Sur les podiums des défilés comme dans la rue, les talons aiguilles ne font plus fantasmer le monde de la mode. Désormais, ce sont les chaussures plates qui s’imposent comme moyen de locomotion efficace. Est-ce la conséquence de l'engouement pour le sportswear ou de la montée du féminisme?
Kristen Stewart s’est fait remarquer à Londres pour la première du film Charlie’s Angels en troquant sa paire de stilettos contre des Nike Cortez. Et ce n’est pas la première fois. En 2012 lors des MTV Movies Awards, la star s’était pointée avec une paire de Converse basse sur le tapis rouge, bravant les traditions.
Cet acte contestataire a également été repris par de nombreuses stars telles qu’Emma Thompson, Millie Bobbie Brown ou encore Serena Williams… Lors d’une interview accordée à l’Express Styles, Kristen Stewart a déclaré : « Les choses doivent changer tout de suite. On ne peut pas me demander quelque chose qu’on ne demande pas à un homme. »
Le retour du plat
Et depuis l'affaire #Metoo, la tendance semble se poursuivre jusque sur les podiums. Entre l'ancrage du talon carré depuis plusieurs années, les dad shoes en 2018 et les chaussures de randonnées aujourd'hui, le confortable signe son retour tant sur les catwalks qu'aux pieds des filles les plus stylées. Pourtant symbole de l'émancipation féminine dans les années 60 et de l'empowerment féminin à l'aube des eighties, le talon aiguille semble perdre du galon pendant que le plat lui, gagne du terrain. "L'élégance n'est plus l'apanage du talon haut, le plat n'a jamais été aussi valorisé esthétiquement parlant", indique Pascal Monfort, sociologue de la mode.
Une tendance féministe ?
Mais alors, cette disparition du talon aiguille serait due à la montée du féminisme ? "Il y a un peu de ça, oui. À plat, les femmes sont beaucoup moins vulnérables que les hommes, les rapports s'égalisent au fur et à mesure que la basket se démocratise. Les sneakers sont moins érotiques qu'une paire de talons aiguilles, mais ce n'est pas pour autant moins sexy. En même temps, une femme n'a jamais porté des stilettos pour draguer", poursuit le spécialiste de la mode.
On se souvient encore des paroles de Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe : "On ne cherche pas à servir ses projets, mais au contraire, à les entraver. La jupe est moins commode que le pantalon, les souliers à hauts talons gênent la démarche". Si les talons aiguilles modifient la démarche, allongent les jambes, mettent la poitrine vers l'avant et féminisent la silhouette, il n'en est pas moins l'objet de critiques, notamment féministes. Et ce n'est pas nouveau. Dans les années 70, cet accessoire pourtant fantasmé par les femmes et le monde de la mode était littéralement rejeté. Pourquoi ? Parce que ces chaussures paralysaient la liberté des femmes, et les soumettaient au désir des hommes de par son caractère érotique et séducteur. Aujourd'hui, si les discours divergent, certains reprennent les mêmes idées. "C'est contre nature", s'exclame Emma dans sa paire de Stan Smith, "on ne peut pas accomplir toutes les tâches qui nous sont attribuées perchée sur 10 centimètres ou plus!". Pour elle, impossible également d'être aussi rapide qu'un homme à plat, ou encore d'accéder aux mêmes endroits que lui. Et cela va sans compter les problèmes de santé ou physiques tels que des soucis d'articulations, la déformation des orteils (hallux valgus), un fléchissement des genoux, des douleurs aux talons ou encore des risques d'entorse... La liste est longue !
La mode s’affranchit des règles
Depuis quelques années, il n'est plus si rare de voir la mode bousculer les codes. Tout comme il n'est plus si exceptionnel de croiser un homme en costume et sneakers, ou une femme en jupe et baskets ! "Ce qui est bien, ajoute Emma, c'est qu'aujourd'hui, il n'y a plus vraiment de règles. Les plus beaux looks sont aussi les plus inattendus et tout le monde peut s'exprimer comme il l'entend". De plus en plus, la mode s'affranchit des règles, mais aussi des tabous. Emma sourit : "Je me souviens encore il y a 20 ans quand ma grand-mère répétait sans cesse : mais ma chérie, on ne porte pas de robe avec des baskets !".
Et cette tendance se démocratise davantage avec le sportswear qui, depuis quelque temps, règne en maître dans la fashion sphère.
L’ère du sportswear
La chute des ventes du talon aiguille (-5% à travers le monde selon la Fédération française de la chaussure) n'est pas seulement due à une question de féminisme. C'est aussi le symptôme de la montée en puissance des sneakers, qui chaque année, grignotent 4 % des parts du marché de la chaussure depuis 2013. Aujourd'hui, 80 % des baskets qui sont vendues à travers le monde ne sont pas destinées à faire de l'exercice physique. Tout comme le jogging et la brassière, qui ne sont plus réservés à la salle de sport ou aux week-ends cocooning à la maison. "Le sportswear à prit une telle ampleur depuis quelques années. Cette nouvelle mode touche tout le monde, toutes les générations, toutes les classes, et surtout les femmes", précise Pascal Monfort. Plus agréable, plus confortable et plus cool que les talons, le plat est aux pieds de toutes les femmes. Et plus d'une fashionista a prouvé que l'on pouvait être chic et sexy, même avec des chaussures de randonnée.
Au niveau du commerce, les marques ont saisi tout l'intérêt du marché féminin de la basket. Même les enseignes spécialisées dans les chaussures de ville telles que Mano, Sacha ou Eram ont intégré plusieurs modèles à leur catalogue. Et les maisons de luxes, de Balenciaga à Chanel en passant par Dior, ont toutes créées leurs propres modèles haute couture. "Les talons aiguilles sont devenus un moins bon investissement qu'une paire de sneakers. Ils ne sont pas faciles à porter, pas pratiques, plus chers et désormais réservés aux occasions... Les femmes deviennent plus pragmatiques", ajoute l'expert des tendances.
La fin des talons aiguilles ?
Cependant, la fin des talons aiguilles n'est pas si proche. Selon le sociologue de la mode, ils ne devraient pas tarder à revenir sur le devant de la scène (ou des podiums). "Leur retour est imminent, et ça commence déjà à grimper", conclut Pascal Monfort.
Si l'on observe un timide retour du talon haut dans les défilés printemps-été 2020 (Gucci, Bottega Veneta, Saint Laurent), il reste rare ou se décline en version "kitten heels" (Chanel, Prada, Proenza Schouler), épaisse (Fendi) ou carré (Chanel, Céline, Prada). Le plat quant à lui fait de la résistance, notamment les baskets (Dior, Prada, Céline), mais aussi la ballerine (Chanel) et la mule (Gucci).
Un retour qui semble hésitant donc, tant la folie sportswear continue de dominer la tendance. Mais jusqu'à quand ?
Margaux Masson
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