Ils sont gynécologues, fonctionnaires, réalisateurs ou travailleurs sociaux. Certains accompagnent et soutiennent quand d’autres militent ou font leur propre examen de conscience. Ensemble, ces hommes participent au combat pour l’égalité. Voici les portraits de ceux qu’on nomme les alliés.

PATRIC JEAN – réalisateur belgo-français – 51 ans

allié du féminisme

Patric Jean – réalisateur, auteur et militant pour l’égalité homme-femme

Carte d’identité

Filmographie  

  • « La domination masculine », documentaire, 2009
  • « Conversation avec Françoise Héritier », entrevue en plusieurs chapitres avec la célèbre anthropologue et féministe française, 2017
  • « Une affaire privée », film docu sur la violence conjugale, 2016

Bibliographie

  • « Pas client, plaidoyer masculin pour abolir la prostitution », éditions Zéromacho, 2013
  • « Les hommes veulent-ils l’égalité ? », éditions Belin (avec le Laboratoire de l’égalité), 2015

Militantisme

  • ancien porte-parole de l’association Zéromacho, conférencier dans les entreprises au sujet de l’égalité homme-femme.
  • Se dit pro-féministe et non pas féministe ou allié

Sources: blackmoon-productions.com

Portrait

« Dans mes films, je me suis toujours intéressé aux rapports de domination entre les groupes sociaux tout en sachant que je fais moi-même partie des dominants. J’ai commencé par les questions de domination économique pour ensuite parler de la criminalisation de la pauvreté des personnes issues de migration et des problématiques liées aux frontières. De fil en aiguille, j’en suis venu à la question des inégalités entre hommes et femmes. J’ai donc réalisé “La domination masculine” en 2009, un premier film documentaire dans lequel je montrais le continuum de la domination. Je dévoilais comment tout fait système, comment les livres pour enfants, les types qui se font allonger le pénis, la violence conjugale et économique, les inégalités salariales, etc. sont en fait une seule et même chose : la domination des hommes sur les femmes. À l’époque, je me suis fait allumer par la presse française qui ne comprenait pas le rapport entre les livres de princesse ou de cow-boy et les femmes battues. Pourtant, c’est simple : depuis l’enfance, nous sommes biberonnés par un modèle qui légitime les violences – sous toutes ses formes – envers les femmes. La question qu’il faut alors se poser c’est : “Est-ce que j’ai envie de défendre un monde d’inégalités et d’oppressions ou est-ce que je veux m’inscrire dans un monde plus juste et égalitaire entre les humains ?” C’est un choix de vie. Sur demande, j’ai donc été porte-parole de Zéromacho, une association regroupant des hommes qui voulaient instaurer une loi punissant les clients de la prostitution. Dès qu’elle fut promulguée, je suis parti. Aujourd’hui, je donne des conférences sur l’égalité homme-femme au sein de grandes entreprises. Étant membre du groupe dominant, j’essaie de réfléchir et de partager mes réflexions sur la manière dont on peut agir en tant que privilégié. Ce que je dis et applique à moi-même, c’est que les hommes ne sont pas et ne seront jamais les vecteurs du changement pour plus d’égalité entre les sexes. Les hommes qui se disent féministes sont vraiment présomptueux. C’est une usurpation de plus. C’est parler au nom des femmes ou au même titre que les femmes sous couvert d’un universalisme très théorique. Dans les faits, ce n’est pas vrai, nous n’avons pas les mêmes statuts. Nous ne luttons pas avec les mêmes armes pour la même chose. Les féministes se battent collectivement pour leur émancipation et leurs droits. Les hommes doivent réfléchir et repenser leurs pratiques individuellement. Leur enjeu n’est pas de gagner quelque chose, mais de décider de le perdre pour laisser la place aux femmes. Ils doivent travailler sur leur manière de voir et de concevoir le monde et leurs privilèges. Dans ce combat, les hommes doivent agir sur eux-mêmes. Moi, je ne cesse jamais d’apprendre et de remettre en question mes acquis. Je le fais à titre individuel, et j’essaie également de faire passer le message dans mes œuvres. »

QUENTIN D’ASPREMONT – travailleur social – 34 ans

allié du féminisme

Quentin D’aspremont – employé dans une association qui lutte contre les violences obstétricales

