Le jean est aussi indémodable qu’intemporel. Mais pour être à la pointe, une marque de denim se doit de trouver des alternatives durables. Direction Los Angeles pour découvrir les dessous du Jeans Innovation Center d'Uniqlo. Verdict ? L'avenir se lit dans le "green minimalisme" japonais.
Treize. Mon dressing compte exactement treize jeans. Skinny, droit, tapered, flared, boyfriend, cigarette... Noir, blanc, gris, toutes les nuances de bleu et, depuis peu, un vert surprenant. Toute amatrice de jeans qui se respecte ne peut plus passer à côté des modèles écologiques proposés par quasiment tous les fabricants. Aujourd’hui, un blue-jean doit avant tout être green. Ou du moins aussi green que possible. Une étape logique quand on sait que la production totale d’un jean coûte à la planète quelque 7.000 litres d’eau (ou 88 douches de dix minutes chacune). D’autant plus que la culture du coton traditionnel requiert déjà énormément d’eau. Ajoutez-y les délavages et les substances chimiques toxiques nécessaires au processus de coloration et vous aurez vite compris qu’un pantalon en denim propre est relativement sale.
Les petits labels ne sont pas les seuls à opérer la transition vers l’écologisation et à revoir de A à Z leur processus de production. On pense à HNST à Anvers et à son tissu composé à 56 % de denim recyclable. Ou, de l’autre côté de la frontière, à la société néerlandaise MUD Jeans qui applique depuis plusieurs années les principes de l’économie circulaire et a développé un programme de location et de recyclage de ses pantalons. Les géants de la fast fashion apportent également leur pierre à l’édifice green. Fort d’un chiffre d’affaires international de 7,4 milliards d’euros en 2018 et connu dans le monde entier pour son style minimaliste, ses mailles sans couture et ses doudounes ultralégères, Uniqlo fait partie de ceux-là. Bien que la durabilité soit au cœur d’une grande partie de sa production, la chaîne de mode japonaise a peu communiqué à ce sujet jusqu’à présent. Mais ça, c’était avant. Du moins en ce qui concerne la production de ses jeans. Le message est clair : d’ici 2020, chaque jean Uniqlo respectera la technologie Blue Cycle Denim, qui vise à réduire drastiquement la quantité d’eau utilisée pour le délavage par rapport aux anciennes méthodes. Le nouveau procédé sera également appliqué aux collections denim de J Brand, Comptoir des Cotonniers, GU et Theory, les autres marques détenues par le groupe Fast Retailing.
Zéro « water waste »
Pour comprendre en quoi consiste précisément cette nouvelle méthode de délavage, je m’aventure dans une banlieue industrielle en dehors du centre de Los Angeles. Il y a trois ans, Fast Retailing y a fondé le Jeans Innovation Center (JIC), un lieu de rencontre entre la recherche, le développement et le design. Sa localisation sous le soleil de Californie n’a rien d’une coïncidence puisque c’est ici que les tout premiers jeans ont fait leur apparition, à la fin du XIXe siècle à la faveur de la ruée vers l’or. Aujourd’hui encore, on y trouve une forte concentration de marques de denim haut de gamme. Qui plus est, l’approvisionnement en eau de la côte ouest américaine est mis sous pression depuis 2012 en raison de l’extrême sécheresse. Selon Masaaki Matsubara, COO du Jeans Innovation Center, la boucle est bouclée. « L’eau est extrêmement précieuse dans cette région. C’est pourquoi nous avons pensé qu’il était important d’y regrouper l’expertise et le savoir-faire les plus avancés. De la culture du coton à la teinture de la toile en passant par le délavage du produit fini, chaque étape du processus de fabrication d’un jean absorbe d’énormes quantités d’eau. Un problème structurel face auquel nous n’avons pas, en tant qu’acteur majeur, d’autre choix que de chercher des solutions. » Actuellement, le JIC se concentre sur la dernière étape : le délavage. Pour vous donner une idée, le processus qui consiste à donner à votre jean préféré son look et sa souplesse consomme généralement pas moins de 100 litres d’eau. L’objectif du Jeans Innovation Center est de ramener ce nombre à zéro. « Tout ce qui est en amont du délavage ne peut pas être considéré comme une véritable innovation », poursuit Masaaki Matsubara. « Après deux ans de recherche et développement, nous avons déjà pu réduire de 90 % en moyenne, voire de 99 % dans le meilleur des cas, selon la couleur, la consommation d’eau utile au délavage d’un jean. Nous poursuivrons sur cette voie jusqu’à atteindre 100 %. Zéro “water waste”, c’est l’avenir. »
Le trou dans le marché de l’ozone
Comment Uniqlo peut-il remettre le compteur à zéro ? La réponse réside dans un savant mélange de technologies et de matériaux innovants. Le papier de verre utilisé autrefois pour donner un look vintage aux jeans a fait place à une machine au laser qui enlève une fine couche de toile selon un motif prédéterminé. Cette technique est combinée à un traitement par l’ozone. Les jeans disparaissent ensuite dans un sèche-linge afin de fixer l’aspect usé, ce qui permet d’économiser beaucoup d’eau et d’éviter les sprays nocifs.
