Obliger les hommes à prendre un congé de paternité étendu pourrait lutter contre les discriminations à l’embauche dont sont victimes les femmes.
Les premières photos montrent toujours maman et papa ensemble. Elle, allongée dans le lit de l’hôpital, les cheveux en bataille, les traits tirés et l’air heureux, et papa à ses côtés, assis ou penché sur elle et le poupon, au centre de la paire. Ce que les images ne montrent pas, c’est qu’après dix jours fusionnels, papa s’en va, inévitablement. Son congé de paternité est terminé : fini de pouponner.
Et encore. En Belgique, les pères ne sont que 68% à profiter de cet éloignement du quotidien professionnel lorsque la famille s’agrandit. « C’est toujours l’indemnisation trop basse et le désintérêt qui expliquent cette non-utilisation du congé », analyse la Ligue des Familles, à l’origine d’un rapport annuel qui met en lumière la vie des parents. De nombreux hommes parmi les 32% qui ne prennent pas de congé de paternité sont également mal informés de leurs droits.
À savoir, dix jours de congé de naissance à prendre dans les quatre mois après la naissance. Dans ce cas, l’employeur paye le salaire complet du père durant les trois premiers jours, avant que la mutualité n’intervienne à 82% du salaire brut le reste de la période. Depuis mai 2019, les indépendants ont également droit à un congé de 10 jours rémunérés — qui a déjà séduit plus de 2 000 pères depuis le printemps, selon SudInfo. Cette loi concerne aussi la co-mère dans les couples homosexuels, mais n’est pas étendu pour les naissances de jumeaux, par exemple. Les mères salariées, elles, disposent de 15 semaines.
Être père, tout en soutenant les femmes
Pourtant, d’après le dernier sondage de la Ligue des Familles, 60% des pères voudraient pouvoir rester auprès de leur compagne durant toute la durée de son congé — et donc disposer d’autant de jours rémunérés qu’elles. Un chiffre qui augmente d’année en année, et qui témoigne de l’intérêt grandissant des hommes pour la vie de famille et un partage des tâches égalitaire au sein du couple.
Pour Hélène Périvier, chercheuse à l’OFCE (l’observatoire français des conjonctures économiques), interrogée par Lauren Bastide dans son émission « Les Savantes », c’est évident : « Si on veut produire de l’égalité, il faut donner un droit aux pères à s’occuper de leurs enfants — voire même une obligation. Aujourd’hui, ce qui est très problématique, c’est que malgré l’investissement des femmes dans la sphère professionnelle, celui des hommes dans la sphère familiale reste toujours très mineur ». Selon cette économiste féministe, la loi telle qu’elle distribue actuellement le congé parental « entérine une division sexuelle du travail » qui se met en place dès la naissance de l’enfant. « Les hommes qui ne prennent pas ce congé de paternité ont pour certains une position très élevée dans l’entreprise. Pour eux, ce n’est ‘jamais le moment’ (…) Les obliger à prendre congé pousserait leur entourage professionnel à accepter le fait que les hommes prennent du temps pour s’occuper de leurs enfants », soutient Hélène Périvier au micro de Lauren Bastide, dans un entretien disponible en réécoute.
Plus qu’un nouveau privilège, un changement de ce type pourrait soutenir l’égalité hommes-femmes. Si le congé de maternité est nécessaire pour protéger la santé des femmes, celui de paternité, s’il était équivalent à celui de la mère et rendu obligatoire, diminuerait les discriminations à l’embauche. En effet, les candidates féminines à un poste ou à une promotion sont semble-t-il désavantagées par un hypothétique congé de maternité à prendre, qui les exclurait de la vie de l’entreprise — et impacterait donc sa productivité. « On passe du problème individuel au problème sociétal », estime l’économiste. Dans le cas où les hommes bénéficieraient de facto du même congé, le « déséquilibre » entre les profils masculins et féminins serait ainsi gommé sur cet aspect.
Une piste de solution pour rééquilibrer le rôle des femmes et des hommes dans la société, dans l’idée d’une économie à la Joan Robinson, grande économiste britannique du 20 ème siècle : tout autant le véhicule d’une idéologie qu’une méthode d’investigation scientifique.
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