfait, mais ce n’est pas pour autant que je ne peux pas commencer à faire des efforts.
Vous avez décrit votre bouquin comme un cahier des charges à appliquer. Il est sorti il y a un an. Où en est-on concrètement au niveau des réformes sur l’égalité salariale, le congé de paternité, les quotas, etc. ?
Par exemple, il y a désormais une discussion sur le coût des crèches au sein du gouvernement flamand. On a aussi mis sur la table les congés de paternité en espérant qu’ils passent à 20 jours par la suite. On a changé la loi pour que la direction de la Banque nationale ne puisse plus être entièrement masculine. Et je suis aussi persuadé que le prochain gouvernement sera paritaire. Actuellement, seulement trois ministres sur 15 sont des femmes. Et qu’on ne vienne pas me dire qu’on a placé 12 hommes parce qu’on a pas réussi à trouver plus de trois femmes compétentes en Belgique. C’est faux.
Vous parlez de l’absence des femmes dans le gouvernement, mais vous avez vous-même choisi de placer trois hommes comme chefs de votre cabinet et de reléguer les femmes au rang du secrétariat. Pourquoi ?
Je l’explique dans mon livre : je ne suis pas parfait. Je sais très bien que j’ai encore beaucoup de chemin à parcourir, surtout dans ce domaine. Mais j’ai fini mon livre plus ou moins six mois avant les élections et je n’allais pas changer ma structure de cabinet à la dernière minute.
Mais livre écrit ou pas, si vous revendiquez l’égalité, cela devrait faire partie de vos valeurs au quotidien. On peut donc creuser cette question...
C’est vrai, je pense qu’on a tendance à choisir des personnes dans l’environnement que l’on connaît. Les hommes vont naturellement choisir des hommes. Les quotas ont toujours été une question sensi- ble. Avant, j’étais contre parce que ça signifiait tirer une femme qui est deux rangs en dessous, au même niveau que des hommes juste pour respecter la règle. Mais aujourd’hui, il n’y a plus aucun secteur où les femmes ne sont pas présentes et au moins aussi compétentes que les hommes. Présenter des listes uniquement masculines n’a donc plus de sens. Et j’aurais dû me soumettre moi-même à cette politique. Rétrospectivement, je pense que j’ai simplement choisi la facilité. Mais aujourd’hui, je ne ferai plus la même erreur, je suis convaincu qu’une table de discussion mixte est plus efficace.
Vous aviez déclaré dans une interview avoir été un féministe qui s’ignore et être aujourd’hui un féministe engagé. Ce n’est pas un peu présomptueux ? Ne vaudrait-il pas mieux parler de pro- féminisme quand on est un homme ?
Il ne faut pas être pauvre pour combattre la précarité. L’idée que je veux absolument faire passer, c’est qu’il ne faut pas être une femme pour être féministe. Je veux que les hommes prennent part à la ques- tion. Moi, je me considère comme féministe parce que je me bats pour que les femmes aient les mêmes droits que les hommes.
Et en tant que père de famille, comment repensez-vous l’éducation de vos enfants ?
J’ai deux fils et leur inculquer une éducation égalitaire, non genrée et non sexiste est primordial à mes yeux. Évidemment, je suis moins présent que ma femme à cause de mon métier, mais j’essaie de leur montrer que la maison n’est pas l’affaire des femmes. Les hommes doivent aussi s’occuper de la cuisine ou du ménage, tout comme les enfants. Pour le moment, j’ai l’impression qu’ils n’ont pas encore été « contaminés » par les stéréotypes. Mais je m’inquiète de les voir progresser dans une société où les idées progressistes et ouvertes ralentissent. De plus en plus de forces conservatrices refont surf- ace. On parle à nouveau de normes et de valeurs de façon dépas- sée. C’est dangereux, surtout quand on parle de valeurs familiales. C’est très inquiétant d’avoir un président des États-Unis qui estime avoir le droit de se comporter comme il le fait actuellement avec les femmes.