À l’heure où le manque de diversité d’une entreprise est un vrai manque à gagner, deux pros de l’inclusivité décryptent comment changer la face de son projet.
Si la différence est une richesse, nombre d’entreprises ont tendance à l’oublier. Dans l’inévitable course à la productivité, certains se tournent vers ce qui leur ressemble par facilité, manque de contacts ou par entre-soi. Le résultat ? Des photos de groupe blanches, normées, genrées. Rien de très excitant, donc, ni de représentatif de notre société. Le risque est aussi d’avoir pu s’être rendu coupable de discrimination à l’embauche, une triste évidence punie par la loi. Et si l’on a longtemps éludé la question ou simplement peiné à réaliser le manque de diversité au sein de ses rangs, le sujet est depuis quelques temps sur toutes les lèvres. On ne peut plus dire qu’on ne savait pas. « Une entreprise qui est homogène, monochrome ou trop masculine, par exemple, joue aujourd’hui sa réputation », estime même Safia Kessas, journaliste, documentariste, mais aussi responsable diversité et égalité à la RTBF.
Des valeurs qui font recettes
Ouvrir sa boite à de nouveaux atouts est ainsi devenu une nécessité, d’autant plus si l’on veut poursuivre sa mission première : satisfaire ses clients — et accessoirement, être un dirigeant juste et ouvert. Safia Kessas appuie ce raisonnement sur des constatations issues d’industrie culturelle. « Pour 51% des Américaines et 38% des Britanniques, il est important de regarder des films ou des séries qui présentent des personnages féminins intéressants. 74% des ‘‘millennials’’ considèrent quant à eux que c’est un facteur important dans leurs choix culturels. Cela veut dire que les consommateurs ont aussi besoin de justice sociale. S’ils ne se reconnaissent pas dans les narratifs proposés par les entreprises, cette génération s’en va. C’est une question de survie et de crédibilité ». Et si Netflix peut le faire, vous aussi.
Mieux encore : favoriser la diversité au sein de son entreprise, ce n’est pas de la charité ; c’est extrêmement bénéfique pour son activité. « Les recherches montrent que les produits (ou services) d’une entreprise sont de meilleure qualité quand les équipes qui les produisent sont inclusives. La mise en commun d’opinions différentes permet aussi d’accroître la créativité et l’innovation et d’ouvrir de réelles perspectives sur la conquête de nouveaux clients et de nouvelles niches », développe Safia Kessas. « Les efforts en matière de diversité d’une entreprise modifient aussi la perception extérieure et attirent les meilleurs talents disponibles sur le marché. Plus les équipes sont diverses, plus les décisions prises sont meilleures », estime-t-elle.
Cela concerne bien entendu une juste représentativité des femmes, des personnes racisées, mais aussi des non-valides — toutes parties intégrante de la société. En collaboration avec la Antwerp Management School, la CEO de Special Olympics Belgium Zehra Sayin place des employés avec un handicap mental dans de grandes entreprises. « C’est quelque chose qui fait énormément peur. Nombre de CEO estiment qu’ils n’ont pas besoin de ce type de profils, même lorsqu’ils sont très ouverts et de bonne volonté. La réalité, c’est qu’une fois qu’un employé avec un handicap mental rejoint une entreprise, ses valeurs ressortent. Sa vision et sa mentalité changent ». Pour Zehra Sayin, on ne fait pas une faveur à la personne avec un handicap mental : c’est elle qui représente une chance pour la structure. « Ce dont on se rend compte, c’est que c’est très enrichissant : on en vient à développer d’autres manières de travailler et on bénéficie d’un regard complètement différent du nôtre ».
Question de volonté
D’autant que passer à l’action n’est pas si compliqué. La directrice de Special Olympics Belgium rappelle qu’une très grande majorité des personnes avec un handicap travaillent déjà. « Mais le plus souvent, il s’agit d’une activité relativement répétitive dans un atelier protégé, par exemple. À partir du moment où un CEO a la volonté d’engager des personnes non-valides ou handicapées mentales, il est très simple d’être mis en contact avec elles via sa commune ou des associations spécialisées. Ensuite, ça nécessite évidemment une phase d’adaptation, parce qu’il faut communiquer avec ce nouvel employé de manière différente, du briefing jusqu’aux situations de stress ». Selon la responsable diversité et égalité à la RTBF, il est aussi judicieux de passer par une phase de monitoring, en amont. « C’est important d’avoir un cadre pour savoir vers où aller. Quelle est la répartition des hommes et des femmes, par exemple, dans les postes de cadre. Ensuite, il faut mettre en place des objectifs et des mesures proactives pour y arriver. La diversité n’est pas un processus naturel. Il faut toujours garder le pied sur l’accélérateur ».
Attention néanmoins à ne pas se rendre coupable de « tokenism », ce terme américain qui pointe ces entreprises qui engagent une seule personne issue d’une « minorité » pour faire bonne figure et donner l’apparence d’une structure inclusive. Ce sont les fondements de l’entreprise qui doivent être repensés. « On parle beaucoup de développement durable. Aujourd’hui, il est temps de parler de développement social dans le monde de l’entreprise », conclut Safia Kessas.
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