Épique. Ainsi s’est déroulé le dernier show de Jean-Paul Gaultier à Paris. Un défilé-spectacle qui a rassemblé toute « la famille » sur scène et dans la grande salle du théâtre du Châtelet, entre célébration jubilatoire, et adieu qui n’en est sans doute pas un.
Trublion au début des années 80 et enfant chéri de la mode depuis que les « créateurs » ont succédé aux « couturiers », Jean-Paul Gaultier avait présenté son ultime défilé prêt-à-porter au Grand Rex en 2014 ; il a choisi le théâtre du Châtelet le 22 janvier pour dévoiler sa dernière collection Haute Couture (printemps/été 2020), point d’orgue de 50 années de carrière. Parterres de stars et fans au balcon, pour un show agencé en séquences, hommages à ses looks iconiques. Une scénographie emblématique de la période aujourd’hui disparue de la mode spectacle.
Jean-Paul Gaultier a été l’un des tout premiers, avec Yves Saint Laurent et Paco Rabanne, à promouvoir la diversité de toutes les beautés ethniques et sociologiques sur ses podiums, faisant notamment défiler des personnalités fortes aux physiques « hors normes », si on s’en réfère aux line-ups traditionnels : Beth Ditto, Conchita Wurst, Rossy de Palma, entre tant d’autres.
Symboliquement, ce qui était en réalité une rétrospective a commencé par de fausses funérailles, très vites suivies d’une renaissance, en parallèle avec l’ambiance : un début formel, puis la danse. Le message est clair, la mode ne se laisse pas faire.
Ecrans géants et ambiance de concert, les trois mille spectateurs ont assisté à ce qui restera sans doute l’un des shows les plus denses de l’histoire, tant sur scène que dans la salle. La soirée était survoltée, dans un heureux désordre dû à la foule, à peine plus calme au premier rang. Anna Wintour riait. Pour ce moment d’anthologie, toutes les muses ou presque étaient présentes, on célébrait la famille mode élargie. Mylène Farmer, Amanda Lear, Catherine Ringer, Boy Georges pour les chanteurs habillés par l’artiste-créateur, Béatrice Dalle, Rossy de Palma, Dita Von Teese pour le cabaret et le cinéma, et bien sûr, les tops de toutes générations, des sœurs Hadid à Eva Herzigova, Carla Bruni, Estelle Lefébure, Coco Rocha, Anna Cleveland : ils sont venus, ils étaient tous là.
Paradoxalement, ses muses les plus importantes portaient les tenues les plus simples. Elles étaient venues dire « merci et à bientôt », au cours d’un show qui a pratiquement duré une heure (contre une dizaine de minutes pour les défilés habituels). C’était une revue, un dernier rappel des grandes années 80 – 90, avec remakes des différents volets de la carrière de Gaultier, qui a changé la donne dans la perception des genres, et du métier tout entier. Chaque nouvelle silhouette était ponctuée d’applaudissements ; une personnalité apparaissait sur scène, c’était l’ovation.
Jean-Paul Gaultier, 67 ans, était à la fête ; mais si malgré le téléobjectif on ne lui a pas vu de larmes aux yeux, il n’est pas certain qu’il n’en a pas versé quelques-unes. Car au moment du final, qui a laissé libre cours à une douce folie sur scène, le créateur a été porté en héros, entouré « des siens ». Cet hommage ne ressemblait pas une fin, mais au début d’autre chose.
Donald Potard, ancien PDG du Groupe Jean-Paul Gaultier pendant 25 ans, analyse le contexte global de cette révérence sous forme de feu d’artifices : « le groupe Puig est devenu actionnaire majoritaire de la Maison en 2011. Trois ans après, le prêt-à-porter s’arrêtait. Quand une maison de parfums rachète une maison de couture, elle en fait une maison de parfums… Car mode et cosmétiques, ça n’est pas le même métier. Jean-Paul Gaultier a mis avec succès un pied dans le show-business en 2018 avec son « Fashion Freak Show » monté aux Folies Bergères, et s’il évoque aujourd’hui de futurs projets personnels, on peut imaginer le retrouver, comme Christian Lacroix et Thierry Mugler, dans des réalisations de scène. »
Pour ce spécialiste du luxe, « des questions demeurent : qu’adviendra-t-il des couturières et du personnel ? Et des 5000 m2 de bâtiments avec salle de défilé en plein cœur de Paris ? C’est cela aussi qu’il faudra observer, en tant que signal fort pour mieux comprendre ce qui attend la couture à Paris, et la mode en général ».
En attendant, avec panache et sans doute au bon moment, Jean-Paul Gaultier a tiré… sa référence.
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