La marque américaine célèbre 180 années d’histoire à Shanghai, à travers une exposition à la mesure de son héritage : gigantesque. Comment le directeur artistique, Reed Krakoff, a-t-il réussi le pari de réunir dans ses créations la magie du passé et les grands défis du présent ?

Interview exclusive de Reed Krakoff, directeur artistique chez Tiffany & Co

Quel est l’objectif de l’exposition « Vision & Virtuosity » ?

C’est l’occasion de célébrer l’histoire incroyable de la marque et son héritage d’une façon inédite. On retrace tout ce qui s’est passé ces 180 dernières années à travers une expérience immersive au sein de l’univers de Tiffany.

Pourquoi Shanghai ?

C’est une ville qui symbolise la marque, son essence. C’est une capitale avec un immense héritage culturel et une influence internationale. Nous y avons découvert un magnifique espace, idéal pour la dimension de l’exposition.

Pouvons-nous espérer la découvrir en Europe ? Ce serait plus pratique !

C’est une possibilité (rires). Cela aurait effectivement du sens pour sa localisation centrale et le lien très fort que nous partageons avec notre clientèle européenne. Nous y penserons, c’est sûr.

Cette expo retrace l’histoire de Tiffany & Co, mais quelle était votre perception de la marque avant de la rejoindre, en 2017 ? A-t-elle changé depuis ?

Comme beaucoup, j’ai grandi avec la marque. Mon premier souvenir remonte à mes six ans, quand je suis entré dans la boutique avec ma maman. C’était pour moi une marque extraordinaire, excitante, inspirationnelle ! Les gens vivent ce désir de passer un jour les portes de Tiffany pour acheter un diamant. C’est le luxe ultime. Quand j’ai rejoint la société, ma première impression a été l’étonnement face à un tel engagement dans la qualité de l’artisanat. Il y a également beaucoup de place pour la créativité et le design en réponse à l’héritage de la marque.

Comment faites-vous pour concilier le passé et toutes ces archives avec le présent et votre désir de modernité ?

C’est une question difficile (rires). Je n’imagine pas mon travail sous cet angle, en réalité. J’ai passé beaucoup de temps au milieu des archives. J’en suis ressorti avec l’idée que ma création devait s’inspirer du passé comme d’un point de départ pour écrire un nouveau chapitre. Il ne s’agit donc pas de reproduire ce qui a été fait.

paper flowers tiffany & co

Paper Flowers, la première collection de Reed Krakoff pour Tiffany & Co

Pensez-vous que la vision de la joaillerie a évolué ? Est-ce que la nouvelle génération voit le bijou autrement ?

Il est difficile de parler d’une génération. On ne peut pas comparer une personne de 25 ans de Hong Kong et une personne de 25 ans en Europe. Mais si je dois parler de façon générale, je dirais que les jeunes clients sont très intéressés par les diamants et, plus particulièrement, par leur provenance. Nous avons mis en place une politique de transparence pour nos diamants qui permet de les sourcer. Nous contrôlons tout le processus depuis les mines jusqu’aux tailleurs, ce qui est vraiment rare dans l’industrie. Une autre chose importante pour eux, c’est la customisation. En boutique, nous proposons aux clients de choisir la pierre, la coupe, la couleur, de graver leur bijou et ainsi de participer au design de leur pièce. Tout est ensuite réalisé à la main.

Vous êtes un homme qui crée principalement pour une clientèle féminine. Est-ce que cela influence la conception de vos collections ?

Je ne pense pas qu’il y ait une différence entre dessiner pour des hommes ou pour des femmes. La plupart de mes designs s’adressent aux deux. Chacun peut vivre l’expérience du bijou à sa façon, qu’il soit un homme ou une femme. L’essentiel n’est  pas qu’il s’agisse d’un bijou pour homme ou femme, mais d’un bijou Tiffany & Co. C’est-à-dire qui reflète la marque  précisément : une qualité incroyable,  un design iconique, moderne. Beaucoup d’hommes portent des médaillons, des bagues, au même titre qu’une montre ou un jean. C’est plutôt quelque chose qui fait partie de leur garde-robe, un accessoire, c’est là que je vois une différence entre les deux genres.

Et vous, portez-vous des bijoux ?

Non. Aucun (rires). Sauf une bague très simple, un anneau que j’ai dessiné et que mon épouse m’a offert. Je pense que c’est parce j’ai envie de garder les idées claires quand je crée de nouvelles pièces et n’avoir rien qui puisse me distraire. Il y a une différence entre admirer une pièce et vouloir la posséder. J’adore les bijoux, c’est la quintessence de Tiffany, je les trouve merveilleux, mais que j’aie envie de les porter ou non, ce n’est pas important.

Est-ce que vous offrez des bijoux pour des occasions spéciales ?

J’ai réalisé beaucoup de pièces, depuis des années, pour des anniversaires, des occasions spéciales. Pas mal pour ma femme, d’ailleurs. Elle a également porté beaucoup de mes vêtements, elle a beaucoup de style.Elle est très honnête et va tout de suite me dire si elle n’aime pas quelque chose (rires). Ça ne veut pas toujours dire que c’est bon, parce qu’il y a des pièces qui ne sont pas faites pour elle, mais j’écoute toujours son opinion.

Maintenant, parlons du futur : quelle est votre vision pour Tiffany ?

Mon idée est des créer beaucoup plus de formes d’expression pour la marque, d’apporter de nouvelles idées et des pièces inattendues, en addition aux pièces iconiques qu’elle possède déjà. Faire en sorte que lorsque le client ou la cliente entre dans la boutique, il se dise :« Wouaw. J’adore cette marque, mais je ne m’attendais pas à ça ! » Nous avons de quoi créer la surprise…

L’exposition « Vision & Virtuosity » se tiendra jusqu’au 10 novembre à la Fosun Foundation de Shanghai.