C’est quoi l’égalité quand on a 15 ans ? Pour les ados, le féminisme est un concept vintage. Filles et garçons ont les mêmes droits, leurs grands-mères se sont battues pour cela. Le sexisme aurait-il donc disparu ? Débat dans une classe de quatrième.
Ils ont 15 ou 16 ans et ont à peine connu le XXe siècle. Les premiers quotas en politique existaient déjà quand ils ont commencé à parler. Ils n’ont jamais vécu dans un pays qui condamnait l’avortement. Ces adolescents sont élevés par la génération X, née autour des années 60, une époque où les garçons pouvaient porter les cheveux longs et les filles des bottes de moto. Ont-ils pour cela un plus grand sens de l’égalité, voire plus de personnalité, que nous vingt ans plus tôt ?
Pour le savoir, nous avons envoyé un questionnaire à vingt-cinq élèves de quatrième année (secondaire général) du Lycée Martin V de Louvain-la-Neuve. Leurs réponses nous ont parfois fait pleurer de rire, parfois pleurer tout court. Mais, entre les seaux de clichés et les fautes d’accord du participe passé, nous avons aussi trouvé de la finesse, de l’intelligence et, parfois, une réelle conscience des stéréotypes de genre. Nous sommes ensuite entrées dans leur classe pour un mini-débat à bâtons rompus. Cinquante minutes chrono pour découvrir comment ils voient les femmes.
Les féministes, des femmes d’une autre époque…
Au moins, ils savent de quoi on parle : une féministe est, le plus souvent, « quelqu’un qui défend les droits des femmes ». Seul un garçon ajoute « quelqu’un qui défend “un peu trop“ les femmes ». Un autre précise : « Dans certains cas, il y a des femmes qui poussent pour dominer l’homme, être au-dessus de lui. » Il craint que l’on remplace une injustice par une autre. Mais qui fait ça ? « Je ne sais pas. Certaines femmes politiques, dans leur discours. »
Quel est le plus grand combat gagné par les féministes ? Les élèves répondent, sans exception, « le droit de vote » ou « l’égalité », sans préciser. Le prof d’histoire vient-il d’arriver à l’année 1948 ? Ont-ils tous copié ? Leur réponse est pertinente. On pouvait néanmoins s’attendre à plus de diversité ou à un écho aux combats d’actualité (une seule élève mentionne l’IVG !). Mais non.
Les féministes, ce sont des suffragettes du siècle dernier. D’où le silence pesant à notre question : « Le féminisme est-il encore nécessaire aujourd’hui ? » Ils ne voient pas où l’on veut en venir. Benjamin, qui prétend pouvoir parler pendant trois heures si on ne l’arrête pas (on le croit sur parole), explique : « En Belgique ou en Europe, ce n’est plus nécessaire. On ne pense pas qu’il y ait encore beaucoup de choses à faire. Bien sûr, tout n’est pas parfait, comme l’égalité des salaires, mais le féminisme, c’est surtout important dans d’autres pays. » Pas de réaction dans la salle. Question suivante.
Les salopes, des filles pas bien…
Nous avons demandé aux élèves ce qu’était, selon eux, une salope. Garçons et filles s’accordent sur la définition : « C’est une fille qui s’habille et se comporte vulgairement ou de façon indécente », « qui cherche à exciter et n’a pas de respect envers elle-même », « qui abuse de ses formes corporelles », « qui donne envie aux mecs sans aller au bout », « qui fait espérer des choses pour le plaisir », « qui incite à la prostitution » (sic), « qui couche avec tout le monde ou prend le mari des autres », « qui blesse les sentiments des autres ». L’un ou l’autre garçon essaie de tempérer : « J’utilise ce mot de manière amicale plus que pour insulter quelqu’un », « Le mot a perdu de sa méchanceté », « On va dire “salope“ à une fille qui nous vole un crayon ». Aaah ?
