Comme on renoue avec les légumes anciens – autrefois congédiés et aujourd’hui stars de nos dîners – les apéritifs d’antan font également leur retour sur le devant de la scène cocktail. Picon, Suze, Vermouth…. Tous ceux qui prenaient la poussière dans l’armoire de nos grand-mères se font aujourd’hui shaker de la tête aux pieds par des barmans expérimentés. Zoom sur cette tendance old but gold !
Back to the future
En matière d’alcool, la tendance est au coming out. Depuis quelques années, les apéritifs vintage sortent du placard de nos aïeux pour retrouver une place de choix dans les bars branchés. Chez Botanical by Alfonse – élu meilleur bar à cocktails de Wallonie par le Gault & Millau – Noilly Prat, Picon, Suze et Cognac envahissent les étagères. “Je propose quasiment les mêmes alcools que ceux qu’on trouvait chez ma tante” dit en riant Valentin Norberg, le propriétaire des lieux.
Et pour le bartender en vogue, pas de doute, c’est justement ce côté vieillot qui attire la clientèle : “C’est une tendance globale qui dépasse le milieu de l’alcool. Aujourd’hui, on achète des meubles rétro, on s’habille dans les friperies, on écoute des vinyles, on regarde des séries qui glorifient les années 80… On baigne dans un univers nostalgique.”
Autrefois appelé bobo-hipster, ce mode de vie s’est désormais généralisé à toute une génération plus conscientisée et financièrement capable de se détourner des modèles de consommation traditionnels au profit d’un épicurisme responsable.
Après avoir été gavés d’arômes ultras chimiques et de produits industriels dans les années 2000, les jeunes renouent donc avec des valeurs qui leurs semblent plus sûres. Exit les crèmes de fraises artificielles et les cocktails fluos. “La population des 25-35 ans est quête d’authenticité. Il y a un retour aux fondamentaux qui passe donc forcément par leurs premiers souvenirs liés à l’alcool et c’est souvent l’apéritif de mamie pendant les dîners de famille.”
Rétromarketing, une résurrection réussie
Sans plus attendre, les marques se sont donc emparées de ce terreau fertile pour rebrander leurs produits. On a vu des apéritifs renaître de leurs cendres. “C’est toujours difficile de savoir si une marque surfe sur une vague ou si elle en lance une. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on a vu des labels se remettre à communiquer alors qu’ils ne le faisaient plus, et d’autres qui ont communiqué différemment pour coller à la tendance.”, dit Nicolas Van Dijk, group brand manager Benelux de Pernod-Ricard. Ainsi, Suze a mis le paquet sur son côté patrimoine français, Lillet sur son côté versatile. Mais tous les apéritifs vintage, se sont empressés de coller à la tendance du low abv (alcohol by volume) qui secoue le marché des spiritueux actuellement.
Fini le temps du “peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse”. Que ce soit du côté des mixologues ou des marques, tous observent un changement quant à la manière de consommer de l’alcool. “Notre génération utilisait l’alcool pour se bourrer la gueule. Ce n’était qu’un moyen d’atteindre un état d’ébriété”, explique Valentin Norberg.
Mais il assure que c’est en train de changer : “À l’époque l’apéritif était l’introduction au dîner. C’était l’alcool de bienséance et de privilège. Aujourd’hui, avec le come-back des alcools vintage, on retrouve cette envie de prendre le temps, de se poser entre amis, de profiter d’un verre ou deux. C’est ce qu’on appelle le slow drinking et ça s’accompagne donc forcément du low abv puisque les alcools apéritifs étant moins chargés, ils permettent de prolonger les moments festifs.”
Une théorie confirmée par Nicolas Van Dijk : “La clientèle veut pouvoir profiter d’une soirée en bonne compagnie tout en buvant plusieurs verres sans risquer une migraine le lendemain en allant travailler. Elle va donc se tourner vers des produits moins alcoolisés et les cocktails à base d’apéritifs vintage sont parfaits pour ça !”
Le secret de nos grands-mères
En plus d’être souvent peu chargés en alcool, les apéritifs vintage sont également de véritables joker dans la manche du mixologue. Pour le tenancier de Botanical by Alfonse : “Ce sont des alcools qui ont une signature très forte. Ils sont souvent plus amers et herbacés et se suffisent donc presque à eux-mêmes.” Sophie Barrière et Leslie Moreau, copropriétaires du Green Lab et créatrices de la Brussels Cocktails week expliquent donc que les bartenders vont les utiliser pour revisiter des recettes classiques et donner une nouvelle identité à leurs cocktails : “La tendance est au minimalisme. Avec trois ingrédients, on fait un cocktail vintage qui envoie. Pas besoin d’infusions compliquées ni de macérations, le secret réside dans le produit en lui-même.” Enfin une tendance de mixologue facile à reproduire chez soi !
Finie la tyrannie du gin ?
Alors, les apéritifs de mamie écraseront-ils le sacro-saint gin ? L’avis est mitigé. Pour le marketeur de Pernod-Ricard, les apéritifs vintage – de part leur diversité – sont les plus à même de prendre le relais. Mais sur le terrain, c’est autre chose : “On voit que la tendance s’essouffle, mais 80% de notre chiffre d’affaires provient encore du gin” explique Sophie Barrière.
Mais qu’importe le gin, pour Sophie et son associée, la vraie tyrannie, c’est celle du sucre. “À part les amateurs, la plupart des gens veulent des choses rondes et sucrées. C’est l’alcool plaisir et gourmand. Et même si on vient du monde de la brasserie, à part la tendance IPA, on voit que les bières plus appréciées sont les plus sucrées.”
Hors, comme le rappelle Valentin Norberg, les apéritifs vintage ont des arômes sans concession : “Quand on regarde le vermouth, le fernet, l’amaro… Ce sont des alcools qui ont une identité forte et reconnaissable immédiatement ce qui peut jouer en leur faveur une fois qu’un client est convaincu, mais qui fait aussi énormément peur à ceux qui redoutent l’amertume. ”
Tous s’accordent à dire que c’est finalement cette touche qui empêche les apéritifs vintage d’accéder au trône de la scène cocktail, les Belges ne voyant encore aucun plaisir dans la palette de l’aigreur.
UNE ADRESSE À RETENIR
Le Syndicat, ce célèbre bar parisien se présente comme l’organisation de défense des spiritueux français. “Les vieux alcools, c’est leur cheval de batail.”, explique Sophie Barrière, cofondatrice de la Brussels Cocktail Week, avant d’ajouter: “Il y a un côté très conservateur mais en même temps très intéressant dans leur démarche de valorisation des anciens produits d’un terroir.” Bref, c’est là qu’il faut aller pour un voyage alcoolisé dans le passé !
51 Rue du Faubourg Saint-Denis, 75010 Paris.
- Green Lab – avenue Louise 520, 1000 Bruxelles.
- Brussels Cocktail Week 2020 : du 6 au 12 septembre partout à Bruxelles.
- Botanical by Alfonse, Rue des Brasseurs 46, 5000 Namur.
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