Que se passe-t-il dans la tête du chausseur le plus connu de la planète ? Nous avons rencontré Olivier Gabet, le commissaire de l’expo « Christian Louboutin, l’Exhibition[niste] » et directeur du Musée des arts décoratifs de Paris.
C’est l’histoire d’un jeune homme qui a grandi dans le XIIe arrondissement de la capitale française. Passionné des arts appliqués, il vient s’abreuver d’images au Musée de la Porte Dorée. Les sculptures africaines et océaniennes, l’aquarium tropical sont autant de formes et de couleurs qui viennent compléter son imaginaire. Un jour, il aperçoit un panneau interdisant le port des talons hauts… cette chaussure ! C’est le début d’une fascination. « Christian a grandi à l’ombre de ce bâtiment, ce joyau de l’Art déco, qu’il a soutenu ces dernières années en finançant des restaurations importantes », explique Olivier Gabet. « Avec 30 ans de carrière derrière lui, c’était le bon moment pour une rétrospective sur son travail, d’autant plus qu’il n’avait pas envie de le faire dans un musée de mode. C’est une façon pour lui de rendre hommage à ce qui a été une source d’inspiration fondamentale. Il m’a demandé de l’accompagner sur ce projet. Ça a été un dialogue très étroit pour le mener à bien. »
À travers un parcours qui mêle des temporalités différentes, qui rappellent les périodes importantes de la carrière du créateur, le visiteur comprend les thématiques qui le passionnent. « Dans ce parcours, il y a des moments plus calmes, avec la présentation de créations sur un modèle plus classique et d’autres passages beaucoup plus théâtraux, à l’image de son travail. Il s’articule autour de grandes scansions sur ses débuts, ses sources d’inspiration, le rapport au monde du spectacle et à la nuit, évoqué dans un décor de théâtre bhoutanais. Il y a des éclairages sur le fait que le domaine du soulier fait appel à des savoir-faire. Ainsi, on plonge dans les secrets de fabrication du soulier, dans l’atelier. » On y découvre le créateur voyageur qui s’est toujours nourri de ce qu’il voyait. Une partie de l’expo est dédiée à son musée imaginaire dans lequel il a voulu rassembler des objets qui ont marqué sa carrière avec, notamment, les créations de Roger Vivier, le père des grands chausseurs contemporains, des objets issus de l’Antiquité, de l’Égypte... David Lynch est également présent à travers la collaboration qu’ils avaient faite sur la question du fétichisme, du soulier et du rapport au corps.
"Ce n’est pas une exposition qui suscite la nostalgie, mais, au contraire, qui est pleine de vie, du fait du personnage même. Il a d’ailleurs fait appel à d’autres artistes qui ont participé à l’œuvre d’égal à égal. Je pense notamment à Lisa Reihana qui vient de Nouvelle-Zélande et qui a imaginé une biographie sous forme de panorama. Toutes ces collaborations ont donné une coloration particulière à cette exposition mode hors norme. » Il a fallu deux ans pour monter cette rétrospective, le temps de décanter les choses, de revenir sur certains choix, d’en préciser d’autres, car la première esquisse n’est pas toujours la bonne. « On a les pépites, il faut faire le tri. Quand on a la chance de faire une expo sur un créateur vivant, on peut lui poser toutes les questions que l’on veut. J’ai passé beaucoup de temps avec lui. » Olivier Gabet n’en est pas à sa première rétrospective sur un créateur de mode : le 5 juillet 2017 s’ouvrait l’exposition « Christian Dior couturier du rêve » au Musée des arts décoratifs à Paris. Il était aux commandes. « Dans le cas de Louboutin, on est sur une échelle de 30 ans, ce qui est déjà beaucoup à notre époque pour un créateur vivant qui incarne sa propre maison. Votre interlocuteur est directement celui qui dessine et décide.
Il s’agit bien ici de chaussures. Ce curieux accessoire qui suscite toutes les convoitises, toutes les passions, qui reste, au fond, une seule pièce de création. » Le soulier est un immense sujet anthropologique, culturel et artistique. « On ne manque pas de matière. Il y a deux collections par an, plus les commandes particulières, les projets exceptionnels. À un moment donné, quand vous réalisez qu’il suffit de dire “une paire de Louboutin” sans devoir mentionner que c’est un soulier, c’est que ça a du sens pour une époque. Et là, c’est un vrai sujet d’exposition. » Parmi les objets étonnants de cette collection, on découvre le soulier maquereau, une des toutes premières pièces du créateur. « C’est là toute la poésie ! D’abord, il y a cette anecdote fondatrice : Christian est allergique au poisson, mais il considère qu’en faisant un de ses premiers souliers en peau de poisson, il pourra peut-être dépasser ça. Ce n’est bien évidemment pas le cas (rires) ! On comprend tout de suite, dans cette création, son sens de la structure, du dessin, de la fantaisie. C’est un objet qui présage de ce qu’il va devenir et en ça, il est iconique. »
Rendez-vous du 26 février au 26 juillet au Palais de la Porte Dorée 293, avenue Daumesnil - 75012 Paris pour l’exposition « Christian Louboutin, l’Exhibition[niste] ». Palais-portedoree.fr 12 € le ticket d’entrée.