L’équivalent masculin est clairement « salaud » et est, dans les grandes lignes, « un connard qui couche avec des filles sans avoir de sentiments et qui les fait pleurer ». Une élève relève : « Si une femme fait ça, on dira que c’est une salope alors qu’un homme, on dira que c’est un don juan. »
Les règles morales semblent claires : le sexe sans sentiment et les décolletés trop plongeants relèvent de l’axe du mal (pour les pantalons moulants et les minishorts, c’est différent : « C’est simplement la mode »). En classe, plusieurs élèves insistent sur le fait qu’un comportement sera jugé indécent ou non selon différents paramètres : l’âge, le contexte (privé ou public), la manière (« Si on roule son cul ou non »), le fait que l’on soit ou non en couple (« Une fille qui montre beaucoup de peau, c’est un appel de phares. ça veut dire qu’elle est célibataire, mais pas forcément “open“»).
Les douces, des vraies femmes…
La manière dont sont perçues les différences entre filles et garçons n’a pas beaucoup changé depuis « Martine petite maman ». Un élève, observateur, écrit : « Les garçons ont un pénis et pas les filles. » Un autre : « Ce qui nous différencie, c’est la taille des cheveux. » Longs pour les filles, courts et gominés pour les garçons. La loi ne souffre aucune exception.
Globalement, les garçons se voient « plus forts, plus grands, plus turbulents, plus brutaux » que les filles, ces êtres « doux, narcissiques, très préoccupés par leur physique et leur maquillage ». De leur côté, les filles pensent avoir « un autre caractère général ». Elles sont « plus calmes, plus matures, plus compliquées ». « Elles ont « besoin de raconter leur vie à leurs amies, alors que les garçons préfèrent garder leurs problèmes pour eux ». « Ils cherchent plus la compétition, se mesurent les uns aux autres. » « Les filles font plus attention à leur image car les garçons regardent principalement le physique, ce qui n’est pas le cas des filles. »
Les femmes au volant, attention danger…
À notre question « Qu’est-ce que les filles savent faire mais qu’elles ne devraient pas faire ? », seul Antoine répond : « Rien car tout le monde fait ce qu’il lui plaît. » Anas précise : « L’être humain sait tout faire, il suffit d’y croire et de se perfectionner. » Les autres garçons donnent à fond dans le cliché ou dans la provoc’ : « Les filles ne devraient pas faire de la musculation, car une femme trop musclée, c’est moche », « du foot, car c’est un sport masculin », « des rots, car c’est dégueulasse ». Elles ne devraient pas « donner leur corps à tous les hommes », « abuser de leur physique pour que les garçons tombent à leurs pieds », « lire dans nos pensées, comme ma maman », « jouer avec les sentiments des garçons ». Elles ne devraient pas le faire « par respect et par principe. Ce n’est pas digne d’une femme. » Trois garçons, qui ont à peine l’âge du permis
mobylette, répondent que les femmes « ne devraient pas conduire » – dont deux qui croient bon de ressusciter cette bonne vieille blague : « Femme au volant, mort au tournant ». Enfin, l’un d’eux écrit : « Les femmes ne devraient pas gouverner car elles sont trop gentilles et changent trop vite d’humeur. » Excusez-les, madame Badinter. Ils n’ont que 15 ans.
Côté filles, les réponses sont très différentes. Plusieurs s’inquiètent de devoir passer le torchon : « Les filles ne devraient pas faire les corvées. Quand les femmes travaillent autant que les hommes, les tâches ménagères devraient être réparties également. D’ailleurs, les hommes savent les faire aussi bien qu’elles, la vaisselle et les tâches ménagères ! » D’autres ont toujours cette idée étrange que les filles sont des quiches décérébrées qui ne devraient pas « être aussi sensibles », « se plaindre tout le temps », « chercher tout le temps à être accostée par les garçons au lieu d’aller vers les gens », « faire les pestes et se disputer entre elles pour un rien ».
Mais, ouf, les machos sont des gros lourds…
Question inverse : « Qu’est-ce que les garçons savent faire mais qu’ils ne devraient pas faire ? » Les filles répondent : « Les machos, car il n’y a rien de plus énervant que les hommes qui prennent les femmes pour des esclaves juste bonnes à entretenir la maison et à s’occuper des enfants. » « Faire semblant d’aimer les filles pour les utiliser, ce qui est lourd de conséquences : tristesse pour la fille et mauvaise réputation pour le garçon. » « Prendre des décisions », « être violent envers les femmes », « briser les cœurs ».