Le Stone Washing fait également partie de ce que JIC appelle « l’ancienne méthode ». Fini les restes polluants de pierres ponces qui sont remplacées par des pierres écologiques synthétiques pouvant être utilisées de manière semi-permanente au cours du processus de délavage. On me murmure fièrement que ce sont les mêmes pierres depuis le tout premier jour. Elles officient dans un tambour différent qui crée des nanobulles pour rendre le denim plus doux et résistant au rétrécissement.
Vert sans en avoir l’air
Bien que le nom du groupe suggère le contraire, il n’y a pas grand-chose de « fast » dans la mode by Uniqlo. Si ce n’est qu’une pièce peut se retrouver en boutique en moins de deux semaines suivant la phase de conception. Pour le reste, les Japonais sont des adeptes de la slow fashion. Les modèles restent dans la collection plus d’une saison et leur grande qualité leur assure une longévité de plusieurs années. Yukihiro Nitta, vice-président de la durabilité chez Fast Retailing depuis trois ans : « La mode et la durabilité ne s’excluent pas. Au contraire. Uniqlo ne suit pas aveuglément les tendances. Nous partons toujours d’un design intemporel, tout en tenant compte des souhaits et des besoins du consommateur. Or ces derniers pointent plus que jamais dans la direction des vêtements durables et bien pensés. »
Si les clients ne remarquent pas d’emblée cette tendance green, c’est en grande partie le fruit d’une certaine modestie japonaise. « Proposer un shopping sans effort et sans stress, telle est notre ambition », poursuit Yukihiro Nitta. « Nous voulons permettre à nos clients de choisir des produits respectueux de l’environnement sans fournir le moindre effort. Il arrive même qu’ils n’aient pas conscience d’avoir acheté un vêtement durable. Mais ce n’est pas grave car ils choisissent Uniqlo pour son style, sa qualité et son confort. Le label de durabilité est la cerise sur le gâteau. »
Me voilà de retour en rue, avec mon jean propre sous le bras. Lors d’un rapide essayage dans les toilettes de la marque J Brand, la marque sœur d’Uniqlo, je repense à tout ça : vous ne verrez peut-être pas d’emblée la différence avec un jean « à l’ancienne », mais vous vous souviendrez longtemps d’avoir apporté votre pierre à l’édifice écologique. Le temps de 88 douches, pour être précise.
Pour le moment, la ligne de denim durable d'Uniqlo comprend deux modèles : le jean droit taille haute pour femme et le jean coupe classique pour homme. Disponible en boutique et sur www.uniqlo.com.
Uniqlo en bref
Uniqlo= « unique » et « clothing ». Elle aurait dû s’appeler Uniclo, mais une faute d'orthographe en a décidé autrement. Le premier magasin a ouvert ses portes en 1984 à Hiroshima, au Japon. On en compte aujourd'hui plus de 2.200 dans le monde. Ses best-sellers sont : la collection HEATTECH, AIRism, Ultra Light Down, Blocktech et la gamme Uniqlo U-line signée par le directeur artistique Christophe Lemaire. Sur la liste des "collabs" : Alexander Wang, Keith Haring, Andy Warhol, Jean-Michel Basquiat, Jil Sander, Undercover, JW Anderson, Eames... Uniqlo est activement engagée dans le recyclage. En partenariat avec le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, elle a déjà collecté et donné plus de 20 millions de vêtements à des personnes dans le besoin.
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