Pronuptia en liquidation judiciaire et mariées en chemises d’hommes : l’évolution des rites épouse un symbole qui a évolué. Se marier en couleur, en jean ou en costard, ou comment – et pourquoi – échapper à la robe blanche traditionnelle.
En vingt ans, le nombre de mariages a baissé de 25%, avec une très légère reprise depuis 2017*. Si cette cérémonie officielle a progressivement souffert du désamour de la modernité au profit des relations libres ou encadrés par des pactes civils moins lourds de traditions, les effets conjugués d’un nouvel investissement pour la sphère intime (« travailler pour vivre » et non plus « vivre pour travailler ») et d’un contexte social anxiogène ont ramené les amoureux vers le romantisme contractuel.
Valeur refuge d’accord, mais rejet des codes désuets
Perrine Déprez, psychologue-psychanalyste spécialisée dans la question du corps et de l’image de soi, souligne d’abord le figuratif du mariage : « c’est l’un des actes les plus symboliques pour une femme, puisqu’elle passe « du père au mari ». Rituellement, le père la mène vers un autre homme. Symboliquement, le père possède et est garant du corps de sa fille, jusqu’à ce qu’il le transmette au mari. » En France surtout, mais c’est aussi parfois le cas en Belgique, la femme portera toute sa vie le nom d’un homme : son père, puis son mari. Ça, c’est le cadre théorique de la tradition, mais le monde a changé : les femmes aspirent désormais à la liberté et la parité, ce qui entre en conflit avec tout le rituel « d’appartenance à » lié au mariage. C’est là qu’intervient la robe, de façon bien moins anecdotique qu’on pourrait le penser, comme postulat d’affranchissement des codes patriarcaux.
La robe blanche traditionnelle vue comme un étau de tulle
Pour la psychanalyste, le voile, qui se raréfie dans la silhouette typique de la mariée, « est destiné à cacher le visage de l’épousée aux autres hommes, la faisant encore appartenir à son père jusqu’à la seconde où il la transmet à son mari ». Quant à la traîne, « elle sert à tenir les autres hommes en arrière ». Sans parler du blanc virginal, qui n’a plus de sens de nos jours. Or les vêtements ont un langage : social, philosophique, politique.
Perrine Déprez analyse que « dans l’histoire du vêtement, le symbole de la robe de mariée a donc été progressivement détourné. On a commencé par abandonner la traîne, puis le voile, on a dénudé les épaules, dans les années 60-70, on a souligné les courbes, ajouté des couleurs car la virginité ne collait plus à l’acte du mariage, et les femmes se sont réapproprié leur séduction. En choisissant des robes de mariées seyantes, qui mettent le corps en valeur au lieu de le cacher sous des couches de tissus flous, les femmes redeviennent actrices de leur histoire. »
Une démarche plus durable
De plus en plus de futures mariées optent donc, plus ou moins consciemment, pour un court-circuitage de la symbolique de la robe traditionnelle au profit d’une interprétation qui leur est personnelle. Comme Nathalie, qui a opté pour une robe-chemise blanche signée Maison Margiela, elles sont désormais nombreuses à conférer une dimension sustainable à cet achat : « j’ai réfléchi à une pièce qui serais toujours pour moi ma robe de mariée, mais que je pourrais reporter. C’était aussi une décision de conscience écologique. Donc, j’ai choisi une pièce Maison Margiela, belge, fabriquée dans de bonnes conditions. Finalement, je ne l’ai jamais remise, je n’ose pas, j’ai peur de la tâcher, je serais trop triste. Mais je la reporterai un jour ! (Rires) ».
Le duo de créateurs A.F. Vandevorst, mariés à la ville et au studio, a créé de son côté pour l’été 2019 un vestiaire de mariées ultra-moderne, rock’mantique et décalé : « nous avons utilisé des robes de mariée vintage coupées et remontées, et nous avons ajouté à cette ligne une collection capsule de vêtements du quotidien réinterprétés à partir des volumes extrêmes des jupes avec tulle et broderies, dans lesquelles nous avons conçu des pantalons, des tops et d’autres robes, pour les dédramatiser. Il y avait aussi l’idée du recyclage des robes traditionnelles, qui nécessitent un travail très conséquent, et qu’on ne porte qu’une fois. Nous avons réfléchi à la rationalisation de l’exceptionnel vers le casual. C’est une démarche de durabilité. Aujourd’hui, on n’achète plus de vêtements « pour des occasions », et c’est l’une des raisons pour laquelle la location de vêtements de cérémonie est en plein boom ».
