Elles incarnent une nouvelle vague d’influenceuses (im)pertinentes et libres. Roulent leur boss(e) à l’instinct, avec la passion comme moteur de recherche. Portraits de trois femmes on fire, affranchies des diktats et du qu’en-dira-t-on.
Valentine Jongen, 26 ans, Youtubeuse / vidéaste / comédienne
Populariser la musique classique auprès des jeunes de son âge (mais pas que), rendre attractive et accessible une culture trop souvent qualifiée de «poussiéreuse» et d’élitiste: c’est le leitmotiv de Val so Classic, la chaîne YouTube de Valentine, qui a remporté il y a quelques mois le «prix de la vulgarisation» au Frames Festival d’Avignon, le Festival de Cannes des youtubeurs…«Et suite à ça, j’ai été contactée par une boîte de prod’ qui m’a proposé de financer mes capsules vidéo… Je deviens une vraie businesswoman ! »
Flash-back : si Valentine kiffe autant le classique, c’est qu’elle est tombée dedans quand elle était (très) petite. «À deux ans, mon papa m’emmenait déjà à l’opéra ! » S’ensuit un peu de piano, du chant, des plans au cinéma et au théâtre, puis un master en musicologie, de l’acting à Paris… » Et soudain cette idée, après un Erasmus au Canada à musarder sur internet, de créer Val so Classic… Parce que rien de tel n’existait. Tout simplement. « C’est ça, pour moi, le fait d’être une entrepreneuse : constater qu’il y a un manque, et tenter de le combler par ses propres moyens. » Lesquels, au début, sont minimes… «Il m’a fallu deux ans pour m’autoformer ! » Valentine enchaîne les jobs d’étudiante pour se payer une caméra, un appareil photo, un micro, et en janvier 2016, elle se jette enfin à l’eau : une première vidéo, « Cinq clichés sur l’opéra », est mise en ligne.
Aujourd’hui, il y en a plus d’une cinquantaine, et Val est devenue, dans le milieu, une véritable influenceuse… Il faut dire que ce genre d’initiative, « un peu cool, fun, jeune, moderne », n’est pas monnaie courante dans un secteur où la plupart des acteurs (maisons d’opéra, labels, artistes…) n’ont pas encore daigné se mettre vraiment au digital. « Et la plupart ne se rendent même pas compte que c’est un métier», constate Valentine, « même si à la base, je ne l’ai pas fait pour gagner de l’argent. » Un métier entre le journalisme (style JRI), l’animation, le conseil, l’expertise et la comm’, bref une petite entre- prise qui occupe plus de la moitié de son temps, avec la comédie en complément.
« Finalement, ma chaîne Youtube, c’est la combinaison de mon amour de la musique classique et de ma carrière d’actrice… » Et c’est aussi la preuve que pour réussir dans le monde impitoyable du web, il faut savoir tout faire, « être polyvalente », et trouver la niche, la chapelle, encore inoccupée. « Ce qui attire les gens, c’est le concept, l’idée, la singularité. Je sais bien que je n’aurais jamais trois millions d’abonnés, mais si c’est bien fait, et fait avec passion, alors les gens regarderont. »
Vous pensez toujours que l’opéra est un « truc de vieux riches» ou qu’écouter Mozart équivaut à une purge ? C’est le moment de faire votre « coming out classique » avec Valentine ! Parce que parfois, un clic suffit… Pour changer d’avis.
Eefje Depoortere, 32 ans, présentatrice / journaliste esports / gameuse
Dans le game, personne ne l’appelle Eefje : « Trop difficile à prononcer… » Mais Sjokz, référence à son gun fétiche (le « shock riffle ») qu’elle maniait comme personne il y a 20 ans, quand elle jouait dans son salon à « Unreal Tournament ». Un classique dans le genre FPS (« First Personal Shooter »), bref un jeu vidéo où tu tires dans le tas, en vision subjective… « C’est le premier jeu vidéo auquel j’ai joué online. » Puis c’est la découverte des « LAN Parties », ces drôles de rassemblements où des centaines d’acharnés du clavier se mesurent les uns aux autres à des jeux multi-joueurs, en réseau local, le nez sur l’écran pendant des heures… « C’est bizarre, hein ? » Ouais, un peu, mais comme Eefje, ils sont des centaines de millions à pratiquer ce sport chaque jour dans le monde… Sauf qu’Eefje, elle, n’est pas n’importe qui dans le métier : c’est une star au demi-million de followers sur Insta. L’Oprah Winfrey du joystick (enfin, de la souris). L’Anne Ruwet version FIFA 20.
Son job full time, c’est de présenter des championnats de jeux vidéo. À Séoul, Las Vegas, Bercy. Des tournois où s’affrontent les meilleurs « pro gamers » du monde, pour des sommes parfois insensées, devant des millions de spectateurs online. C’est vrai que « c’est difficile à comprendre », mais comme Eefje n’aura de cesse de le préciser : « C’est un peu comme regarder du foot… C’est juste une nouvelle forme d’entertainment. » Mais avec du Red Bull à la place de la bière.