L’un des garçons de la classe s’inquiète de la violence envers les femmes : « Les femmes, il faut les sublimer et pas les taper. » Quatre garçons pensent que les hommes « ne devraient pas cuisiner ». L’un d’eux explique : « Je sais cuisiner et parfois, j’aimerais bien, mais ma mère m’a toujours dit que ce n’était pas à moi de le faire parce que je suis un garçon. C’est un peu son territoire. » Les autres répondent qu’un garçon ne devrait pas « profiter des filles faciles », « faire de la danse, sinon ce sont des “tarlouzes” », « rien, ils peuvent tout faire » (c’est le même qui trouvait que les femmes ne devaient pas gouverner), « rouler à vélo sans les mains car souvent ils tombent », « tondre la pelouse ».
Quand le professeur demande si s’occuper des enfants, c’est plus le rôle de la maman, tous répondent en chœur : « Non ! » Quand on insiste : « Et les tâches ménagères ? », on entend des « oui », des « non », des « ça dépend », des « heu », des « bof », des rires gras et des cris de souris. Le débat n’est pas fini.
Les tailles M, un must !
Oui, la taille compte ! Nous avons demandé aux élèves quel serait leur modèle de femme parfaite et quelles qualités devraient avoir leur conjoint idéal. Quatre garçons estiment qu’elle devrait « être un peu plus petite » qu’eux. Les qualités les plus recherchées par les garçons sont la beauté, l’intelligence et la gentillesse. Mais encore : « Une femme qui ne rigole pas pour rien », « qui a des principes », « qui est bien dans sa peau, heureuse », « pas une salope mais à l’aise avec le sexe, fidèle, drôle et à l’écoute de ce que je ressens », « pas plus grande que moi et qui sait cuisiner », « pas soumise », « une fille belle mais naturelle, mignonne par ce qu’elle dit et qu’on puisse avoir des avis différents sans s’en vouloir », « une femme belle et jolie avec des bonnes formes et qui est intelligente ». Deux garçons rendent hommage à leurs mères, femmes parfaites par excellence, et un autre rédige sa petite annonce matrimoniale. Il recherche une fille « un peu jolie, gentille et attentionnée, de maximum 1, 60 m, qui veut deux ou quatre enfants ou zéro et qui veut bien habiter à Villers-la-Ville ».
Les filles cherchent des garçons drôles, beaux et intelligents, quelqu’un qui « a ses propres convictions et ne se laisse pas influencer par les autres » ou bien « drôle avec des abdos et qui m’aime ». Quant à leurs modèles de femme idéale : « Pour moi, la femme parfaite serait forte, elle s’assumerait comme elle est et serait indépendante. Elle n’aurait pas besoin d’un homme pour pouvoir vivre mais serait tout de même gentille et attentionnée sans être soumise. » Ou encore : « Quelqu’un de posé et de doux mais qui sait se défendre. Une femme qui ne se laisse pas faire, qui a une famille, un boulot qu’elle aime, qui aide les autres sans s’oublier. » En somme, une femme qui peut gouverner et faire la cuisine, aimer le foot et habiter à Villers-la-Ville.
Une femme libre ?
- Nos impressions à chaud
Christian Fiasse, professeur de français : « Quoi qu’ils en disent, le sexisme à l’école est une réalité. On met très vite des étiquettes. Dès qu’une fille est habillée un peu sexy, elle sera considérée comme facile. Ils ont des mots très jugeants. »
Juliette Debruxelles, journaliste ayant animé le débat : « C’est terrible. J’ai l’impression que, fondamentalement, rien n’a vraiment changé en vingt ans. »
Céline Gautier, journaliste : « Les clichés semblent bien ancrés : soit ils les combattent, soit ils en rient,
soit ils les renforcent. Dans tous les cas, ils les font exister. »
Céline Gautier avec Juliette Debruxelles