Un achat rationnel
Perrine Déprez rappelle également le facteur financier dans le choix de la robe de mariée : « avant, on préparait la dote pendant des années, le trousseau était minutieusement composé des mois à l’avance. Aujourd’hui, beaucoup de couples financent eux-mêmes leur mariage, donc la robe devient un élément moins sensationnel et plus transversal, confortable pour partir faire la fête avec ses amis, moins formel, et reportable. On sort de l’investissement dans des attributs de « rupture symbolique », pour passer au soulignement d’une « continuité » ».
Pour An Vandevorst et Filip Arickx, « le côté « jour le plus important de sa vie » ne correspond plus à la réalité de la plupart des gens. Le mariage reste une journée très importante, mais qui se traduit dans un autre chose qu’une robe blanche, brodée et perlée. Le confort grimpe dans les priorités, on n’a plus envie de se marier en se sentant engoncée dans une robe inadaptée à la fête. Nous avons donc créé des joggers et des hoodies, coupés dans des robes de mariées, ludiques et décalés, qui collent à l’évolution de la société ».
Le cadre symbolique évolue
An Vandevorst explique la genèse de cette collection : « Filip a demandé ma main à la fin de notre premier défilé, il y a vingt ans, ce qui signifie que nous fêtions avec cette ligne de mariage un double anniversaire : celui de notre marque, et celui de notre union ». Logiquement, la créatrice avait à l’époque opté pour une robe tirée de ce premier show, une belle pièce noire, puisqu’elle porte essentiellement cette couleur : « c’était cohérent, ça me ressemble ».
La société évolue, ses rituels perdurent mais s’adaptent. Pour Perrine Déprez, « la volonté de circonvenir aux codes de la robe blanche traditionnelle, s’inscrit dans une réappropriation du discours de la femme. De sa position, de son affirmation, de son identité. Qui est-elle désormais ? Elle n’est plus « la vierge », elle n’est plus « la fille de son père », elle n’est plus « la femme de son mari » : elle est ce qu’elle choisit d’être. Et elle le montre avec sa robe, qui restera de toute façon symbolique, mais cette fois, de sa volonté. Qu’on opte pour une chemise blanche, un pantalon ou un jean, la tenue choisie reste une prise de parole. Car quand la mariée entre dans la pièce, on regarde en priorité ce qu’elle porte ». Ce en quoi, on écoute enfin ce qu’elle dit.
Témoignages
Nathalie, mariée en robe-chemise Maison Margiela (en septembre 2018)
« Je n’avais jamais rêvé de me marier en blanc, avec une bague en diamant et une fontaine de champagne. Je pense qu’on peut s’aimer très sincèrement sans mariage. Mais quand l’homme qu’on aime nous demande de l’épouser, on dit oui ! Je ne voulais pas d’une cérémonie trop traditionnelle, mais je souhaitais m’inscrire dans une continuité quand même. J’ai fait le choix de cette pièce car au quotidien, je porte souvent des chemises et des pantalons. Ici, j’ai aimé le côté ample et la liberté de mouvement, la réinterprétation de la tradition. La dimension symbolique d’avoir porté un vêtement d’homme détourné ? Je n’y ai pas réfléchi sous cet angle, mais ce qui est certain, c’est que cette robe racontait aussi ma propre histoire ».
Laurence, mariée en rose et terracotta (en juin 2019)
Après avoir étudié la mode à Gand, Laurence s’est tournée vers la décoration d’intérieur, et s’est installée à Marrakech : « les robes traditionnelles à grands décolletés sont trop dans le cliché de la féminité pour moi. Et puis j’adore les couleurs. Pour notre mariage, il y avait deux soirées : un thème « western party », et une « nuit marocaine ». J’ai choisi d’une part une robe rose Valentino, puis, je me suis changée en kaftan traditionnel, terracotta à broderies vertes. En outre, la robe blanche traditionnelle ne convenait pas au décor de mon mariage au Maroc. J’aime beaucoup le blanc, mais je voulais arborer un look plus moderne ».
An Vandevorst, mariée en noir (en août 1998)
« À l’hôtel de ville, nous étions 13 mariées, et j’étais la seule à ne pas être en blanc. Même il y a 20 ans, je dois dire que ça m’avait beaucoup étonnée. Cette robe noire, je l’ai reportée par la suite. Elle avait une dimension symbolique, mais pas ce côté « sacré-intouchable » qui fait qu’on laisse un vêtement sous plastique dans une armoire. Au contraire, je voulais que cette robe, elle aussi, continue à vivre ».
*Chiffres INSEE
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