Carte d’identité

Portrait

«Adolescent, je remarquais déjà qu’il y avait des différences de traitement entre les filles et les garçons. À cette époque, c’était juste des observations, et je n’étais pas capable de mettre des mots dessus ni même de comprendre exactement ce qui se passait. Mais tout s’est éclairci durant mes études d’assistant social. C’est à ce moment-là que j’ai pu me pencher plus précisément sur ces questions et notamment en ce qui concerne la violence entre partenaires et les discriminations professionnelles. C’est grâce à cette formation que j’ai eu envie de m’investir pour l’égalité. J’ai d’ailleurs eu une première expérience en faisant mon stage à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. J’avais en ma possession des centaines de documents, des données et des statistiques qui concernaient aussi bien la Belgique que l’Europe. Ça m’a appris à avoir un regard beaucoup plus macro sur ce système de domination. Après cette expérience, je voulais bosser dans des associations féministes. Malheureusement, le manque structurel de financement ne leurs permet pas d’engager si facilement. J’ai donc décidé de poursuivre mes idéaux grâce au militantisme. En 2012, je me suis engagé en tant que bénévole dans HollaBack Bruxelles, une association qui luttait contre le harcèlement de rue. On récoltait énormément de témoignages de femmes ayant été victimes ou témoins d’agressions dans l’espace public. Avec ce projet, on a notamment pu parler dans les universités et sensibiliser pas mal de jeunes. Mais à cause de problèmes de santé sérieux, j’ai dû mettre de côté mes activités pendant deux à trois ans. J’ai ensuite repris le bénévolat en devenant membre de l’association Prémisse, une ASBL qui vient en aide aux victimes d’erreurs médicales. J’ai rapidement décidé de m’attaquer au dossier des violences gynécologiques. L’association avait déjà pas mal de données, mais n’en faisait rien. J’ai décidé de tout rassembler en une action sociale. Aujourd’hui employé, j’ai par exemple aidé à la création d’une brochure pour informer les patientes des situations existantes et de leurs droits. Souvent, les femmes ne sont pas vraiment conscientes que la plupart des violences qu’elles ont subies dans le cabinet d’un gynécologue sont sexistes. J’ai entendu des dizaines d’histoires de palpations mammaires ou de touchers vaginaux sans consentement, des entretiens trop intrusifs dans la vie sexuelle de la patiente, des remarques désobligeantes, des tentatives de dissuasion dans les cas d’avortement ou encore de culpabilisation. Ce n’est pas normal. Légalement, il existe d’ailleurs la loi du patient depuis 2002. Le problème, c’est que poursuivre ces agressions au niveau juridique est complexe, long, douloureux et coûteux. On essaie donc d’être à l’écoute, de faire circuler les informations sur ce que sont les bonnes pratiques obstétricales. Ôter un tabou, c’est libérer la parole. Ce n’est pas parce que la gynécologie concerne l’intimité des femmes que les mecs doivent détourner le regard. Pour aller plus loin, on va d’ailleurs créer des capsules vidéo pour mettre en avant le discours de femmes et de professionnels sur les bonnes pratiques. On pourra entendre des gynécologues, des psychologues, des sages-femmes, des médiateurs, des victimes. On participe également à Intimi-D, un site web créé par trois étudiantes qui vise à renouer le dialogue entre gynéco et patiente. Personnellement, je ne saurais sans doute jamais ce que vivent les femmes, mais je veux qu’elles puissent se dirent qu’il y a des hommes qui les écoutent et les soutiennent. Moi, je suis là.»

AURÉLIEN DETHIER – cadre dans une administration – 37 ans

allié du féminisme

Aurélien Dethier – coordinateur de la cellule d’appui en genre à la Direction de l’Égalité des chances – Fédération Wallonie-Bruxelles

Carte d’identité de l’allié

Portrait

« Le combat pour l’égalité homme-femme ? On peut dire que je m’y suis intéressé sur le tard. J’ai commencé à ouvrir les yeux en 2014, quand je suis devenu bénévole pour la Caravane pour la paix et de la solidarité, une association namuroise qui aide les femmes migrantes à s’intégrer dans la société. C’est vraiment là que j’ai constaté pour la première fois les inégalités et les difficultés que les femmes peuvent endurer. Puis, il y a deux ans et demi, je suis entré dans la cellule genre de la Fédération Wallonie-Bruxelles et j’ai suivi un master de spécialisation en études de genre. C’était assez théorique, mais ça m’a aussi permis d’avoir des lectures, des bases et des référents. Depuis, je suis impliqué dans ce combat via mon boulot et à titre personnel. Au quotidien, mon travail consiste à faire appliquer le décret du 7 janvier 2016 appelé “Gender Mainstreaming”, c’est-à-dire l’intégration de la dimension de genre dans l’intégralité des politiques de la Communauté française. Nous avons deux outils principaux : le test genre et le “gender budgeting”. Le premier, c’est une analyse d’impact des nouvelles politiques publiques sur l’égalité entre les hommes et les femmes. Sur demande, nous venons en soutien et grâce à notre expertise, on rapporte ce qui peut ou doit être corrigé pour plus d’égalité. Le second relève d’un engagement international qui consiste à comprendre comment sont dépensés les crédits au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Par exemple, les dépenses qui sont réalisées pour les sports de haut niveau, c’est 70 % pour des hommes et 30 % pour des femmes. Or, il y a sans doute autant de sportives professionnelles. Et si infor- mer c’est bien, former, c’est encore mieux. On organise donc des cycles de formation que l’on dispense à travers toute l’administration afin de sensibiliser à ces questions de genre. Dans notre boulot, on a donc la chance de s’appuyer sur la loi. Même si les personnes que l’on rencontre peuvent se dire “Cause toujours, ça ne m’intéresse pas”, elles sont obligées d’appliquer ces décrets. On remet souvent les règles d’égalité ou de discrimination positive en question. Mais dans les faits, il faut toujours se battre. Par exemple, la plupart des femmes politiques que j’ai pu rencontrer sont contre les quotas car ils donnent lieu au syndrome de l’imposteur. Elles ont l’impression qu’elles ne sont pas à leur poste grâce à leurs compétences, mais parce qu’elles sont femmes. Moi, je me dis que ça ne fait qu’égaliser les chances qui ne le sont pas au départ. Et malgré ces règles de parité, on arrive toujours à avoir un différentiel. J’espère donc qu’un jour mon job ne servira plus à rien. C’est parfois difficile pour moi de parler de cette égalité d’ailleurs parce qu’en matière de dominants-dominés, je suis au top de l’échelle des privilèges : un homme blanc, hétéro, marié, cadre, entre 35 et 45 ans. Dans le système patriarcal, je suis au sommet ! Et si je suis conscient de mes privilèges, je ne sais pas toujours comment me battre contre. Ils ont toujours fait partie de ma vie. Mais en prendre conscience, entendre les discours des femmes, comprendre ce qui ne va pas dans cette société, faire preuve d’autocritique… C’est déjà un pas énorme au quotidien. Si je suis un allié des femmes, ce n’est pas à moi de le dire, je leur laisse cette tâche, mais j’espère en être un, aussi bien dans mon job que dans ma vie privée. »

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