Sororité, combats et coups d’éclat. Notre journaliste, Juliette Debruxelles revient sur le destin de personnalités qui ont changé la face du monde… Qui était Betty Ford ?

Son nom résonne comme le « place to be » des stars avinées, déchues, en rémission.

Le Betty Ford Center, clinique de désintoxication, est aujourd’hui un lieu mythique. Perchée sur les hauteurs de Rancho Mirage, en Californie, la maison mère du centre (qui compte 17 établissements aux États-Unis) est connue pour avoir accueilli plus de people que la piscine d’une Jenner-Kardashian. Mais avant d’être une référence en matière de sauvetage de vie des gens, Betty Ford est le patronyme d’une femme qui gagnait juste à être connue. Un personnage franc, généreux, à la fragilité bien camouflée.

C’est que dans les années 60, des madames bien comme il faut, mais borderline, il y en avait un paquet. De parfaites soubrettes d’intérieur aux jupons repassés qui s’empressaient de siffler de la gnôle et de gober deux ou trois anxiolytiques en préparant le flan aux ananas. Le décor de « Ma sorcière bien-aimée », mais pour de vrai. Des tranches de « Mad Men », mais dans la réalité. Le statut des épouses riches était trash. Pas aussi trash que celui des pauvres des quartiers moins huppés, OK, mais à chacun son échelle de bad. Il n’y a rien à discuter, sinon des apparences et des convenances.

Dans la super haute bourgeoisie américaine des années 60, Betty Ford, épouse de Gerald et future première dame des États-Unis, fait figure de référence classieuse. Tailleur impeccable aux couleurs improbables (l’époque, son orange, son turquoise, son rose indien), jupe couture longueur genoux. Chevilles croisées, dos droit. Sourire affable, coiffure crêpée-peignée-laquée. Et pourtant, derrière cette image rigide et proprette vit une femme fantastique, souple, ouverte, drôle, intelligente et qui bouge avec son temps.

Mannequin dès l’âge de 11 ans, prof de danse, elle essuie un premier mariage raté avec un vendeur de meubles… Puis vient une rencontre. La rencontre. Il s’appelle Gerald (elle passe au-dessus de ça), il est revenu de la Seconde Guerre mondiale vaillant, il est avocat et brigue un premier mandat de député. Ça grince au début, parce qu’une ancienne danseuse divorcée, pour les coincés du parti (républicain, pas farce), c’est pas top top pour atteindre les sommets. Ils fermeront le clapet à tout le monde en restant mariés durant 58 ans, en ayant quatre enfants (dont elle dira à la télé qu’elle est à peu près certaine qu’ils ont tous fumé de la weed), et en assumant de dormir dans le même lit (alors que dans la « upper class », les chambres séparées sont de rigueur).

Betty Ford

Photo de © Shepard Sherbell/CORBIS SABA/Corbis via Getty Images

Gerald devient président en 1974 (sans mener campagne, il est le vice-président de Nixon qui est contraint à la démission suite au scandale du Watergate, une grosse affaire d’espionnage politique). Elle devient la mère de la nation. Le « New York Time », qui la surnomme « Fighting First Lady », dira d’elle qu’elle était « un produit et un symbole politiques et culturels de son temps, une femme au foyer qui débat passionnément pour les droits des femmes, une mère de quatre enfants qui ne reste pas muette au sujet des drogues, de l’avortement et du sexe avant le mariage et qui ne regrette rien ». Les plus coincés, quant à eux, la baptisent « No Lady » et veulent la faire sauter (pas que sur leurs genoux). Ils les haïssent, elle et ses engagements. Et quand elle annonce qu’elle a subi une mastectomie quelques semaines après l’entrée du couple à la Maison-Blanche, certains crient à l’impudeur. Pourtant, sa révélation permettra à d’autres de ne pas vivre dans la honte de la maladie et d’accepter les traitements, jusque-là encore tabous. « J’ai entendu des femmes dire qu’elles préféreraient perdre leur bras droit plutôt que leur sein et je ne peux pas l’imaginer. C’est tellement stupide. (Sans un sein, NDLR), je peux même porter mes vêtements du soir. »

En 1977, le mandat de Gerald se termine, il ne gagne pas les élections. L’année suivante, elle révèle au monde ses addictions : une grosse dépendance aux médicaments, d’abord. Une affliction qui avait commencé en 1964 par une surconsommation d’analgésiques contre des douleurs persistantes à la nuque. Puis l’alcool…« J’aimais l’alcool. Cela me réchauffait. J’aimais également les pilules. Elles évacuaient la tension et le mal loin de moi. (…) Mais certaines douleurs que je tentais d’éradiquer étaient en réalité émotives », écrivait-elle dans sa bio, « Betty : A Glad Awakening ».

La famille, soudée, unie, la convainc de se faire soigner. Pendant quatre ans, de 1978 à 1982, elle fréquentera le centre médical de la Marine américaine, à Long Beach. Le traitement, douloureux, éprouvant, fonctionne. Mais Betty pense aux autres femmes et aux difficultés que représente la démarche de se rendre dans un centre militaire, à l’environnement masculin, pour se faire aider.

Elle décide de créer une clinique et garde en tête que les besoins spécifiques des femmes doivent être pris en compte. Le Betty Ford Center et ses antennes voient le jour.

Depuis 1982, on y suit différents programmes allant de la désintoxication (30 jours) à la cure intensive (huit semaines) et même des programmes familiaux ou destinés aux enfants consommateurs (Drew Barrymore, cocaïnomane dès l’âge de 9 ans, y a trouvé des solutions pour se relever). Les addictions prises en charge ? Outre l’alcool et les différentes drogues du marché, on compte aussi des dépendances qui sentent le « made in L.A » (mais qui pourtant se répandent et sont de vraies souffrances). Dépendance à l’exercice physique, au shopping, au travail. Troubles dysmorphiques et addiction à la chirurgie esthétique ou au bronzage. Troubles alimentaires, cyberaddictions… Alors oui, les people s’y bousculent, mais la plupart des patients sont des anonymes en quête de répit. Et tous louent la mémoire de Betty, morte en 2011, à l’âge de 93 ans, sur les lieux mêmes où elle avait aidé tant de gens.

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