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same arms right @tyler1_alpha? 😆 Awesome first day at #AllStar2019 📸 @colinyoungwolff
Élue « meilleure hôte esports » par ses pairs lors de la cérémonie des Game Awards 2018 (en gros, les Oscars du gaming), Eefje vit donc un vrai rêve éveillé… « Quand j’étais ado, je voulais devenir journaliste sportive», confie-t-elle… Avant de tomber pour de bon dans ce monde parallèle et de se faire embaucher par Riot Games, l’éditeur du fameux jeu « League of Legends », dont elle devient une sorte d’égérie. « Disons que c’est le jeu que je connais le mieux… Mais je ne commente pas les parties en direct (ça, c’est le job des “casters”), et je ne suis pas non plus “streameuse” (ces gamers qui se filment “online” en train de jouer) : je présente les championnats, j’interviewe les vainqueurs, je modère en plateau les débats entre experts… C’est comme de la TV live, mais sur internet. » Et le fait d’être une meuf dans un milieu encore très masculin n’entame pas son assurance: « Au début, y avait que moi ou presque, mais aujourd’hui, nous sommes de plus en plus nombreuses. »
À la fois influenceuse planétaire et porte-parole de tout un secteur encore en proie aux pires clichés (gamers = geeks nyctalopes et sociopathes), Eefje aimerait profiter de sa notoriété pour « éduquer les gens à l’esport ». C’est ce qu’on appelle une ambassadrice de… Sjokz.
Fanny Ruwet, 25 ans, humoriste / chroniqueuse / podcasteuse
« En général, quand on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds “saltimbanque” ! Mais concrètement, ce qui paie mon loyer, c’est le stand-up, les chroniques radio (sur France Inter et Pure FM), les vidéos (pour Proximus) et les commandes (des spectacles en entreprises aux podcasts financés par la RTBF). » Pas mal pour un petit bout de femme de 25 ans, déjà passée par la case Montreux (« Le Tomorrowland de la vanne ! ») alors qu’elle foule les planches depuis à peine un an…
« Tout s’est enchaîné très très vite », confirme-t-elle sans sourciller. « C’est un mélange de travail et de chance. » Et d’insister sur le fait qu’en Belgique, « on manque de rigueur dans le stand-up », mais que de toute façon, elle arrêtera « probablement dans un an », même si elle veut continuer « dans l’écriture », parce que ça « structure » l’esprit… Et c’est clair qu’elle en a, tout comme ses consœurs Émilie Croon, Florence Mendez ou Farah, sauf que son truc à elle, c’est le malaise. « J’aime bien faire rire avec des choses qui ne sont pas drôles », commente-t-elle. « Dire des choses qui intellectuellement sont justes, mais moralement affreuses… C’est pour ça que dans mon spectacle « Bon anniversaire Jean », les gens rigolent, mais pas trop (fort). J’aime bien quand il y a du fond, sinon ce serait trop facile. En fait, ce qui est super avec l’humour, c’est que ça te permet d’accepter tout. »
Et ça cartonne : l’une de ses (rares) vidéos postées sur Facebook a dépassé les… cinq millions de vues en l’espace de six mois : dans le genre carte de visite, difficile de faire mieux. « Ça a eu un impact énorme en matière de visibilité et de programmation », confirme la jeune humoriste. « Il y a plein de salles qui m’ont contactée alors qu’elles n’avaient vu que ces deux minutes trente… Et ça m’a ramené plein de followers qui ont commencé à mater mes chroniques et à écouter mes podcasts. » C’est ce qu’on appelle une synergie de malade, « et ça, c’est cool ». Sans blague.
Pourtant, rien ne la prédestinait à devenir la nouvelle coqueluche des « comedy clubs » et des festivals du rire. « Jamais personne n’aurait cru un jour que j’allais faire du stand-up ! », se marre-t- elle. « Parce que ça n’a aucun sens. En général, quand je me trouve dans une pièce avec des gens, je reste dans un coin et je ne parle pas trop. » Pour elle, l’humour équivaut à « des maths, à de la mécanique », et c’est en côtoyant Dan Gagnon (à la RTBF) et d’autres rois de la punchline qu’elle s’est dit pourquoi pas elle, et voilà le travail (beaucoup de travail).
Après avoir assuré les premières parties de Guillermo Guiz, de Pablo Andres, d’Alex Vizorek ou de Kyan Khojandi (le mec de « Bref »), Fanny enchaîne les dates sold out et s’attaque à Paris… « Je vais jouer chaque lundi au Barbès Comedy Club, sans doute jusqu’au mois de juillet. » On la voit mal s’arrêter en si bon chemin, même si elle aime prétendre le contraire… « C’est fou ! Ça n’a aucun sens. » Hilarant, vraiment.
« Bon anniversaire Jean », en tournée partout.
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