Les sorcières sont désormais partout, des séries télévisées aux nouvelles réunions féministes, bien parties pour marquer la fin de cette décennie et la prochaine. Mais le personnage ne se serait-il pas perdu en chemin vers sa démocratisation ?
C’était il y a plus de cinquante ans. Un groupe de femmes coiffées de chapeaux pointus s’infiltre discrètement dans un grand bâtiment de Wall Street et se met à enduire de glue les serrures des portes. Le lendemain, aucun des financiers en costume ne peut entrer dans les locaux de la bourse de New York, faisant baisser le Dow Jones de 13 points. Un « sort » lancé par le collectif «W.I.T.C.H.», qui assurera par la suite plusieurs autres coups du genre, avant de tomber dans un relatif oubli.
Si depuis, la saga Harry Potter a rappelé la force narrative de la sorcellerie, ces dernières années marquent un véritable tournant pour la figure de la sorcière. La voilà cuisinée à toutes les sauces, des séries (le reboot de «Sabrina l’apprentie sorcière») au cinéma («Suspiria», «Thelma»), en passant par la musique (le titre «Brujas» de Princess Nokia) : la sorcière fait son grand retour, pour le meilleur… comme le pire.
Des sorcières féministes
Le meilleur, d’abord. Il y a un peu plus d’un an, la journaliste et essayiste française Mona Chollet sortait un livre coup de poing, un choc pour toute une génération de femmes pour qui Salem n’était que le nom d’un chat noir dans un feuilleton pour adolescents. «Sorcières : la puissance invaincue des femmes» est devenu en l’espace de quelques mois un véritable best-seller, en s’attaquant à l’histoire et la question de la sorcière à travers le prisme du féminisme.
Voilà qu’on (re)découvre que plutôt qu’une mégère au nez crochu, elle était surtout l’incarnation de la femme libre et indépendante, sexuellement active, tout simplement âgée ou propriétaire d’un savoir contrariant — comme celui de pouvoir faire avorter celles qui en avaient besoin. Dans son livre, Mona Chollet remet ainsi à jour le portrait de la sorcière : celui d’une femme qui dérange.
Pas d’étonnant que dans la bouche de ses opposants, Hillary Clinton ait été qualifiée de «witch» lors de la course à la présidence en 2008. Plus inquiétant encore est le retournement opéré par des témoins ou des hommes impliqués dans les révélations de #MeToo, lorsqu’ils ont qualifié le mouvement de «chasse aux sorcières». De la même manière que des tas de femmes ont défilé sous des banderoles «Nasty women grab back» suite à l’élection de Donald Trump, elles se réapproprient aujourd’hui ce personnage longtemps diabolisé, mais synonyme de pouvoir. Elles le revendiquent comme une icône moderne du féminisme et réinterprètent le sabbat comme un rassemblement sororal.
«La sorcière est devenue un personnage pratique pour traiter la question de l’émancipation féminine dans la fiction contemporain.», appuye Daniel Bonvoisin, responsable d’éducation permanente chez Média Animation, où il traite des dimensions politiques de la culture populaire à travers la fiction.
Une (pas si) nouvelle religion
De moins en moins pratiquantes, les femmes pourraient également se tourner vers la sorcellerie pour répondre à une certaine crise de la spiritualité observée depuis le début des années 90.
Une étude du Trinity College montrait en effet qu’en 1990, 8 000 Américains s’étaient déclarés adeptes de la Wicca, un mouvement religieux païen qui voue un culte à la nature et intègre des croyances telles que le chamanisme ou le druidisme — la « religion des sorcières », en raccourci.
Selon le magazine Newsweek, ses disciples seraient aujourd’hui 1,5 millions à travers le pays. En se détournant du christianisme, un certain nombre de personnes se retrouvent ainsi attirés par cette forme d’occultisme, plus en phase avec les problématiques de son temps — comme la question du retour à la nature. «Qui plus est, la Wicca a efficacement reconditionné la sorcellerie pour le 21ème siècle», analyse pour Newsweek Julie Roys, journaliste pour le Christian Post. «La sorcellerie et le paganisme ne sont plus synonymes de satanisme et de démons, c’est désormais une ‘tradition pré-chrétienne’ qui promeut la ‘liberté de pensée’ et ‘la compréhension de la terre et de la nature’», estime-t-elle.
Apprenties sorcières
Le mouvement est en pleine voie de « démocratisation ». D’Instagram à la machine à café, elles sont nombreuses désormais à se proclamer «sorcières». C’est cette collègue qui vous tire les carte sur l’heure de table, cette tante qui a tout plaqué pour un stage de chamanisme ou cette amie qui vous invite à une cérémonie païenne dans son jardin, pour fêter le solstice. Des femmes qui se réapproprient une certaine force et une spiritualité, avec les pouvoirs actuels qui leur sont donnés.
Mais c’est aussi malheureusement ces hashtags #witchesofinstagram, cette enseigne de fast-fashion qui accroche des t-shirts «Witch please» ou encore Sephora, qui retirait en 2018 de la vente son «Kit de la sorcière débutante» après de nombreuses critiques. Car derrière chaque nouveau mouvement se cache désormais une machine prête à tout marketer sur son passage. «J’ai du mal avec cette thématique de la sorcière appliquée à tout et n’importe quoi», confie ainsi l’illustratrice Maureen Wingrove, alias Diglee.
Après avoir blogué des années, sorti plusieurs bandes dessinées et romans, son compte Instagram compte aujourd’hui de nombreuses références à l’occulte. Son dernier projet en date ? Un livre, publié avec la passionnante autrice du «Grand mystère des règles» Jack Parker, intitulé «Grimoire de sorcière moderne». «J’ai l’impression qu’on confond un peu le selfcare, la méditation, le yoga, le retour à la nature, avec la réelle pratique de la sorcellerie, qui pour le coup va de pair avec des croyances, de l’apprentissage, de la transmission de femmes à d’autres», lâche-t-elle.
Par enthousiasme (un peu trop débordant) ou manque de connaissance, certaines ont en effet tôt fait de se proclamer «witches», sans savoir qu’il se cache derrière ce mot bien plus qu’une hype passagère. Pour éviter de se retrouver parmi celles-ci en un hashtag ou bâton d’encen, voici trois livres à potasser avant de devenir apprentie-sorcière.
- «Sorcières : la puissance invaincue des femmes», de Mona Chollet
Longtemps meilleure vente en France parmi les essais, «Sorcières» replace le personnage au sein d’une Histoire féministe et empouvoirante. - «Moi, Tituba sorcière… noire de Salem», de Maryse Condé
Tituba fut l’une des premières accusées du procès des sorcières de Salem, qui aboutit au 17ème siècle à l’exécution de 20 personnes. Dans ce roman, Tituba est une jeune esclave qui finira par connaitre le même tragique sort que son homonyme, après une vie d’amours interdits et de malheurs. - «Histoire de sorciers et de sorcières sous l’ancien régime», de Louise-Marie Libert
Dernière sortie en date sur le sujet, ce livre revient sur les procès de sorcellerie et les méthodes abracadabrantes de l’inquisition.
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